par Elizabeth Pineau et Mathieu Rosemain
L'avenir de la première usine du géant des télécoms chinois Huawei en Europe, située dans l'est de la France, est incertain, a-t-on appris auprès de trois sources proches du dossier dans un contexte de durcissement des réglementations européennes à l'égard des équipements chinois.
Lancé en 2020, ce projet d'usine d'assemblage d'antennes 4G et 5G à destination du marché européen évalué au départ à quelque 200 millions d'euros devait permettre la création d'au moins 300 emplois - un demi-millier à terme.
Pour ce faire, une usine de 52.000 m2 a été livrée en septembre par Bouygues dans le Bas-Rhin sur des terrains situés à une vingtaine de kilomètres au nord de Strasbourg.
Mais l'ouverture prévue début 2026 semble compromise et les locaux restent vides en attendant une décision de Huawei, a-t-on appris auprès de deux sources françaises proches du dossier.
Selon un élu local ayant participé à une réunion organisée avec des représentants du groupe chinois, ce dernier hésite encore sur l'avenir du site et laisse le dossier "ouvert".
D'après lui, plusieurs options s'offrent à Huawei : maintenir le projet prévu, utiliser le site à d'autres fins, ou bien vendre les locaux flambant neufs.
Cette incertitude est partagée par une source industrielle selon laquelle plusieurs groupes ont récemment visité le site.
Un cadre supérieur d'une entreprise ayant visité l'usine avec des représentants de Huawei a dit à Reuters qu'il pensait que le groupe chinois n'allait pas l'utiliser.
La région Grand Est, qui avait envisagé une aide de 800.000 euros, n'a finalement rien versé au regard du peu de garanties reçues quant à l'avancée du projet.
"La Région a voté une convention pour accompagner le projet porté par Huawei en 2021. Cette convention fixait des échéances. L'investisseur n'ayant pas respecté certaines de ces échéances, la convention est donc devenue caduque. Par voie de conséquence, la Région n'est plus partie prenante au projet", peut-on lire dans un message transmis à Reuters.
Huawei n'a pas répondu aux questions de Reuters sur ce dossier.
CROISSANCE PLUS LENTE QUE PRÉVU
Lorsque le groupe a annoncé son projet d'usine en France, les États-Unis ont mis en garde leurs alliés européens contre les risques d'autoriser l'entreprise chinoise à accéder aux infrastructures 5G du continent.
L'Europe adopte aujourd'hui une ligne plus dure envers la Chine en matière commerciale. Le chancelier allemand Friedrich Merz a ainsi récemment demandé à une commission d'experts de repenser la politique commerciale avec Pékin et d'interdire l'utilisation de composants chinois dans les futurs réseaux 6G.
"Nous cherchons à attirer des investissements chinois en France dans le respect absolu de notre souveraineté", a commenté pour sa part une conseillère du président français Emmanuel Macron. "Sur les sujets de télécommunication et de communication stratégiques, nous estimons qu'ils ressortent de la souveraineté nationale. Donc, il est logique que nous mettions en place des contrôles en la matière, d'où la situation de Huawei en France".
Huawei détient actuellement entre 35 et 40% des équipements 4G et 5G installés en Europe, dont il est l'un des principaux fournisseurs, selon le consultant en télécoms John Strand.
Mais la croissance a été plus lente que prévu et certains gouvernements ont durci leur position à l'égard des équipements chinois, conduisant des pays comme l'Allemagne et la Suède à se passer des composants Huawei sur le réseau 5G.
"Ils avaient beaucoup d'ambition avec de bons produits. Puis (...) il y a eu des problèmes de sécurité qui ont ralenti leur ambition", a déclaré à Reuters Jean-Luc Beylat, qui préside l'organisme français d'innovation technologique Systematic Paris-Region et conseille l'autorité de régulation des télécommunications (Arcep).
Le marché européen de la 5G s'est, d'après lui, révélé moins dynamique que prévu.
Huawei connaît une forte croissance dans d'autres secteurs comme la téléphonie et les technologies de conduite intelligente. "Ils doivent 'prioriser' leurs ressources", estime John Strand.
USINE HIGH TECH FLAMBANT NEUVE
En Alsace, riverains et élus sont dans l'expectative.
"Je préfère que ça se passe maintenant plutôt qu'on embauche 350 personnes et que dans deux ans on dise 'on ferme'", a dit la première source, qui n'a aucun doute quant aux chances de l'usine de trouver preneur si Huawei, propriétaire du site à 100%, décidait de s'en séparer.
"Une usine high tech flambant neuve de cette qualité, dotée de salles blanches pour l'électronique, il n'en existe pas beaucoup en France ni même en Europe", a-t-il plaidé.
La députée (La France insoumise) Aurélie Trouvé, ex-présidente de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale, qualifie de "belle débâcle" cet épisode qui va selon elle à l'encontre de la politique "pro-business" d'Emmanuel Macron.
"Cela montre que l'Etat français a accepté tout et n'importe quoi. Ce fiasco contredit le beau discours 'Choose France' de Macron', a-t-elle dit à Reuters à propos du rendez-vous élyséen annuel visant à encourager les investissements dans l'Hexagone.
Egalement interrogé par Reuters, le député alsacien (LFI) Emmanuel Fernandes a déploré la potentielle "perte d'emplois pour la région".
"Il faut espérer que le site pourra être repris pour une autre activité, si tel est le résultat final. Il faut attendre l'annonce officielle de Huawei", a-t-il dit.
(Reportage Elizabeth Pineau et Mathieu Rosemain, avec Brenda Goh à Shanghaï et Dominique Patton, édité par Kate Entringer)

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