Il existe une demande croissante des actionnaires vis-à-vis des entreprises sur le sujet du climat et des conséquences du réchauffement climatique sur leur activité (Crédit: Pexels)
Lors de la dernière assemblée générale d’ExonMobil le 31 mai 2017, le fond de pension CalPERS a déposé une résolution demandant à l’entreprise de publier annuellement une analyse détaillée des conséquences d’un scénario d’augmentation de température de 2°C, pour les activités et les actifs du groupe. Une résolution similaire avait été proposée et rejetée en 2016. Cette fois cependant la résolution a été adoptée à 62%, soutenu notamment par le gestionnaire BlackRock. Dans la continuité de cette stratégie de vote, BlackRock a appelé en janvier 2018 les directions des groupes dont il est actionnaire à travailler pour le bien commun, incluant les enjeux climatiques.
La reconnaissance d’un risque lié au climat pour les entreprises
Ces positions récentes illustrent une demande croissante des actionnaires vis-à-vis des entreprises sur le sujet du climat et des conséquences du réchauffement climatique sur leur activité. Les débats publics ponctués notablement par la publication du rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) en 2014 et la COP 21 en 2015, pointent à un réchauffement climatique grandement dû aux activités humaines. Ce dérèglement climatique s’accompagne très probablement en retour de graves conséquences pour les activités humaines, et pour l’activité des entreprises.
On identifie au moins deux types de risques pour les entreprises liés au dérèglement. De manière très directe, les risques liés à l’affaiblissement de la biodiversité, les évènements climatiques extrêmes, raréfaction des matières premières auront vraisemblablement un impact majeur sur les activités humaines. De manière indirecte, l’émergence probable d’une régulation plus stricte autour des problématiques de réchauffement climatique aura également un impact économique fort sur les entreprises. Par exemple, la mise en place au niveau global d’un prix du carbone, via une taxe ou via un marché de quota d’émission aurait des conséquences non négligeables. Déjà fixé localement par plusieurs initiatives (comme le marché européen du carbone), le prix du carbone pourrait augmenter forment dans les années à venir, engendrant des couts plus élevés pour les entreprises émettrices. Le réchauffement climatique, quel que soit le scénario et les prévisions envisagées génèrent donc des incertitudes économiques forte pour les entreprises. C’est face à ces risques et ces coûts que pèse une demande croissante des actionnaires.
Les exemples d’actionnaires demandant des comptes et une prévision détaillée des conséquences à moyen et long termes vis-à-vis des entreprises, à l’image d’Exxon Mobil, sont assez nombreux ces dernières années. D’autres compagnies pétrolières, comme Shell et BP, ont également été interpellées sur l’intégration du risque climatique dans leur stratégie.
Malgré une reconnaissance grandissante, une prise d’action inégale
Face à cela, pour rendre des comptes sur leur gestion des risques climatiques, les entreprises engagent de plus en plus de démarches, plus ou moins développées et formalisées. Une étude menée par KPMG étudiant le reporting des grands groupes indiquent une croissance du reporting en Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE) et notamment sur le risque climatique. Les groupes français, poussés par des obligations réglementaires, font partie des plus avancés sur cet aspect, 90% d’entre eux reconnaissant le changement climatique comme un risque pour leurs activités. Si les risques climatiques sont de plus en plus largement admis, les réponses apportées par les entreprises sont extrêmement hétérogènes et témoignent de niveaux de maturité très variés.
Ainsi, certaines entreprises ne font pas que reconnaitre ce risque mais établissent également des projections et des scénarios. A titre d’exemple, Shell a récemment publié différents scénarios d’évolution, dont le scénario « Sky » présenté comme compatible aux ambitions de la COP 21 visant limiter le réchauffement climatique à 2°C. Ce scénario soutient la nécessité de réduire les énergies carbones dans le mix énergétique et le recours à la capture et au stockage du CO2. Ce scénario prend également compte l’implémentation au niveau mondial d’une tarification croissante du prix du carbone (entre 50 et 100 dollar la tonne de CO2 environ pour 2030-2040). Le scénario rendu par Shell n’indique cependant pas les investissements nécessaires pour mettre en place cette transition.
D’autres entreprises outre une réflexion et des prévisions sur leur business model, prennent des engagements plus contraignants dans l’optique de rester sous la barre des 2°C. A titre d’exemple, fin mars, McDonald’s a vu valider ses objectifs de réduction d’émission par l’initiative Science Based Targets, qui garantit que les mesures mises en place par l’entreprise sont crédibles et en concordance avec l’objectif des 2°C. McDonald’s s’engage donc à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 36% d’ici 2030 sur un périmètre bureaux et restaurant, ainsi qu’à une réduction de31% sur sa chaîne de valeur. En décembre 2017, Danone avait également fait valider ses objectifs avec l’initiative Science Based Targets. Ces entreprises rejoignent donc la centaine d’entreprises ayant validés leurs objectifs.
Dépasser l’incertitude pour agir avec précaution.
Il parait donc difficile aujourd’hui de s’affranchir d’une évaluation des risques climatiques. La prévision et l’intégration des risques climatiques dans le reporting et les réflexions stratégiques sont parfois encore ignorées par certaines entreprises, mais se généralisent depuis plusieurs années, poussées notamment par des obligations réglementaires (en France avec la loi relative à la transition énergétique par exemple). Une fois que l’entreprise a rendu compte de ce type de risques à ses actionnaires, le plus difficile commence : elle doit apporter des garanties sur sa capacité à les prévenir et bien en gérer les conséquences. La société doit trouver un juste équilibre entre l’inaction qu’elle pourrait justifier par l’incertitude totale qui règne sur le futur de la législation climatique et des investissements massifs dans la réduction de son empreinte carbone soumise à cette même incertitude. Dans cette perspective, les mesures telles que celles validées par les SBT paraissent crédibles et cohérentes, justement parce qu’elles s’alignent avec un objectif politique affiché de trajectoire 2°C.
Martin Courgeon - Ethifinance
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