Les critères ESG complètent l'analyse financière d'une société, mais la rentabilité reste le juge de paix
Quand on veut investir dans une action, toute information sur la société en question est bonne à prendre (pourvu qu'elle soit publiée, bien entendu), et ce pour une excellente raison : il ne suffit pas de regarder les comptes, de considérer les prévisions, de soupeser longuement les multiples de valorisation, et de se munir de bons conseils, pour prendre une bonne décision. En d'autres termes, il faut aussi s'attarder autant que faire se peut sur les informations moins financières, qui donnent souvent aussi de bonnes indications sur la qualité de la gestion de la société, notamment les fameux critères ESG pour Environnement, Social et Gouvernance, sur lesquels les entreprises cotées ont aussi l'obligation de communique.
Et même si on est plus dans le subjectif, puisqu'on a moins de chiffres à analyser dans ces domaines extra-financiers, on peut aussi se faire avec ces critères ESG une idée sur la qualité de l'affaire dans laquelle on envisage d'investir (une partie de) ses économies. Et il n'y a pas que ce que la société elle-même communique, bien au contraire : avec une recherche par nom sur Internet, par exemple, qui vous ressort instantanément les nouvelles récentes et moins récentes, on peut voir vite les sociétés qui ont des problèmes en tous genres de façon récurrente : pollution, conflits sociaux, plaintes d'actionnaires, puisqu'elles ont pour ces raisons droit à des articles dans la grande presse. Et, a contrario, ou peut voir aussi que d'autres sociétés font finalement peu parler d'elles, parce qu'elles ne fabriquent pas tous ces ennuis : autrement dit, partant du principe que les problèmes coûtent cher, on peut penser que ces sociétés qui n'en ont pas sont souvent les mieux gérées, et délivrent dans la durée la meilleure performance économique pour le plus grand bien de leurs actionnaires. Et que c'est donc éventuellement dans ces dernières que l'on peut mettre quelques billes pour ses vieux jours.
Les critères ESG pour une approche qualitative de son investissement
Parmi ces critères ESG, le G pour Gouvernance, reste assez financier cependant, puisqu'il mesure quel traitement est réservé à l'actionnaire par la direction de la société, ceci surtout pour l'actionnaire minoritaire qui ne détient qu'une toute petite partie du capital et qui n'a donc par construction pas beaucoup voix au chapitre. De fait, l'investisseur qui veut devenir cet actionnaire minoritaire d'une société doit bien regarder la composition de son capital avant de sauter le pas : quel que soit le cas de figure, la structure de l'actionnariat d'une société influe sur sa stratégie, sa gestion, et sa valorisation in fine.
On peut penser que la question se pose d'autant plus quand la société en question a aussi de grands actionnaires, voire un actionnaire dit "majoritaire" qui détient plus de 50% des actions et/ou des droits de votes, et qui peut décider seul ou presque des nominations de dirigeants, et surtout de la distribution du dividende. Ce qui n'est pas rien, on en conviendra aisément.
Cependant, et c'est presque un paradoxe, c'est plutôt dans les grands groupes cotés, dans lesquels il n'y a le plus souvent que des actionnaires minoritaires peu ou pas identifiés, que l'on a pu trouver, çà et là, dans l'histoire boursière, les abus de mauvaise gouvernance les plus caractérisés. L'explication la plus plausible étant que dans cet actionnariat très anonyme, les mécontents votent avec leurs pieds, et revendent leurs titres plutôt que de faire de la contestation et, ce faisant, laisse encore plus de latitude à la dite direction pour continuer à mal se conduire avec le minoritaire, c'est-à-dire faire fortune sur son dos, et sur le dos de la société. C'est pourquoi, juste retour des choses, les grands groupes doivent à présent abriter toutes sortes de comités (audit, rémunérations, etc…) pour contrôler les actions de leurs dirigeants. C'est pourquoi aussi les sociétés de gestion de portefeuilles participent aux assemblées générales et votent au nom de leurs clients. Et c'est pourquoi enfin des fonds dits "activistes" s'incrustent dans les sociétés où il y a éventuellement à redire et qui se traînent en Bourse, et se font bien entendre lors des assemblées générales, souvent pour la plus grande joie des autres minoritaires.
