Il y a eu un réveil significatif. Je vois un avant et un après dans les discussions que nous pouvons avoir avec les constructeurs automobiles français. Ils sont conscients qu’il ne doit pas leur arriver sur les batteries ce qu’ils vivent avec les semi-conducteurs. Nous-même avons dressé une cartographie de nos chaînes de valeur après la crise en Ukraine, ce qui n’avait jamais été fait. Pour réaliser que 40 % de l’anthracite mondial vient de Russie ! Nous avons dû en urgence faire monter en puissance nos autres fournisseurs, mais nous aurions pu être plus diversifiés.
Avec l’accélération de la transition énergétique, il devient urgent de mobiliser de nouvelles ressources...
Nous passons d’une dépendance à l’autre. Nous n’avons pas de pétrole en France, mais nous n’avons pas plus de métaux, et la transition énergétique va en réclamer beaucoup. Les besoins en nickel devraient doubler d’ici à 2030. Ceux en lithium vont être multipliés par six. Il va falloir des centaines de milliards d’euros d’investissements pour créer ces capacités ! Et les réserves sont concentrées. 40 % des ressources mondiales de nickel sont en Indonésie. 55 % de celles de lithium se trouvent entre le Chili, l’Argentine et la Bolivie. Les Chinois ne s’y sont pas trompés. Ils n’ont pas plus de nickel, de lithium ou de cobalt que l’Europe, mais la Chine a très tôt sécurisé son accès en mettant la main sur des gisements de lithium en Amérique latine, de nickel en Indonésie, de cobalt en République démocratique du Congo...
L’Europe peut-elle revenir dans la course ?
L’Union européenne n’est pas très bonne pour deux choses : elle est extrêmement prudente pour investir en dehors de son territoire et elle n’a jamais eu de politique de matières premières. L’Alliance européenne pour les matières premières est récente. Sans parler de la Chine à nouveau, le Japon et la Corée ont des fonds de matières premières d’État depuis trente ans !
Créer un fonds d’investissement dans les matières, comme le propose le rapport Varin, est-ce une bonne idée ?
Un fonds est encore plus légitime en Europe, car il n’y a presque plus d’entreprises minières pour porter ces investissements. Mais il y a plusieurs manières de sécuriser son approvisionnement : cela peut passer par des accords entre États, des contrats de long terme comme en signent BMW et Volkswagen, des investissements dans des sociétés minières... Il faut créer tous ces réflexes.
Les constructeurs automobiles ne se réveillent-ils pas un peu tard ?
Objectivement, si. Quand nous avons mis sous cocon notre projet lithium en Argentine début 2020, nous avons proposé aux industriels de la chaîne des batteries en Europe d’investir avec nous. Nous voulions le redémarrer rapidement, pour ne pas perdre les équipes sur place. On nous a répondu qu’il n’était pas question d’investir dans la mine. Les mêmes viennent aujourd’hui frapper à la porte d’Eramet pour nous demander d’investir en « equity » dans nos projets, car c’est une façon de se couvrir contre la volatilité des prix des métaux : ce qu’ils perdent sur la hausse des prix, ils le regagnent via leur participation. Mais nous avons déjà vendu 49 % de notre projet à Tsingshan et nous ne souhaitons pas réduire notre part au-delà.
Le temps long de l’investissement minier serait-il devenu plus acceptable ?
Compte tenu de la montée en puissance des véhicules électriques, les constructeurs sont preneurs même pour des approvisionnements à partir de 2030. Ils n’ont pas le choix, puisque tout le monde leur répond la même chose ! Nous continuons à discuter avec ces groupes européens. On mène de l’exploration sur le lithium, notamment au Chili, et sur le nickel en Indonésie et en Afrique. Nous aurons d’autres projets et nous serons ravis d’ouvrir des partenariats avec des Européens.
Faut-il élargir la taxonomie européenne au secteur minier pour aider l’investissement ?
La taxonomie actuelle est contre-productive. Vous investissez dans les batteries électriques, considérées comme un secteur vert selon la taxonomie. Pour les produire, vous avez besoin de métaux, mais les mines ne sont pas incluses ! L’exercice doit être repensé. Il faut remonter la chaîne de valeur, ajouter une sorte de taxonomie pour le secteur extractif. Et pour cela définir ce qu’est la mine responsable, les niveaux de recyclage exigés et avoir une traçabilité carbone. Mais pas seulement. L’Europe doit imposer qu’elle n’acceptera pas de matières premières sans certification, en laissant aux entreprises le temps de se mettre à ces standards. Il n’y a pas de règle aujourd’hui qui interdise l’importation de cobalt de République démocratique du Congo, où des mines recourent au travail des enfants. Ce sont les entreprises qui prennent des engagements pour ne pas acheter ce cobalt.
Les prix des métaux critiques ont fortement augmenté. Faut-il y voir une bulle ?
