
Washington ne relâche pas la pression pour que Pékin corrige ses pratiques commerciales. La riposte de la Chine se prépare
* La liste des produits US à taxer s'amenuise
* Services ou barrières non tarifaires sont des possibilités
* Il est risqué de dévaluer le yuan ou de liquider des Treasuries
* Washington attaque sur plusieurs fronts
par Kevin Yao et Michael Martina
PEKIN, 15 mai (Reuters) - La Chine n'a plus guère de moyens de répliquer aux Etats-Unis sans mettre à mal ses propres intérêts, Washington ne relâchant pas la pression pour que Pékin corrige ses pratiques commerciales si ce n'est même son modèle économique.
Le gouvernement chinois a annoncé lundi une hausse pour le 1er juin des droits de douane sur 60 milliards de dollars de produits américains, soit bien moins que les 200 milliards de dollars de ses propres produits faisant eux-mêmes l'objet d'une hausse des tarifs douaniers aux Etats-Unis.
L'offensive américaine se déroule aussi sur d'autres fronts, qu'il s'agisse d'envoyer des navires de guerre dans le détroit de Taïwan ou encore de réduire à néant les ambitions des équipementiers des télécoms Huawei aux Etats-Unis.
C'est pourquoi les autorités chinoises s'emploient de toute force à passer un accord commercial pour s'épargner une guerre commerciale épuisante qui risquerait de bloquer le développement économique, selon des sources bien informées.
Sans pour autant paraître trop céder aux revendications américaines, de crainte d'un retour de bâton nationaliste. Si le gouvernement chinois acceptait, comme Washington l'exige, de mettre un terme aux avantages financiers et fiscaux dont jouissent les entreprises publiques et les secteurs stratégiques, cela reviendrait à remettre en cause le modèle d'économie centralisée et plus généralement la mainmise du parti communiste sur l'économie, expliquent les sources.
"Nous avons encore du répondant mais il se peut qu'on ne le fasse pas jouer à fond", a dit l'une d'elles, sous condition d'anonymat. "Le but est de conclure un accord qui soit acceptable pour les deux parties". Quant aux possibilités de représailles, aucune n'est sans risque pour Pékin.
LES SERVICES EN LIGNE DE MIRE?
Depuis juillet 2018, la Chine a imposé de nouveaux droits de douane cumulés pouvant atteindre 25% sur 110 milliards de dollars de produits américains importés. Selon des données de l'année dernière du Census Bureau des Etats-Unis, la Chine ne pourrait encore taxer qu'une dizaine de milliards de dollars de produits américains, tels que le pétrole et les avions, si elle devait riposter à une nouvelle salve de droits de douane américains. A l'inverse, le président américain Donald Trump menace d'imposer de nouveaux droits sur 300 milliards de dollars de biens chinois.
La Chine pourrait bien sûr prendre pour cible le secteur des services. Les Etats-Unis ont dégagé avec la Chine un excédent commercial des services de 40,5 milliards de dollars en 2018. Mais ce moyen de pression n'est pas aussi puissant qu'il pourrait le paraître car cet excédent s'appuie surtout sur le tourisme et l'éducation, des domaines où la Chine aurait bien du mal à revenir en arrière, a dit à Reuters James Green, conseiller de McLarty Associates.
Il semble plus vraisemblable que la Chine lève des barrières non douanières sur les biens américains, par exemple en rallongeant les procédures d'autorisation des produits agricoles, ajoute James Green, qui était jusqu'au mois d'août le principal délégué au commerce américain de l'ambassade des Etats-Unis à Pékin.
"ANTI-RÉGIME"
Des analystes font valoir que la Chine pourrait se tourner vers la concurrence, au détriment des firmes américaines, substituant par exemple des Airbus AIR.PA à des Boeing BA.N chaque fois que cela serait possible.
Mais dans la mesure où Donald Trump prie déjà instamment les entreprises américaines de ramener leur production aux Etats-Unis, recourir ainsi à des mesures de rétorsion détournées risquerait d'inciter les sociétés à se fournir ailleurs qu'en Chine ou à y retirer leurs investissements. "Les répercussions à moyen et long termes sur la logistique sont extrêmement sous-estimées; je serais la Chine, je me ferais vraiment du souci", a dit Robert Lawrence, du cercle de réflexion Peterson Institute for International Economics.
Les médias publics chinois y sont allés de leur discours nationaliste lorsque les négociations commerciales ont achoppé la semaine passée, avec de nouveaux droits de douane à la clé. Mais pour l'heure le gouvernement chinois fait en sorte que le conflit commercial ne prenne pas une tournure trop politique, observent des analystes. "Je ne pense pas qu'il (le gouvernement) y voit un quelconque intérêt; il craint surtout que l'anti-américanisme ne se transforme rapidement en un anti-régime", dit encore James Green.
YUAN ET TREASURIES
Il reste l'arme des taux de change. Un yuan affaibli amortirait l'impact sur les exportations chinoises d'un renchérissement des droits de douane américains mais au risque de provoquer une fuite des capitaux en cas de véritable dépréciation.
Les autorités chinoises n'ont de cesse de dire qu'il n'est pas question de déprécier le yuan pour doper les exportations et la Banque populaire de Chine (BPC) a déclaré qu'elle n'userait pas des taux de change pour gérer les frictions commerciales. Le yuan a perdu un peu plus de 2% face au dollar depuis le début du mois dans le contexte d'intensification des tensions commerciales.
Les investisseurs craignent enfin que la Chine, premier créancier des Etats-Unis, ne liquide une partie de ses avoirs en emprunts d'Etat américains pour faire monter les coûts d'emprunt en guise de mesure de rétorsion. Peu probable, disent les analystes, car cela aurait un effet boule de neige qui mettrait à mal son propre portefeuille de Treasuries, qui totalisait 1.131 milliards de dollars en février, suivant les dernières données américaines.
NOUVELLES VOIES
La Chine peut sinon atténuer l'impact des droits de douane punitifs américains en multipliant les mesures budgétaires afin de stimuler la demande intérieure. Les exportateurs chinois cherchent déjà d'autres canaux d'écoulement de leurs produits, par le biais notamment de la nouvelle Route de la Soie. Pour combler ses besoins en matières premières, la Chine part en quête d'autres fournisseurs.
C'est ainsi que les achats de soja, principal produit importé des Etats-Unis par la Chine, ont pratiquement cessé lorsque Pékin a infligé 25% de droits de douane sur les importations américaines en juillet 2018. Pourtant, des traders européens signalaient en décembre que la Chine avait réalisé un gros achat de soja américain, en signe de bonne volonté en un moment où Washington et Pékin avaient signé une trêve sur le front commercial.
Le conflit commercial sino-américain n'en profite pas moins à d'autres pays, sud-américains en particulier, qui comptent bien augmenter les récoltes de soja durant la campagne 2018-2019.
(Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Blandine Hnéault)
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