Inversement, et c'est presque un paradoxe aussi, le petit porteur actionnaire minoritaire n'a pas souvent à se plaindre de l'actionnaire majoritaire quand il y en a un : l'explication la plus plausible étant qu'on est alors le plus souvent dans une société "familiale", et que la gestion "familiale" étant patrimoniale avant tout, elle se fait avec une vision de long-terme, et une prudence qui fait éviter les mouvements les plus risqués, et que cette bonne gestion profite à tout le monde.
Groupe Guillin: une belle midcap victime de défiance
Le Groupe Guillin, dirigé par la famille éponyme, qui l'a créé et qui détient toujours près de 64% de son capital, rentre assez bien dans ce cadre. C'est tout d'abord une belle PME, qui fabrique des emballages plastiques thermoformés (la boîte transparente qui contient la salade qui fait votre déjeuner et que vous achetez dans votre sandwicherie préférée, ou votre grande surface préférée, ou votre marchand de primeurs préféré), et qui a conquis en 25 ans une vraie prééminence sur son marché en Europe, avec 12 milliards de boîtes fabriquées en 2017 pour 180 000 tonnes de matières plastiques (PET, PET recyclé, polypropylène) dans 25 usines, le tout pour presque 600 millions d'Euros de chiffre d'affaires, avec 1 400 salariés dans six pays. Une position de leader qui doit vraisemblablement beaucoup à la richesse de l'offre de la société : Groupe Guillin a 12 000 références produits en tout, dont une bonne partie ont été conçus à la demande de clients, produits qui sont de plus livrés presque en juste à temps grâce à un outil logistique puissant : la société vend aussi du service, en quelques sortes. Et un métier qui dégage de bonnes marges en valeur absolue, lesquelles qui se retrouvent in fine dans un bilan très peu endetté.
Bref : il n'y aurait pas grand-chose à redire sur cette belle midcap.
Sauf que, malgré toutes ses qualités fondamentales, son cours de Bourse (37€) est loin de ses plus hauts (47€) atteints en novembre dernier. La mauvaise nouvelle, qui s'est confirmée depuis, étant que le résultat de l'année 2017, est en retrait, sans chuter toutefois, avec une marge opérationnelle en baisse de plus de 1 point. Une baisse qui vient du fait que Groupe Guillin n'a pas pu, ou pas su, répercuter intégralement dans ses prix de vente la hausse de ses coûts de matières premières, hausse due elle-même à la forte remontée des cours du pétrole. Ce qui, aux yeux des analystes, est vraiment un problème, et incite fortement à se défier de la capacité de la société à répercuter à l'avenir dans ses prix ces hausses de coûts, surtout si celles-ci s'amplifient, ce qui n'est pas exclu il est vrai.
Cette défiance est peut-être exagérée cependant : un effet retard n'a rien d'étonnant, puisque, selon la direction, tous les contrats avec les clients ne contiennent pas de clauses d'indexation, loin s'en faut. De plus, la marge opérationnelle de l'exercice 2016 a été la plus forte dans l'histoire récente de la société, et constitue de ce fait une base de comparaison très élevée pour 2017.
Il faut se dire surtout qu'il faudra bien s'y habituer : la direction a bien expliqué aux investisseurs qu'elle ne veut pas brusquer ses clients, des clients qui sont là depuis longtemps pour la plupart, en insistant sur sa position de grand fournisseur. Ce qui est bien la logique d'une PME familiale, gérée avec une vision de long-terme, ce que le marché, qui est soumis comme chacun sait à la dictature du court-terme, peut avoir du mal à comprendre.
Au diable le "pricing power" ? Difficile à conceptualiser, c'est vrai, pour le boursier, qui souvent ne jure que par cela. Mais on peut remarquer, pour se consoler, que ce pincement de marge impitoyablement sanctionné par le marché est assez relatif somme toute : cette marge reste à un très bon niveau en valeur absolue pour une société industrielle, il n'y a pas vraiment péril en la demeure. Et remarquer par-dessus tout, que si le plus grand risque à courir est une rentabilité un peu moins élevée qu'avant, cela vaut peut-être la peine d'être petit actionnaire minoritaire au côté d'un grand actionnaire majoritaire.
C'est un raisonnement qui en vaut d'autres, croyez-moi.
J. Lieury - Analyste Senior - Olier Etudes & Recherche - Membre du Cercle des Analystes Indépendants - www.olier-etudes-recherche.fr
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