Présenté depuis une demi-douzaine d'années comme l'une des révolutions majeures du transport public, le déploiement de minibus sans conducteur a eu, jusqu'ici, du mal à se hisser à la hauteur des promesses des opérateurs et des constructeurs. Le miracle de ces navettes autonomes (et électriques) capables de se frayer un chemin dans la ville sans pilotage humain était plutôt un mirage : celui d'expérimentations limitées, pas toujours convaincantes et parfois avortées. Et pourtant un vent printanier semble à nouveau souffler sur ce secteur. Partenariats, initiatives et nouveaux projets fleurissent depuis quelques semaines : 2021 pourrait être l'année du vrai frémissement de la navette autonome.
« On a un peu traversé la vallée du désespoir pendant quelques années », confie Schéhérazade Zekri, directrice des nouveaux services de mobilité chez Keolis
L'un de ces faits marquants a été, le 22 mars, la mise en service d'une navette dans le cadre du premier appel d'offres français lancé pour ce type d'opération. Le groupe Keolis, l'un des leaders mondiaux du transport public urbain et filiale de la SNCF, exploitera trois navettes du constructeur lyonnais Navya (leader avec le toulousain EasyMile) à Saint-Quentin-en-Yvelines après avoir emporté le marché mis aux « enchères » par Ile-de-France Mobilités (IDFM), l'autorité organisatrice des transports de la région capitale.
Certes, il ne s'agit, encore une fois, que d'une expérimentation limitée dans le temps (deux ans), d'abord destinée à accompagner IDFM dans la future montée en puissance du transport de surface sans conducteur. Mais le recours à un appel d'offres est plus que symbolique et les véhicules en question proposeront un service régulier, ouvert à tous, intégré, pour une partie du parcours, à la route ouverte, au milieu de la circulation.
« Pic d'espérances immodérées »
Keolis fut pionnier en France avec la première expérimentation ouverte au public en 2016, à Lyon, dans le quartier Confluence. Mais il a fallu essuyer les plâtres avant de parvenir au début de maturité qui semble se profiler aujourd'hui. « On a un peu traversé la vallée du désespoir pendant quelques années », confie Schéhérazade Zekri, directrice des nouveaux services de mobilité chez Keolis. « Comme toute technologie nouvelle, la navette autonome a généré un pic d'espérances immodérées », explique Côme Berbain, directeur de l'innovation pour le groupe RATP.
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En 2016-2017, tous les grands opérateurs (Keolis, RATP, Transdev) se sont en effet mis à lancer leurs micro-expériences de navettes suscitant l'intérêt des médias et des pouvoirs publics. Mais, rapidement, chacun s'est rendu compte que la technologie était loin d'être aboutie. Les véhicules circulaient à une vitesse de piéton, multipliant les arrêts intempestifs et semblant incapables d'aller s'aventurer dans une vraie rue.
La navette autonome Navya, garée dans le quartier d'affaires de La Défense, le 3 juillet 2017.
La navette autonome Navya, garée dans le quartier d'affaires de La Défense, le 3 juillet 2017. JACQUES DEMARTHON/AFP
Mi-2019, Keolis, Navya et IDFM ont dû d'ailleurs stopper une expérimentation majeure en cours réalisée sur le parvis de la Défense (Hauts-de-Seine), arrêtée à la demande de l'autorité locale, l'établissement public Paris-la Défense, guère convaincue par ces engins qui ne dépassent pas les 7 km/h.
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« Mais nous avons continué à travailler, assure Mme Zekri. La vitesse commerciale de nos véhicules est désormais proche des 20 km/h. Nous avons multiplié les expériences qui nous ont fait progresser : sur le campus de Rennes pour ce qui concerne l'interopérabilité entre navettes de constructeurs différents, autour du stade de l'Olympique lyonnais pour l'insertion dans la circulation, et, depuis janvier, à Göteborg, en Suède, pour tester, grâce à la 5G, la supervision à distance de navettes qui, elles aussi, circulent sur voies ouvertes. »
Cadre réglementaire assoupli
Keolis et Navya testent également, depuis octobre, leur première navette sans opérateur de sécurité à bord, à Châteauroux, sur le site privé du Centre national de tir sportif français, prémices d'un véhicule absolument autonome. De ce point de vue, le cadre réglementaire devrait rapidement s'assouplir. Les textes d'application de la loi d'orientation des mobilités (LOM) ainsi qu'un amendement à la convention de Vienne sur la circulation routière (elle harmonise les règles à l'échelon international) vont autoriser la conduite sans personnel à bord en 2021.
Keolis n'est d'ailleurs pas le seul acteur français à avoir avancé sur ce terrain. La RATP a inauguré, le 2 mars, le prolongement dans la ville de Vincennes (Val-de-Marne) de la navette autonome du bois parisien testée depuis 2017. Il s'agit cette fois de s'insérer dans le trafic routier urbain, impliquant la redoutable traversée de la très fréquentée avenue de Paris, le tout avec des navettes différentes et un objectif de vitesse moyenne de 20 km/h.
« Les technologies ont maturé et permettent maintenant d'associer le bon territoire, le bon véhicule et le bon service, souligne M. Berbain. Nous proposons, en ville dense, un service complémentaire du dernier kilomètre, comme à Vincennes ou, à partir de cet été, dans Paris, entre les gares de Lyon, d'Austerlitz et de Bercy, où nous testerons aussi l'infrastructure connectée. Et puis, cet été aussi, nous expérimenterons la navette en zone peu dense, à Saint-Rémy-les-Chevreuses [Yvelines] avec des problématiques de vitesses augmentées. »
Taxis volants autonomes
La RATP ne se contente pas de la petite navette de douze places dans sa politique de véhicules autonomes. Elle expérimente aussi un tramway, ainsi qu'un bus classique de 12 mètres sur la ligne 193, dans le Val-de-Marne, doté d'une technologie chinoise, la seule disponible (mais d'autres fournisseurs vont être impliqués, indique la RATP). Elle s'apprête aussi à tester dans quelques mois, à Pontoise (Ile-de-France), des taxis volants autonomes, espérant faire décoller des démonstrateurs à Paris en 2024.
Autre acteur majeur français du transport public, Transdev (filiale de la Caisse des dépôts) a lui aussi multiplié les expérimentations de navettes autonomes depuis cinq bonnes années. Mais son patron, Thierry Mallet, veut aller plus loin, en particulier dans la capacité à augmenter la vitesse commerciale des véhicules. C'est le sens du partenariat annoncé le 25 février entre Transdev, le groupe alsacien Lohr et l'entreprise israélienne Mobileye (filiale d'Intel).
Enfin, de nouveaux constructeurs français se lancent dans le bain de la conduite automatique, comme le groupe Bolloré, allié depuis quelques semaines avec Navya pour rendre autonome ses bus électriques de six mètres, mais également associé avec le groupe franc-comtois Gaussin, spécialiste des engins de logistique, avec lequel il a gagné, fin 2019, un concours mondial à Dubaï sur la mobilité du futur.