il y a fort à parier que la crise transformera en profondeur le système actuel, tant sur le plan social qu'économique. Alors à quoi ressemblera le monde post Covid-19 et qui en ressortira vainqueur ? (Crédits photo : Pixabay - Gerd Altmann)
Une chute vertigineuse. Dans son dernier point de conjoncture, publié fin mai, l'Insee anticipe une diminution du PIB français de près de 20 % au deuxième trimestre. Il s'agirait de la plus forte récession jamais enregistrée depuis la création des comptes nationaux en 1948. Heureusement, le rapport fait aussi état d'un net rebond de l'activité économique depuis que le pays est sorti du confinement, et estime que la reprise devrait se poursuivre… Mais il faudra du temps pour retrouver un niveau d'activité normal et il y a fort à parier que la crise transformera en profondeur le système actuel, tant sur le plan social qu'économique. Alors à quoi ressemblera le monde post Covid-19 et qui en ressortira vainqueur ? Réponses avec trois sociétés de gestion.
Un modèle économique et sociétal en pleine mutation
Partie de Chine, l'épidémie de coronavirus n'a pas tardé à s'étendre à toute la planète. La majorité des pays touchés a répondu à l'urgence sanitaire par des mesures de confinement, particulièrement désastreuses pour les entreprises avec une chute brutale de la consommation, la mise à l'arrêt des chaînes de production et de multiples fermetures administratives… Pour bon nombre d'entre elles, ce fut aussi l'occasion d'expérimenter ou de généraliser le télétravail.
Selon Frédéric Ponchon, gérant chez Sycomore AM, cette pratique devrait perdurer au-delà de la crise : « beaucoup de sociétés considèrent que ce nouveau mode de fonctionnement peut être assez efficace, moins coûteux en termes de temps pour les salariés et en termes d'immobilier pour les entreprises ». Pour les sociétés qui évoluent à l'échelle internationale, les avantages du travail à distance sont encore plus marqués. « En plus d'apporter une plus grande souplesse, le télétravail permet de nouer des partenariats plus facilement avec l'étranger et une mobilisation des troupes à travers le monde encore plus rapide qu'avant », ajoute Arnaud Faller, directeur général délégué en charge des investissements de CPR AM.
Si le télétravail est promis à un bel avenir, certains inconvénients doivent aussi être considérés. « Il est important de veiller à ce que le lien entre le collaborateur et l'entreprise ne se rompe pas », prévient Stéphane Vonthron, directeur commercial distribution chez J.P. Morgan AM. Car une relation détériorée aurait pour effet, selon lui, de créer un turnover important au sein des entreprises et donc une réduction de la valeur. Et quand bien même le télétravail a démontré son efficacité pour certaines activités de l'entreprise, « son application est beaucoup plus limitée dès lors qu'il s'agit de travail créatif ou de modes opératoires techniques ». Stéphane Vonthron estime donc que « c'est un modèle mixte, entre présentiel et télétravail, qui va continuer à primer ».
D'un point de vue macroéconomique, les banques centrales et gouvernements auront un rôle majeur à jouer dans le monde d'après. Leur action a été massive «et les mesures de soutien bien plus fortes qu'elles ne l'ont été en 2008-2009», explique Arnaud Faller de CPR AM. Les prêts aux entreprises sont sur « des maturités longues et permettront de les protéger bien au-delà des premiers mois durant lesquels elles vont être durement affectées ». Les institutions ont bel et bien fait tourner la planche à billets – la BCE a récemment annoncé l'ajout de 600 milliards d'euros au programme de rachats d'actifs, portant le total à plus de 1.600 milliards – et travaillent désormais sur un plan de relance de l'économie. «Même si le chômage aux États-Unis ne va pas revenir de sitôt à 3% comme c'était le cas pré-crise, l'accompagnement est tellement fort que l'on aura à nouveau des créations d'emplois dans les années à venir, que ce soit en Europe ou outre-Atlantique», rassure Arnaud Faller.
Dans un futur proche, on devrait également assister à l'amplification des nouveaux modes de consommation. «Le mouvement du consommer mieux s'est considérablement accéléré durant la crise », observe par exemple Stéphane Vonthron de JP Morgan AM. Il anticipe ainsi une dichotomie grandissante au sein de la population mondiale «entre ceux qui d'une part auront les moyens de consommer des biens de qualité et durables et ceux qui, par le déterminisme économique, devront se tourner vers des produits à moindre prix». Sur les modes de production aussi, des changements radicaux sont à attendre. «Cette crise a montré que des décennies de mondialisation pas toujours maîtrisée ont conduit à des chaînes de production dangereusement dépendantes d'autres pays, notamment de la Chine», relève Frédéric Ponchon de Sycomore AM. Le gérant estime que les entreprises vont en tirer les conséquences et «relocaliser au moins une partie de leur production, afin de garantir la durabilité et la résilience des chaînes de production».
