
(Crédits: Adobe Stock)
Les géants du divertissement Walt Disney et Netflix se trouvent en première ligne des "culture wars" qui polarisent la société américaine. Pour le moment, leurs audiences ne semblent pas durablement fragilisées par les appels au boycott que leur ont valu leurs choix de programmation ces dernières semaines. Mais accusés tour à tour de propager l'idéologie woke ou de se soumettre au trumpisme triomphant outre-Atlantique, les deux grands du streaming devront redoubler de prudence s'ils ne veulent pas s'aliéner des pans entiers de l'électorat.
Les remous provoqués mi-septembre par l'assassinat du militant conservateur Charlie Kirk, figure de proue de la droite MAGA, ont placé Disney dans l'oil du cyclone. Les partisans du président américain ont été les premiers à crier au scandale lorsque le présentateur star de la chaîne ABC Jimmy Kimmel les a accusés d'instrumentaliser cet événement à des fins politiques et a sous-entendu que le tueur était peut-être "l'un des leurs".
La décision de Disney, maison mère d'ABC, de suspendre l'émission "pour une durée indéfinie" a ensuite fait bondir le camp démocrate - et plus largement les défenseurs de la liberté d'expression. Pour finir, le retour à l'antenne du présentateur d'un des trois principaux talk-shows de fin de soirée aux Etats-Unis après six jours d'interruption a de nouveau heurté les soutiens de Charlie Kirk et a été vivement critiqué par Donald Trump.
Selon le site Thehandbasket.co de la journaliste indépendante Marisa Kabas, le rétablissement de "Jimmy Kimmel Live" aurait été précipité par une vague sans précédent de désabonnements à Disney+, Hulu et ESPN après sa déprogrammation. Au total, 1,7 million de résiliations auraient été enregistrées par les différents services de streaming de Disney entre le 17 et le 23 septembre, selon une source proche du dossier. Disney n'a pas confirmé ces chiffres et le PDG Bob Iger ne s'est pas exprimé au sujet de cette décision.
"Je dirais que les actes sont plus éloquents que les paroles", a déclaré de son côté le directeur juridique de Disney, Horacio Gutierrez, en soulignant la décision de réintégrer Kimmel en moins d'une semaine.
Les résultats financiers que Disney publiera le 13 novembre diront dans quelle mesure le groupe a été affecté par ces polémiques, puisqu'il s'agira du dernier trimestre pour lequel le groupe communiquera le nombre de ses abonnés au streaming et le revenu par abonné. Mais la décision de procéder le 23 septembre à une hausse du prix des abonnements prévue de longue date laisse penser que le groupe n'est pas confronté à une hémorragie d'abonnés. Fin juin, Disney+, Hulu et ESPN totalisaient 183 millions d'abonnés payants dans le monde.
Pour ce qui est des chiffres d'audience des chaînes traditionnelles, ils seront à interpréter en prenant en compte un contexte difficile pour les principaux networks américains, même si Disney a eu tendance à mieux résister que ses concurrents, selon les derniers chiffres d'audience publiés par l'institut Nielsen.
+ Pressions politiques +
Cette affaire illustre toutefois les difficultés rencontrées par les grands de l'audiovisuel pour contenter l'opinion publique mais aussi le pouvoir politique. Après les propos tenus par Jimmie Kimmel au sujet de Charlie Kirk, le premier coup de semonce contre Disney est venu du patron de la Federal Communications Commission (FCC), Brendan Carr, nommé en début d'année par Donald Trump à la tête du régulateur américain de l'audiovisuel et proche des positions républicaines conservatrices. Ce dernier a appelé ABC à prendre des sanctions contre Jimmy Kimmel, menaçant de révoquer les licences des stations de télévision locales qui continuaient de diffuser l'émission.
La décision dans la foulée des deux principaux propriétaires de stations locales aux Etats-Unis, Sinclair et Nexstar, de suspendre la diffusion de l'émission a renforcé l'impression d'une ingérence du pouvoir politique et a alimenté les soupçons de conflit d'intérêt.
Nexstar Media Group est le premier propriétaire de stations locales de télévision affiliées aux principaux réseaux comme NBC, CBS et ABC sur le marché américain. Il cherche actuellement à obtenir l'autorisation de la FCC pour mener à bien le rachat de son concurrent Tegna Inc. pour 6,2 milliards de dollars annoncé en août. Or cette acquisition conduirait Nexstar à outrepasser largement les limites en vigueur aux Etats-Unis en termes de concentration des médias, qui interdisent à un diffuseur de chaînes télévisées de s'adresser à plus de 39% des foyers américains.
