Malgré une production américaine record de 13,9 millions de barils par jour, le bassin permien texan subit un ralentissement économique brutal, avec des ventes de services pétroliers en chute de 25 % sur les derniers mois. Le baril autour de 60 dollars et l’impact des tarifs douaniers font exploser les coûts, rendant la rentabilité des investissements de plus en plus difficile pour les producteurs de schiste. Le cœur de l’industrie américaine du pétrole de schiste, le Bassin permien au Texas, montre des signes de tension économique sévère. Alors que la production nationale touche un record de 13,9 millions de barils par jour (b/j), l’ambiance à Midland et Odessa est à l’inquiétude. Pour Mark Waters, propriétaire de Tie Specialties, une entreprise de fournitures pour champs pétrolifères à Odessa, les ventes liées au secteur ont chuté de 25 % au cours des quatre à six derniers mois. Selon lui, cette « décélération » porte le pessimisme sur les deux prochaines années.
Ce sentiment, partagé par dix producteurs, sociétés de services et résidents interrogés par Reuters dans le Bassin permien, révèle que le prix du brut oscillant autour de 60 dollars le baril signale des problèmes économiques plus vastes. L’ère des profits faciles s’éloigne, même si le Bassin permien a historiquement surmonté les précédentes baisses de cycle. La résilience du Bassin permien est cette fois mise à l’épreuve par un double effet ciseau : une production accrue de l’Opep et de ses alliés, et surtout, les politiques commerciales du président Trump. L’inflation et certains tarifs douaniers ont fait grimper les coûts de production, obligeant les producteurs à exiger un prix du baril plus élevé qu’auparavant pour atteindre le seuil de rentabilité. Kirk Edwards, président du producteur texan Latigo Petroleum, estime que forer et compléter un puits de schiste coûte désormais entre 10 et 12 millions de dollars, soit 5 à 10 % de plus que l’an dernier. Face à un baril qui a rapporté « 20 % de moins » en un an, il juge que « l’économie est complètement à l’envers ».
Les dirigeants d’entreprise sont clairs : il faudrait que le pétrole se maintienne autour de 70 dollars pour soutenir et développer la production. Or, le West Texas Intermediate (WTI), la principale référence américaine utilisée pour le pétrole du Bassin permien, se négociait sous la barre des 60 dollars la semaine dernière et l’Administration américaine de l’information sur l’énergie prévoit une moyenne de 51,26 dollars en 2026. L’impact de cette crise de rentabilité se matérialise dans les indicateurs clés du secteur. Les parcs à matériel de Midland sont désormais remplis de rigs (appareils de forage) de 30 mètres à l’arrêt, tandis que les sociétés de services liquident leurs équipements. Le nombre de rigs actifs dans le Bassin permien est tombé à 252 fin octobre, soit une baisse de 52 unités par rapport à l’année précédente. C’est le déclin le plus abrupt depuis l’effondrement de la demande causé par le Covid-19 en 2020, selon les données d’Enverus. La croissance de la production aux États-Unis ralentit. Le PDG d’Admiral Permian Resources, Denzil West, dont la production s’élève à 25 000 b/j, alerte : « Les prix du pétrole dans la fourchette basse à moyenne des 50 dollars rendent de plus en plus difficiles les retours sur investissement. Cela finira par rendre les niveaux de production actuels insoutenables. »
Les gains d’efficacité dans le Bassin permien s’amenuisent. Le gisement est mature et les producteurs sont contraints de se tourner vers des zones de forage plus coûteuses, car « les meilleurs puits ont été forés », constate Denzil West. Les entreprises privilégient désormais le rendement des capitaux propres plutôt que l’augmentation des déploiements de capitaux. Le secteur des services pétroliers subit de plein fouet les coupes budgétaires. Surge Energy, un des plus grands producteurs privés du Bassin de Midland, a déjà réduit ses dépenses d’investissement (capex) et retiré un de ses trois rigs en service depuis 2021. La liquidation d’équipements se multiplie. Une vente aux enchères menée le mois dernier par Superior Energy Auctioneers a vu le matériel de Cleveland Lease Services et Lone Star Directional Drilling être cédé. Certains camions lourds, utilisés pour tracter les remorques de fracturation, se sont vendus en août environ 30 % de moins qu’en avril.
« Il y a plus de rigs que de travail », résume Terrel Hardin, président de King Well Service, qui fournit des « workover rigs » pour la maintenance des puits existants. Son entreprise n’utilise plus que deux ou trois rigs cette année, contre quatre ou cinq l’an dernier. Les géants du secteur sont également touchés. SLB et Halliburton, les principaux fournisseurs de services, ont procédé à des licenciements cette année et ont déclaré qu’ils n’anticipaient pas de reprise significative du forage en Amérique du Nord à court terme. Halliburton a même annoncé qu’il allait immobiliser du matériel et réduire ses coûts. L’impact social de ce cycle baissier est visible à Midland, dont le taux de chômage a augmenté de 0,5 point de pourcentage pour atteindre 3,6 % en août. Ce niveau n’avait plus été observé depuis la mi-2022, période de sortie du choc de la demande lié à la pandémie de Covid-19. Au niveau national, l’emploi dans la production de pétrole et de gaz a reculé de 4 000 postes entre janvier et juillet de cette année, selon le Bureau of Labor Statistics. Près de 370 000 Texans travaillaient dans ce secteur en début d’année. La vague de pertes d’emplois se répercute sur les commerces locaux. Mark Waters, le propriétaire de Tie Specialties, reçoit des demandeurs d’emploi « tous les jours ». À Odessa, Dulce Solis, la gérante du restaurant mexicain D.S. Fabela’s, constate que les files d’attente s’amincissent à mesure que les employés des champs pétrolifères sont licenciés.
Même si le PDG de Diamondback Energy, une des grandes compagnies du Bassin permien, affiche un optimisme pour l’avenir, le malaise est palpable. Yogashri Pradhan, licenciée par Chevron en juin pour la troisième fois de sa carrière, a choisi de créer son propre cabinet de conseil, IronLady Energy Advisors. Elle remarque : « Nous voyons beaucoup plus de panique avec le pétrole à 60 dollars, et je crois qu’une grande partie est liée à l’administration et à la rhétorique selon laquelle nous pourrions le faire à des prix plus bas. »