
Patrice Caine, PDG de Thales
Patrice Caine, président-directeur général de Thales , a accordé un entretien au Revenu.
Le Revenu : La volonté de réarmement de l'Europe signe-t-elle un changement de paradigme dans la défense, où le groupe réalise la moitié de ses revenus ?
Patrice Caine : Les tensions géopolitiques font partie des tendances de fond dans le monde.
En 2022, la guerre en Ukraine avait déjà constitué un point d'inflexion en matière de priorités en Europe en rappelant la nécessité d'investir dans la défense.
En plébiscitant les valeurs exposées à ce domaine, comme Thales, les investisseurs se sont montrés en grande partie rationnels.
Dans leurs modèles de valorisation, le fait d'augmenter, même de façon limitée, la croissance prévisionnelle à l'infini impacte de manière significative la valeur boursière terminale de l'entreprise.
L'évolution récente de notre cours de Bourse vient de l'acceptation par les analystes d'un taux de croissance plus élevé au-delà de 2028, échéance de notre plan stratégique.
En novembre dernier, lors de notre journée investisseurs, nous avions annoncé avoir devant nous au moins une décennie de croissance dans la défense.
L'évolution de la position de l'Europe, qui doit encore se matérialiser par des contrats, modifie la conviction des analystes, qui revoient leur taux de croissance à l'infini, et donc significativement leurs objectifs de cours.
Cela permet également d'expliquer l'intérêt des investisseurs pour le secteur, et la forte hausse des cours de Bourse qui en a découlé.
D'un point de vue industriel, cela ne changera toutefois rien pour Thales à court terme, compte tenu de notre carnet de commandes de 35 milliards d'euros de contrats dans la défense, représentant à lui seul 3,5 années de chiffre d'affaires dans ce domaine.
À moyen terme, cela renforcerait notre visibilité.
Son parcours
Patrice Caine,
Président-directeur général
- Patrice Caine, 52 ans, est diplômé de Polytechnique et de l'École des mines de Paris. Il a débuté le groupe pharmaceutique Fournier.
- En 2002, il rejoint la direction de la stratégie de Thales avant d'occuper des postes de direction dans plusieurs divisions.
- DG opérations et performance à partir de 2013, il est PDG depuis fin 2014.
- Il est aussi administrateur de Naval Group et de L'Oréal.
Le Revenu : Quel est votre plan de restructuration pour l'activité spatiale, qui souffre de la chute du marché des satellites télécoms ? Une alliance avec Airbus est-elle en vue ?
Patrice Caine : La voie interne choisie est claire et reste notre priorité.
Il s'agit d'adapter Thales Alenia Space (coentreprise détenue à 67% par Thales et à 33% par l'italien Leonardo) à la nouvelle donne du marché des télécommunications, notamment en redéployant 1.300 salariés au sein de Thales.
En parallèle, nous menons des discussions préliminaires avec Airbus et Leonardo afin d'explorer une potentielle collaboration dans le spatial.
Le sujet est complexe, d'un point de vue industriel et technologique, mais aussi en termes de contrôle des concentrations et des gouvernements concernés, qui représentent une large majorité de nos clients.
Cercle vertueux à préserver
Le Revenu : Avez-vous la capacité de continuer à combiner investissements en recherche et développement (RetD), acquisitions et retour aux actionnaires ?
Patrice Caine : Oui. Je mets au crédit de l'actuelle équipe de direction de s'être fixé comme objectif de doter le groupe d'une culture de la performance économique au même niveau qu'il avait une culture de l'excellence technologique et de l'innovation.
Ma conviction est que l'on pouvait conjuguer les deux. Et nous y sommes parvenus.
L'an dernier, Thales a généré 2,4 milliards d'euros de trésorerie. Ce cash est en partie retourné à nos actionnaires, au travers du dividende et de rachats d'actions.
'' À l'horizon de 2028, Thales prévoit d'investir 5 milliards d'euros annuels dans la RetD. '
Patrice Caine
Patrice Caine, PDG
Nous avons aussi montré notre faculté à accroître à la fois notre profitabilité et nos investissements, notamment en RetD. Voire même que l'un augmente l'autre.
Depuis dix ans que je dirige le groupe, nous avons ainsi fait passer la marge opérationnelle de 7-8% à un record de près de 12% l'an passé, tout en faisant progresser chaque année la RetD en valeur absolue et en pourcentage des ventes.
À l'horizon de 2028, Thales prévoit d'investir 5 milliards d'euros annuels dans la RetD.
Le Revenu : Quel est le sens de votre politique de croissance externe ciblée ?
Patrice Caine : En 2024, nous avons finalisé deux acquisitions stratégiques - Cobham Aerospace Communications et Imperva - pour 4,3 milliards d'euros au total.
Thales a la chance de conserver un fort potentiel de développement, en particulier dans l'avionique, la cybersécurité et la défense.
Cobham, spécialisé dans les solutions de communications et de connectivité sécurisée des cockpits, est une parfaite illustration de rapprochement synergétique : la société nous a permis de compléter notre portefeuille produits dans l'avionique en apportant une activité de grande qualité avec de nombreuses synergies à la clé.
Notre stratégie consiste à privilégier des opérations de croissance externe ciblées - c'est-à-dire facile à intégrer - et dans notre coeur de métier.
Ce qui compte pour nos investisseurs, c'est de ne pas surpayer ces acquisitions au regard des qualités de l'entreprise rachetée et de créer de la valeur sur l'horizon de temps fixé.
Ils nous font confiance, car nous avons démontré notre capacité à réaliser ce que nous avions promis, y compris pour une acquisition ayant une valeur d'entreprise importante comme Imperva, acquise 3,6 milliards de dollars et ayant environ 500 millions de revenus.
En pointe dans la cybersécurité
Le Revenu : L'américain Imperva a fait monter le chiffre d'affaires à 2 milliards d'euros dans la cybersécurité. Comment vous positionnez-vous sur ce marché en plein boom ?
Patrice Caine : Nous figurons désormais parmi les cinq premiers acteurs mondiaux dans la cyber.
Dans ce domaine, nous avons fait le choix stratégique distinctif et positif d'aller de manière prioritaire et majoritaire vers des produits logiciels, dédiés à la protection des données sensibles et des applications, ainsi que la gestion et la sécurisation des accès à ces données.
Quant aux services cyber, l'objectif est de monter en gamme avec une offre premium. Dans les services, les barrières à l'entrée sont toutefois moins élevées que dans les produits, qui bénéficient d'efforts de RetD.
Les modèles économiques et l'intensité en capital humain des deux métiers ne sont pas du tout les mêmes.
De plus, leurs profils financiers sont très différents. Dans la cybersécurité, on parle d'ailleurs de la «règle des 30» : si l'on additionne le pourcentage de croissance et de rentabilité, on arrive le plus souvent à trente.
Cela se vérifie pour Imperva, qui dégage environ 20% de rentabilité et 10% de croissance.
Propos recueillis par Philippe Benhamou
Source LeRevenu.com
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