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L’homme le plus riche du monde peut-il être renvoyé de l’entreprise qu’il possède ?
information fournie par The Conversation 03/06/2025 à 16:00

Un autocollant apposé sur le capot d'une voiture électrique Tesla affiche le message : «J'ai acheté ça avant qu'Elon ne devienne fou.» Le 29 avril 2025, à Berlin.  (crédit : SEAN GALLUP / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP)

Un autocollant apposé sur le capot d'une voiture électrique Tesla affiche le message : «J'ai acheté ça avant qu'Elon ne devienne fou.» Le 29 avril 2025, à Berlin. (crédit : SEAN GALLUP / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP)

En se rapprochant du président des États-Unis et en devenant son Doge -(poste qu'il vient de quitter) Elon Musk semblait avoir tout réussi et cumulé tous les pouvoirs : politique, économique, idéologique… Patatras ! En quelques semaines, son implication politique a eu des répercussions sur ses activités de chef d'entreprise de Tesla . La marque a été chahutée, au point qu'il est devenu possible de se poser une question qui aurait semblé impensable il y a six mois encore : et si l'avenir de Tesla se faisait sans Musk ? Est-ce souhaitable ? Possible ?

Le 1er mai 2025, le Wall Street Journal publiait un article selon lequel le conseil d'administration de Tesla avait entamé des démarches pour remplacer Elon Musk au poste de directeur général. L'annonce était aussitôt démentie par l'intéressé mais aussi par la présidente du conseil d'administration, Robyn Denholm, qui assurait que l'ensemble des administrateurs maintenait sa pleine confiance dans l'actuel directeur général. Cette annonce, qui semble avoir fait long feu, est l'occasion de revenir sur le fonctionnement de la gouvernance des grandes entreprises et de voir si, techniquement un actionnaire important, fût-il l'homme le plus riche du monde, peut être renvoyé l'entreprise qu'il dirige.

Pour rappel, Elon Musk dirige trois sociétés : SpaceX qu'il a fondé en 2002, Tesla, dont il a pris le contrôle entre 2004 et 2008 et X (ex-Twitter) qu'il a racheté en 2022. Sa fortune provient essentiellement des actions Tesla dont la valorisation spectaculaire en 2024 a fait de lui l'homme le plus riche du monde. Toutefois, le cours de l'action Tesla s'est depuis effondré, atteignant un plus bas à 221 $ en avril 2025 contre 479 $ en décembre 2024. Dans le même temps, la société affichait des ventes en recul de 13 % et des bénéfices en chute de 71 %. Très fortement engagé auprès de Donald Trump et de son administration, Elon Musk est régulièrement accusé de nuire à l'image de marque du constructeur et, surtout, d'avoir délaissé la gestion quotidienne de la compagnie. C'est dans ce contexte que prennent place les révélations du Wall Street Journal.

Du déjà-vu

L'histoire du monde des affaires fourmille d'exemples de dirigeants actionnaires qui ont été contraints à la démission. Pour s'en tenir à l'univers de la Tech, on se rappelle que ce fut le cas de Steve Jobs, qui, bien que fondateur et actionnaire d'Apple, avait été poussé vers la sortie par le directeur général de l'époque, John Sculley, soutenu par le conseil d'administration. Larry Page et Sergei Brin, les fondateurs de Google, ont eux aussi très tôt laissé les rênes de la firme à un manager expérimenté, Eric Schmidt choisi par le conseil d'administration pour mener à bien l'introduction en bourse de la société. Les deux fondateurs d'Uber, Travis Kalanick et Garrett Camp, ont été progressivement écartés au point, aujourd'hui, de ne même plus être administrateurs de la société.

