Aller au contenu principal Activer le contraste adaptéDésactiver le contraste adapté
Plus de 40 000 produits accessibles à 0€ de frais de courtage
Découvrir Boursomarkets
Fermer

Finance verte, cyberjetons... comment le vocabulaire financier se francise face aux anglicismes
information fournie par Newsmanagers 23/08/2023 à 10:30

(Crédits photo : Adobe Stock  - Peshkova )

(Crédits photo : Adobe Stock - Peshkova )

(NEWSManagers.com) - Les sociétés d'acquisition à vocation spécifique (SAVS) et les jetons identifiants (JID) n'ont pas la cote auprès des investisseurs. Avant le 1er juillet, pour écrire cette phrase, L'Agefi aurait probablement utilisé les expressions «société chèque en blanc» et «jeton non fongible» afin de se référer à leurs concepts anglophones respectifs special purpose acquisition company (Spac) et non-fungible token (NFT).

Mais le 1er juillet, telle une promotion de la Légion d'Honneur, une liste d'une vingtaine de termes a été publiée par la Commission d'enrichissement de la langue française au Journal officiel. Il s'agit d'équivalents français, avec leurs définitions, de termes anglo-saxons du monde de l'économie et des finances. Adieu donc Spac et NFT, bonjour SAVS et JID ?!

La Commission a entre autres missions celles de favoriser l'enrichissement de la langue française, de développer son utilisation dans moult activités et d'améliorer sa diffusion en proposant des termes et expressions nouveaux pouvant servir de référence. Pour mettre à jour le vocabulaire économique et financier, elle peut s'appuyer sur divers piliers dont le Collège de terminologie de l'économie et des finances, présidé par Pierre-Charles Pradier, chercheur associé au Centre d'économie de la Sorbonne.

Ce collège réunit à la fois des experts techniques de diverses institutions (AMF, ACPR, Banque de France, CDC, etc) et de directions et services ministériels (Trésor, budget, etc), des membres de droit rattachés aux instances régissant la langue française (Direction générale de la langue française et des langues de France, Haut fonctionnaire chargé de la terminologie et la langue française, Académie française, Afnor, etc) et des personnalités qualifiées.

«Durant les réunions plénières du collège, les experts de l'économie et de la finance parlent aux terminologues en vue d'élaborer des définitions. Le cœur de notre travail se porte davantage sur les définitions que le choix des termes en français. Les économistes apportent leur vision technique et les terminologues leur savoir de définir les termes dans un dictionnaire et de rendre cela compréhensible par un public non-spécialiste. C'est assez dense mais très concentré sur les questions de rédaction», résume Pierre-Charles Pradier à L'Agefi.

Triple canal

Quelque 361 termes ont déjà été définis et traduits pour le domaine de la finance uniquement et sont accessibles sur le site internet France Terme. Le collège, qui se réunit tous les trimestres, dispose d'une liste de 50 à 100 termes en cours d'examen, en traite une quinzaine lors de chaque réunion.

Après les réunions viennent les séances de la Commission d'enrichissement de la langue française, avant-dernière étape avant la publication des nouveaux mots au Journal officiel et leur inscription sur FranceTerme. Le collège y participe environ deux fois par an. Pour la sélection des termes à définir et traduire, trois canaux sont utilisés.

Les membres du collège réalisent d'abord une veille permanente et dressent une liste de mots avant d'évaluer la priorité de les définir et de les traduire. France Terme constitue une deuxième source. Tout un chacun peut y suggérer des idées via une boite à idées. Les termes peuvent aussi affluer du réseau.

«Par exemple, celui du ministère de la Culture car la direction générale de la langue française reçoit des demandes de traitement en direct de la part d'associations professionnelles qui veulent faire reconnaitre leur langage professionnel», précise Pierre-Charles Pradier, secondé dans sa tâche par Didier Marteau, professeur à l'Ecole supérieure de commerce de Paris.

