Bien utilisés, les bénéfices de l'entreprise créeront de la valeur, ce qui devrait se traduire à terme par une hausse du prix de l’action. (crédit : Adobe Stock)
Warren Buffett et Lou Simpson (un des lieutenants de Warren Buffett qui a géré le portefeuille d’actions d’une filiale d’assurance de Berkshire Hathaway) insistent beaucoup sur la notion d’allocation de capital.
En d’autres termes, que fait l’entreprise de ses bénéfices ? Bien utilisés, ils créeront de la valeur, ce qui devrait se traduire à terme par une hausse du prix de l’action.
Avec ses bénéfices, l’entreprise peut décider une ou plusieurs des actions suivantes :
- racheter des actions si le prix de rachat est inférieur à la valeur réelle de l’entreprise
- verser un dividende : l’entreprise rémunère les actionnaires pour leur participation dans l’entreprise
- verser un dividende exceptionnel
- réaliser des opérations de croissance externe (acheter une autre entreprise)
- réaliser des investissements de croissance (augmenter ses capacités de production…)
Comment juger de la qualité de l’allocation de capital ?
Pour les rachats d’actions, il peut être intéressant de regarder le prix auquel a été effectué le rachat d’actions et le prix de l’action un, deux ou trois ans après. On divisera la hausse du prix par le nombre d’années pour avoir le rendement annuel de ce rachat.
Bien sûr, la hausse des marchés ces dernières années donnera souvent un résultat positif mais c’est un critère objectif d’autant plus si on répète l’exercice sur plusieurs programmes de rachats d’actions. Il y a encore relativement peu d’entreprises françaises qui réalisent régulièrement des rachats d’actions qui représentent une part importante du capital (les fameuses «entreprises cannibales» de Charlie Munger). Par contre, cette pratique est nettement plus développée aux Etats-Unis.
Pour les rachats d’actions, Linedata a réalisé deux OPAS (offre publique d’achat simplifiée) en moins de cinq ans : une en 2012 sur 25,7% du capital à un prix de 16 euros par titre et une en 2015 à 25 euros. Ces rachats sont à comparer à un prix actuel de 39 euros, ce qui représente un retour sur investissement annuel de 24% sur le rachat de 2012 et 18,7% sur le rachat de 2015 (même si peu d’actionnaire ont apporté à cette dernière offre).
Analyser la pertinence des rachats d'entreprises
Pour les opérations de croissance externe, dans un premier temps on peut regarder si des dépréciations ont été passées dans les trois ou quatre années suivant cette acquisition. Cela serait le signe que le prix d’acquisition était trop élevé. On peut également suivre dans le temps les commentaires concernant cette activité afin de voir si l’entreprise rachetée répond aux attentes de l'acquéreur. Enfin, mais cela nécessite un travail supplémentaire, il faut essayer d’isoler sur la durée les résultats de l’entreprise rachetée pour voir si le rachat a été pertinent (hausse des marges, hausse des bénéfices).
On peut également se poser la question de savoir si l’opération a permis de renforcer l’expertise de l’entreprise ou a concerné un métier historique de l’entreprise. Le but est de voir s’il ne s’agit pas d’une mauvaise diversification.
Une manière d’estimer la pertinence de l’acquisition est notamment de comparer le prix payé au chiffre d’affaires ou de comparer la valeur d’entreprise (capitalisation boursière plus la position dette nette si il y a plus de dettes financières que de trésorerie ou a contrario moins la trésorerie nette si il y a plus de trésorerie) à l’Ebitda (excédent brut d'exploitation).
Estimer la soutenabilité du dividende
Pour les dividendes, c’est un peu plus subtil. L’idée est de voir si le niveau de dividende est soutenable ou non. Pour ce faire, on regardera le taux de distribution. Il se calcule en divisant le dividende par le free cash-flow (flux de trésorerie généré par l’activité moins les investissements corporels et incorporels). Le curseur (le niveau de pourcentage distribué) va dépendre de l’activité de l’entreprise (certaines entreprises ont besoin de beaucoup d’investissements d’autres beaucoup moins) mais on peut émettre l’idée qu’au-delà de 80% c’est un point à surveiller. Néanmoins, un taux de distribution élevé peut être tenable si l’entreprise a une activité requérant peu d’investissements. Mais il y a un risque de trop vouloir réduire les investissements, ce qui mettrait à mal l’activité de l’entreprise.
Le versement d’un dividende exceptionnel peut être l’indice que le management d’une entreprise est pragmatique.Ce type d'opérations est plus rare car cela implique que l’entreprise n’ait pas besoin d’autant de cash pour continuer son activité.
En prenant cette décision, le management estime qu’il ne peut pas réinvestir dans l’entreprise à un taux de rendement intéressant et qu’il préfère verser les fonds aux actionnaires. Charge aux actionnaires de redéployer les fonds reçus vers d’autres opportunités.
A titre d'exemple, Bic a versé trois dividendes exceptionnels depuis 2009 : 1 euro en 2010, 1,80 euro en 2012 et 2,50 euros en 2016. Linedata a également versé un dividende exceptionnel de 3 euros en 2016. Ces opérations sont venues augmenter ponctuellement le rendement des actionnaires qui ont pu réinvestir sur les mêmes entreprises ou ailleurs le cash ainsi obtenu.
Réinvestir dans l’entreprise
Souvent réinvestir dans son activité historique peut être la décision la plus efficace si le marché est porteur. A priori, l’entreprise connaît très bien son activité et estime avec précision le niveau de profitabilité qu’elle peut y obtenir. Réinvestir dans son activité peut être la meilleure réponse et les retours sur investissement y sont sans doute les meilleurs.
La pertinence des décisions en termes d’opérations de croissance externe ou de rachat d’actions est évaluable à travers la notion de retour sur investissement que l’on peut définir en simplifiant un peu comme étant le résultat divisé par le prix payé. Pour les réinvestissements dans l’entreprise, on cherchera à voir (hors opérations de croissance externe) si l’activité historique continue de croître, tant en termes de chiffre d’affaires que de résultats.
Un dernier test peut être d’analyser dans le temps le discours d’un management afin de détecter s’il y a une cohérence ou s'il sait reconnaitre ses erreurs, ce qui est une bonne façon de juger de sa transparence.
Si on a déterminé qu’une entreprise bénéficie d’une bonne allocation de capital, il peut être intéressant de regarder les acquisitions réalisées sur le marché par les dirigeants de l’entreprise. Cela pourrait être le signe d’une sous-valorisation.
Où chercher des entreprises ayant une bonne allocation de capital ?
Les entreprises familiales ont souvent une bonne allocation de capital car la plus grande partie de leur patrimoine est investi dans l’entreprise, ils ont un intuitu personae relativement plus élevé que la moyenne avec leurs salariés. En d’autres termes, il peut être intéressant de regarder les entreprises où l’actionnariat familial est fort.
Bien sûr, tous les rachats d’actions ou versement de dividendes exceptionnels ne sont pas une garantie de succès mais cela reste un indice intéressant lorsque ces opérations se répètent…
Comme toujours, il convient de bien comprendre l’activité de chaque entreprise et d’être comme le dit Warren Buffett un «bon analyste d’entreprise» en plus d’être un analyste financier.
Jeremy Gamonet, Fox Castle Holdings
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