Elon Musk n'a pas fait autre chose à la tête de Tesla. Arrivé comme investisseur en 2004, il entre au conseil d'administration et en devient le président. Quelques années plus tard, il force le fondateur et directeur général, Martin Eberhard, à la démission. Après deux directeurs généraux intérimaires, il prend lui-même la direction exécutive de Tesla en 2008, cumulant les fonctions de président et de directeur général jusqu'en 2018, date à laquelle il est contraint, par la Securities and Exchange Commission d'abandonner la présidence du conseil d'administration. Ces différents exemples montrent bien qu'il ne suffit pas d'être actionnaire, ni même de détenir la majorité des droits de vote, pour diriger une société par actions. Il est primordial d'avoir l'appui du conseil d'administration car c'est cette instance qui, au final, fait et défait les directeurs généraux.

Les conseils d'administration : le vrai pouvoir

Les sociétés par actions ne sont pas des propriétés privées de leurs dirigeants mais des entités autonomes ayant une personnalité juridique et une existence propres. Les actions ne sont pas, en effet, des titres de propriété mais des droits sur la société. Les actionnaires, même quand ils possèdent la majorité des droits de vote, ne peuvent faire ce qui leur semble bon. Ils ne peuvent même pas pénétrer dans l'entreprise pour y prendre un boulon. Celui-ci appartient à la société non à eux. Les actionnaires ne sont donc pas les dirigeants par défaut ou par principe des sociétés par actions.

Cette fonction est dévolue au conseil d'administration, certes élu par les actionnaires, mais qui n'est pas, contrairement à ce qu'affirme la théorie économique dominante, au service de ces derniers. Les administrateurs ne représentent pas les actionnaires mais la société, dont ils sont les mandataires sociaux, c'est-à-dire les personnes qui sont habilitées à penser et à agir au nom de la société. S'ils suivent des politiques qui vont dans le sens des actionnaires, c'est qu'ils y trouvent leur intérêt, non qu'ils y soient légalement tenus. Leur pouvoir sur la société est très étendu : ils décident des grandes orientations stratégiques, établissent les comptes, proposent les dividendes, décident des émissions d'actions nouvelles et surtout nomment le directeur général. Leur autonomie est telle qu'ils sont en mesure de se coopter entre eux et de faire valider leur choix par les assemblées générales. C'est pourquoi il est important de se tourner vers la composition du conseil d'administration de Tesla pour comprendre comment Elon Musk a construit sa position de directeur général.

La valeur de l'entre-soi

L'examen de la composition du conseil d'administration de Tesla montre, à première, vue des administrateurs totalement acquis à la cause s'Elon Musk. On y trouve tout d'abord Kimbal Musk, son frère, membre du conseil depuis 2004. Il a jusqu'à présent été loyal envers son aîné même si, contrairement à lui, il n'a pas renié ses convictions démocrate et écologiste. Ira Ehrenpreis est l'un des tous premiers investisseurs de Tesla. Présent au conseil d'administration depuis 2006, il peut être considéré comme un fidèle soutien. Robyn Denhom, la présidente du conseil d'administration, a été choisie par Elon Musk pour prendre sa place quand il a été contraint d'abandonner la fonction. Australienne d'origine, Robyn Denhom était assez peu connue du monde des affaires américain avant de devenir administratrice puis présidente de la compagnie. James Murdoch, administrateur depuis 2017, est le fils du magnat de la presse Robert Murdoch dont la chaine Fox News est un soutien indéfectible de Donald Trump. Joe Gebbia, administrateur depuis 2022, est le co-fondateur de Airbnb. Il a rejoint Elon Musk au Département de l'efficacité gouvernementale en février dernier.

Kathleen Wilson-Thompson a fait toute sa carrière dans l'industrie pharmaceutique comme directrice des ressources humaines. Elle est sans doute l'administratrice la plus éloignée d'Elon Musk mais apportant au conseil le quota de féminisation et de diversité qui lui manque par ailleurs. Jeffrey Brian Straubel, enfin, est l'ancien directeur technique de Tesla. Présent dès les origines, il se flatte d'avoir été le cinquième employé de la société. Sa nomination en 2023 a fait grand bruit en raison des liens jugés trop étroits avec Elon Musk. Que ce soit par fraternité, idéologie ou carriérisme, les motifs de soutien à Elon Musk ne manquent pas. Ils sont encore renforcés par une politique de rémunération particulièrement généreuse à l'égard du conseil d'administration dont les membres s'attribuent régulièrement d'importants plans de stock-options. Robyn Denholm est ainsi la présidente la mieux rémunérée de l'ensemble des sociétés cotées américaines.