Une partie de la hausse des prix des métaux est conjoncturelle. Elle est liée à la flambée des coûts de l’énergie engendrée par la guerre en Ukraine et de ceux du fret, toujours engorgé depuis le Covid. Tout cela va rentrer dans l’ordre. Mais on ne reviendra pas aux prix de l’électricité et du gaz qu’on a connus par le passé. La demande en métaux pour la transition énergétique oblige par ailleurs à faire de nouveaux investissements. Il va falloir rentabiliser des projets intensifs en capital. Dernier élément : passer à l’hydrogène, faire de la capture de carbone coûte plus cher. Il ne faut pas rêver. À la fin, c’est le consommateur qui paiera.
Grâce aux prix élevés des métaux, Eramet s’est désendetté. Le groupe accélérera-t-il son repositionnement stratégique ?
Nous espérons continuer à nous désendetter en 2022. Avec la cession d’Aubert & Duval, nous serons sortis à la fin de l’année de toutes les activités de transformation des métaux et nous serons un pur acteur de la mine et de la métallurgie extractive. Nous avons les bons métaux, produits de façon responsable. On coche toutes les cases pour devenir un acteur de premier plan de cette transition énergétique. Notre situation financière améliorée va nous permettre d’accélérer nos projets en cours. Nous voudrions rapidement lancer une deuxième tranche équivalente de notre projet lithium en Argentine, au stade de l’étude. Nous devons aussi prendre une décision d’ici à la fin de l’année sur l’investissement dans le projet Sonic bay en Indonésie, porté à 51 % par Eramet et 49 % par BASF. Cette usine hydro-métallurgique récupérera des sels de cobalt et de nickel pour les batteries. On parle d’un projet de plusieurs milliards d’euros.
Où en est le plan de redressement de?la?SLN, en Nouvelle-Calédonie ?
On progresse, mais lentement. Après le référendum sur l’indépendance, nous avons obtenu une autorisation d’exportation de 6 millions de tonnes [de minerai basse teneur, que la SLN (Société Le Nickel) ne peut pas transformer en ferronickel, ndlr]. Cela permet d’équilibrer mieux le modèle. Il nous manque un accès à une énergie meilleur marché pour l’usine de Doniambo. Lorsque je suis arrivée à la tête d’Eramet, on parlait d’un remplacement de la vieille centrale au fioul en 2022. Rien n’a avancé. Nous avons fait venir une centrale sur barge qui sera accostée en août, ce qui sécurisera l’approvisionnement de l’usine, mais ne résoudra pas le problème du prix. Au moins, au cours actuel du nickel, la SLN ne perd pas d’argent.
Peut-on relancer des mines en France ?
Le discours a clairement bougé du côté des autorités. Mais je suis sceptique sur la faisabilité. Il existe des mines responsables en Suède, où les sites sont loin des zones peuplées. Il y a peu de sites comme cela en France. L’acceptabilité sociale sera difficile. On veut bien des mines, mais pas à côté de chez soi, comme les éoliennes.
Eramet a le projet d’extraire du lithium des saumures de la géothermie en Alsace. Ce serait plus acceptable ?
La différence, c’est que la géothermie existe déjà. On ne fore pas de nouveau puits uniquement pour le lithium. Mais il y a un inconvénient : le lithium dans le bassin rhénan est très peu concentré. Il faut pomper beaucoup, avec de nombreux puits reliés par pipelines pour avoir une usine d’une taille minimum. Et comme on réinjecte la saumure, on se demande si sa concentration ne s’appauvrit pas avec la dilution. Tout dépend du prix. Avec un lithium à long terme autour de 10 000 ou 13 000 dollars, la géothermie n’est pas rentable. À 17 000 ou 18 000 dollars, cela devient intéressant. Mais cette source restera mineure par rapport aux enjeux d’approvisionnement de la France. Au mieux, on couvrirait 10 à 15 % des besoins.
Investirez-vous davantage dans le cobalt ?
On ne fait pas d’exploration de cobalt en tant que tel. Je suis réservée sur l’intérêt d’en produire beaucoup plus, puisque les chercheurs essaient de le substituer au maximum dans les nouvelles générations de batteries en raison des coûts et des droits humains. Nous investissons surtout sur le nickel – dont le besoin monte au fur et à mesure que se réduit celui de cobalt – et le lithium, qui est commun à toutes les technologies.
Le recyclage peut-il monter en puissance ?
Nous avons une vraie technologie pour le recyclage des batteries. Mais comment l’écosystème va-t-il se construire ? Ce n’est pas encore clair. Être transformateur à façon pour l’automobile, si le marché s’oriente vers cela, ne m’intéresse pas beaucoup. C’est autre chose si Eramet achète puis revend la matière. Aujourd’hui, beaucoup de modèles sont testés. Pour le moment, il faut payer pour faire recycler. Demain, avoir accès à des métaux issus du recyclage aura une valeur.