Mes chers homoglottes,
Il arrive que souvent nous réhabilitions ici des mots, non pas tant pour leur intérêt intrinsèque, mais pour leur capacité à supplanter dautres mots bien moins méritants. Cest le cas aujourdhui avec le mot « gougnafier », qui peut avec bonheur se substituer, dans les échanges dinvectives, à la monotone et fade kyrielle des « con.nard », « en.culé », et autres « fils de p.ute ».
Un gougnafier, cest un bon à rien, un rustre, un goujat.
On dit : « Il s'est conduit comme un gougnafier », et on le raye de la liste de ses amis. Ou bien on dit : « Tu nes quun sinistre gougnafier », et « il » vous raye de la liste de ses amis, ce qui revient sensiblement au même.
Le gougnafier na pas de féminin. Non que sa formation soit délicate on formerait aisément la gougnafière sur le gougnafier comme on a formé la greffière sur le greffier, la truffière sur le truffier ou la montgolfière sur les frères Montgolfier -, mais tout simplement parce que les femmes ne sabaissent jamais à des comportements aussi répréhensibles que les hommes. Au music-hall, une telle affirmation est toujours suivie dun chur dhommes sécriant « Ouh hou », quon appelle une bronca, clameur dindignation qui, elle na pas de masculin.
Paradoxalement, le gougnafier ne manque pas damis, disons de proches, pour être plus juste : il y a le malappris, le rustaud, le mufle, le butor, le balourd, le goujat, le sauvage, le pignouf, si sympathique, le rustre, et même, me souffle-t-on, le pétrousquin, qui viendrait de largot des saltimbanques. Chacun, naturellement, a son identité propre, ses nuances spécifiques, mais ils forment, tous ensemble, une belle bande de malotrus.
Le gougnafier a des amis, mais a-t-il des voisins ? Oui ; dans le dictionnaire, le gougnafier a deux voisins du dessus remarquables, et deux voisins du dessous un peu moins recommandables. Au dessus, la gouge, outil de menuisier ou de sculpteur, et la gougère, tarte au fromage. En dessous résident la g.ouine, pros.tituée ou homo.sexuelle, suivant les époques, et le goujat, son ami de toujours, « homme sans usage manquant de savoir-vivre et dhonnêteté, et dont les indélicatesses sont offensantes ». Cette cage descalier est une poudrière, formée sur poudrier.
- Simone, jai fait à peu près le tour des noms doiseaux consacrés aux messieurs, mais vous, les femmes, comment nommez-vous vos congénères lorsque vous souhaitez les stigmatiser ?
- Oh je ne sais pas trop, il ny a pas tellement de mots pour ça, jen vois bien un ou deux, mais
- Dis toujours !
- Oâff ! On dira vieille bique, catin, chameau, charogne, chienne, chipie, commère, je ne sais pas, moi
diablesse, furie, garce, gaupe, gorgone, grognasse, harengère
tu sais, je nai pas lhabitude
harpie, maquerelle, maritorne, mégère, pisse-vinaigre, poissarde, pouffiasse, rombière, souillon, vipère, virago,
non, décidément, je ne vois pas
Tu sais, nous les femmes, nous ne sommes pas belliqueuses comme vous, les hommes !
- Ouh ouououh
Chers homoglottes de tous sexes, serrez les coudes et les rangs, car nous sauverons prochainement le mot bugrane. La bugrane, « genre de plantes légumineuses dont une espèce possède de longues racines qui offrent une grande résistance à la charrue ».
Tiens, ça nous ferait une bonne insulte, ça : bugrane !