Les murs s'effritent

Elon Musk n'est pas en reste bénéficiant de plans d'actions très avantageux octroyés par le conseil d'administration. Il existe entre Elon Musk et son conseil un circuit d'enrichissement réciproque qui n'est pas sans rappeler les relations d'interdépendances décrites par le sociologue Norbert Elias à propos de la cour de Louis XIV tant les chances de profits de l'un sont liées à celles des autres. Ainsi que le rapportait récemment Olivier Alexandre, un autre sociologue, de la bouche d'un journaliste spécialiste de la Silicon Valley : « Si tu veux comprendre ce qui se passe ici, il faut suivre l'argent ».

Or, les flux d'argent se sont récemment taris chez Tesla. En premier lieu, des décisions de justice ont remis en question les rémunérations que les mandataires sociaux s'étaient attribuées. En novembre 2024, la cour du Delaware a annulé le plan d'actions attribué à Elon Musk en 2018 qui lui aurait permis d'empocher 58 milliards $, au motif que les actionnaires n'avaient pas été correctement informés.

En janvier 2025, la même cour du Delaware constatait que les administrateurs de Tesla s'étaient indûment enrichis au détriment des actionnaires et approuvait un accord par lequel les premiers s'engageaient à rembourser près d'un milliard de dollars. Dans le même temps, alors que le cours de l'action de Tesla commençait à baisser, de nombreux administrateurs se sont délestés de leurs actions, quitte à accélérer la chute. Était-ce pour faire face à leur récente condamnation ou bien pour ne pas risquer de trop perdre ? Le fait est qu'ils ont vendu dans un contexte peu favorable et envoyé un signal très négatif aux investisseurs.

Une fidélité gagée sur la rémunération ?

Ainsi, la présidente, Robyn Denhom, a vendu pour 200 millions $ d'actions depuis le mois de décembre 2024, Kimbal Musk s'est séparé de 75 000 actions Tesla pour la somme de 28 millions $ en février 2025, James Murdoch a à son tour a vendu 54.000 actions en mars 2025 pour 13 millions $ contribuant à la plus forte baisse journalière du titre. En mai, alors que le cours de l'action était bien remonté, c'est Kathleen Wilson-Thompson qui vend pour 92 millions $ d'actions Tesla. La fidélité des administrateurs à l'égard d'Elon Musk a donc ses limites qui sont visiblement la crainte de ne pas s'enrichir assez.

La réponse à la question initiale de savoir si l'homme le plus riche du monde peut être renvoyé de l'entreprise qu'il dirige, fût-il le premier actionnaire, est donc oui. Les statuts juridiques de la société par actions confèrent la capacité de nommer ou de révoquer le directeur général aux administrateurs non aux actionnaires. Ce sont donc les rapports sociaux entre le conseil d'administration et le directeur général qui décident du sort de ce dernier. Dans le cas de Tesla, l'argent y jouait un rôle central, il n'est donc pas étonnant qu'ils soient entrés en crise au moment où la société commençait à connaître des difficultés financières. Le fonctionnement du conseil d'administration de Tesla est certainement peu ordinaire mais il invite à se demander si le fondement du pouvoir économique dans les sociétés par actions ne repose pas tant sur l'argent détenu que sur celui que l'on peut faire gagner.

François-Xavier Dudouet
Directeur de recherche sociologie des grandes entreprises, Université Paris Dauphine – PSL


Cet article est issu du site The Conversation

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5 commentaires

  • 03 juin 20:06

    le probleme ce n'est pas E.Musk mais BYD


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