Cette opération, et la dérogation qu'elle nécessiterait de la part de la FCC pour être réalisée, est loin d'être le seul cas où des entreprises pourraient être tentées de céder à des pressions politiques. Les groupes audiovisuels se trouvent confrontés à l'offensive judiciaire de Donald Trump contre les médias qu'il accuse de l'avoir censuré ou diffamé. La multiplication de ces poursuites s'est soldée par de nombreux accords à l'amiable qui ont permis au président américain d'obtenir 16 millions de dollars auprès de CBS (Paramount), 15 millions de dollars d'ABC News, 25 millions de dollars de Meta Platforms et 24,5 millions de dollars de YouTube ( Alphabet ).
Le président américain a également porté plainte pour diffamation contre le New York Times auquel il réclame la somme improbable de 15 milliards de dollars. La plainte a été déclarée irrecevable dans sa forme actuelle par un tribunal de Floride mais pourra être reformulée.
+ #CancelNetflix +
Si l'action Disney s'inscrit en baisse de plus de 4% au cours du mois écoulé, Netflix affiche de son côté une progression de 1,2% et semble avoir navigué sans encombre les appels aux boycotts relayés notamment par Elon Musk début octobre. Le titre s'est trouvé sous pression la première semaine d'octobre mais a regagné le terrain perdu depuis.
Le hashtag #CancelNetflix a eu un certain succès sur X et le patron de la plateforme a amplifié le mouvement avec son tweet "Résiliez Netflix pour la santé de vos enfants" au sujet d'un dessin animé dont le héros est un adolescent transgenre. Mais cette polémique ne fait que réactiver des thèmes présents depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux. Le tweet d'Elon Musk affirmant que "le virus mental woke rend Netflix irregardable" date d'avril 2022. Et Netflix a d'ailleurs mis fin il y a trois ans au programme ciblé par cette campagne de boycott, même si les épisodes déjà produits restent accessibles.
Globalement, les analystes ont jugé que l'impact sur le cours de Bourse de Netflix serait temporaire et que la hausse des revenus publicitaires serait en mesure de compenser une éventuelle vague de désabonnements. "Je ne pense pas que ce soit une raison suffisante pour vendre l'action" Netflix, a estimé sur CNBC Guy Adami, de la société de conseil Private Advisor Group. A la date du 13 octobre, 67% des analystes couvrant la valeur conseillent d'acheter ou de surpondérer le titre, au lieu de 63% fin août. Dans le cas de Disney, la proportion d'avis positifs est également passée de 81% à 83% sur la même période.
Jusqu'à présent, ce ne sont pas les acteurs de l'audiovisuel qui ont eu le plus à souffrir des conflits idéologiques, même si Disney s'est trouvé engagé dans un bras de fer contre le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, au sujet de son engagement dans la défense des causes LGBT.
En 2023, les ventes de la marque de bière Bud Light ont chuté de 1,4 milliard de dollars en Amérique du Nord et la capitalisation de sa maison mère Anheuser-Busch s'est évaporée de 27 milliards de dollars après la diffusion d'une publicité mettant en scène un comédien transgenre. En mai de la même année, le distributeur Target a vu son cours de Bourse dévisser de 17% en 9 jours après avoir mis en avant des articles célébrant le mois des fiertés LGBT. Et sur le front plus strictement politique, Tesla a essuyé des baisses à deux chiffres de ses ventes sur plusieurs marchés début 2025 en réaction à l'engagement d'Elon Musk dans la campagne présidentielle puis dans l'administration de Donald Trump.
Les hésitations de Disney au sujet du maintien de Jimmy Kimmel montrent tout de même que le groupe a conscience de marcher sur des oeufs. Le retour de Bob Iger à sa tête fin 2022 visait précisément à tourner la page des controverses qui avaient émaillé le mandat de son prédécesseur et le dirigeant s'est engagé il y a deux ans à "faire baisser le bruit des guerres culturelles".
A l'avenir, les investisseurs seront prévenus. Même quand les grands groupes parviennent à mitiger les retombées des vagues d'indignation fréquentes sur les réseaux sociaux, ils ne seront pas à l'abri de certaines turbulences.
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