Enfin, le monde d'après ne verra à court terme ni remontée des taux, ni reprise de l'inflation, d'après les gestionnaires d'actifs. «Ce serait une bonne nouvelle mais c'est encore trop tôt», admet Stéphane Vonthron. Frédéric Ponchon ajoute de son côté que l'on peut envisager un redémarrage de l'inflation «à moyen terme, peut-être entre 3 et 5 ans».
Investir dans les gagnants
Malgré toutes les analyses qu'il est possible de formuler, elles ne restent que des suppositions. «La poussière n'est pas encore retombée et ce serait très présomptueux de dire que nous sommes sortis de la crise», rappelle Stéphane Vonthron. Sans oublier qu'une seconde vague épidémique est toujours possible et que les conséquences de la crise prendront des mois, des trimestres, voire des années à se dessiner clairement. Mais les gérants d'actifs ne se laissent pas arrêter par le brouillard, et tentent de distinguer quels sont les investissements à privilégier dans «le monde d'après».
Premier constat : les portefeuilles sont à ce jour largement sous-investis en actions. Car si Frédéric Pochon «se laisse un peu porter par le rebond actuel», il tient à rester prudent «en cas de retournement potentiel du marché». La méfiance se fait également ressentir du côté de JP Morgan AM. Les fonds flexibles de la maison sont aujourd'hui à un «niveau extrêmement faible d'exposition aux actions», indique son directeur commercial distribution. Pourquoi ? Car les équipes de gestion «ont le sentiment que les multiples sont globalement trop élevés pour une période de récession». D'après Stéphane Vonthron, «le marché a vivement réagi aux annonces des banques centrales, mais pas encore à l'amplitude de l'impact économique qui fragilisera nécessairement les ménages et les entreprises, malgré les mesures de soutien».
Mais attention, sous-pondérer ne veut pas dire fuir. «On pense qu'il y aura d'autres moments pour revenir plus fortement sur les marchés actions», déclare Arnaud Faller. Le directeur général délégué en charge des investissements de CPR AM ajoute « qu'après avoir beaucoup apprécié les actions américaines», son attention se porte actuellement «sur des actions de la Zone Euro, et notamment sur le créneau du value».
Ces dernières semaines, il a effectivement observé «une rotation sectorielle vers les cycliques très forte». Un constat que partage Frédéric Ponchon de Sycomore AM : «Certaines valeurs value sont très intéressantes car elles ont été massacrées de manière exagérée durant la crise.» Dans le même temps, «les valeurs de croissance sont très voire trop chères», poursuit le gérant. En effet, face au chahut boursier, certaines d'entre elles ont fait office de valeurs refuges et affichent des performances qui avoisinent 40% depuis le début de l'année.
Aujourd'hui, les équipes de CPR AM placent aussi des pions sur les obligations du secteur privé, des actifs relativement sûrs «puisqu'ils bénéficient du soutien de la Banque centrale européenne». C'est pourquoi, l'affilié d'Amundi considère que «le crédit est actuellement un bon moyen d'avoir des positions d'attente avant de renforcer les actions».
Enfin, les gestionnaires d'actifs font de plus en plus les yeux doux aux thématiques, avec la santé et la technologie en première ligne. «Ces valeurs qui sont parfois très chères sont paradoxalement celles qui ont réagi le plus en ligne avec l'amplitude du choc économique», commente Stéphane Vonthron. Et des deux secteurs, le directeur commercial distribution de JP Morgan a une préférence pour la santé «qui a rebondi moins fortement que la technologie alors qu'elle est sur une activité extrêmement lisible, avec des multiples plus raisonnables».
Ce thème d'investissement profite par ailleurs de tendances structurelles fortes comme le vieillissement de la population et le développement des maladies chroniques lié à l'occidentalisation des modes de vie. Sans compter que la crise du coronavirus a probablement déclenché «un cycle long d'investissement et une sanctuarisation des budgets gouvernementaux sur la santé», prévoit Frédéric Ponchon.
En somme, «le monde d'après» pourrait être celui de l'investissement thématique et sectoriel, sonnant ainsi la fin de l'investissement par zone géographique, pierre angulaire des gestions depuis de nombreuses années.
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