Avant d'élaborer définitions et équivalents, le collège regarde à l'étranger. Il sonde les terminologues de la Commission européenne qui l'informent des textes mis à l'ordre du jour et des choix d'interprétation effectués par les juristes linguistes. Il tient aussi compte des travaux de l'Office canadien de la langue française. «Les traductions québécoises sont dynamiques et créatives pour un grand nombre de termes, mais la finance de marché et la banque ne semblent pas des priorités de terminologues québécois», nuance cependant le président du collège. «Si des définitions et des équivalents existent déjà, il nous faut vraiment une raison très forte pour que nous décidions d'en créer d'autres», dit-il.

De la difficulté de définir

Pierre-Charles Pradier distingue deux types de définitions. Les définitions simples qui doivent être comprises du grand public, pour lesquelles il faut éviter de tomber dans une logique de marketing. Et les définitions techniques qui peuvent ne pas être totalement fidèles aux aspects techniques, la compréhension primant sur la technicité. Les définitions les plus simples sont souvent les plus difficiles, soutient-il en prenant l'exemple de « finance verte », terme officialisé en juillet aux côtés des termes «actifs condamnés» (stranded assets), «finance climatique» ou encore «obligation verte»

Le concept de «finance verte» a été défini comme l'ensemble des activités financières publiques ou privées qui sont destinées à contribuer à la protection de l'environnement et à l'amélioration des conditions environnementales. «Nous nous sommes arrachés les cheveux sur l'emploi de « destinées à », notamment parce que les activités du marché secondaire ne contribuent plus à proprement parler à des objectifs environnementaux», confie le président du collège de terminologie Economie et Finances.

Les débats sont tout aussi ardus sur les concepts de finance verte actuellement examinés. «Les sustainability-linked bonds nous donnent du fil à retordre car les membres non financiers du collège trouvent choquant de caractériser comme durables des produits car la rémunération est liée à des objectifs ou indices environnementaux même s'il n'y aucun projet de contribuer à des objectifs environnementaux. Les social bonds et l'impact investing sont tout aussi compliqués à définir. La difficulté réside dans la compréhension de la structuration de ces produits. Les définitions et équivalents de ces termes sont en cours d'élaboration», raconte Pierre-Charles Pradier

Cryptos à la française

La dernière liste de mots publiée au JO fait également la part belle aux termes désignant l'écosystème des crypto-actifs.

Là encore, les définir n'a pas été une mince affaire. «La difficulté originelle sur les cryptos, c'est que tout le monde les a définis d'emblée comme des crypto-monnaies alors qu'elles ne sont pas des monnaies, même si ça a été un coup marketing génial de faire passer les jetons pour des monnaies. Ce n'est pas tant la technicité des protocoles qui pose problème dans la définition mais les interprétations économiques qui peuvent être liées aux cryptos», explique le président du collège. Des définitions de 2017 ont dû être ajustées.

Les experts ont aussi marqué le coup vis-à-vis de certains anglicismes comme proof of stake en le traduisant par « preuve par l'enjeu » au lieu de « preuve d'enjeu » habituellement utilisé. «En termes de technicité, la preuve par l'enjeu désigne des algorithmes dont les modalités peuvent être différentes. Il fallait savoir jusqu'où nous pouvions « trahir » certaines de ces modalités pour donner l'idée générale (...) Nous avons gardé preuve car nous sommes obligés de suivre l'usage mais il fallait introduire une nuance. Le lecteur devait comprendre que ce qui est prouvé, ce n'est pas l'enjeu mais que l'on parle ici d'un algorithme qui détermine le droit d'écrire en fonction de l'enjeu», explique Pierre-Charles Pradier.

Prochain terme majeur sur la liste pour le collège : fintech. Les terminologues essaient de faire valider la définition qui sous-tend le terme. Non sans difficultés. «En réalité, le terme fintech ne va pas de soi» , relève le président du collège. Le terme est effectivement utilisé pour désigner une entreprise fintech ou le secteur. Mais les définitions de fintech que l'on trouve à l'international, constate-t-il, se rapportent à la notion d'innovation et non à celle d'un type d'entreprises en particulier. L'équivalent ne devrait néanmoins pas rejoindre la liste des termes refoulés par les commissaires, qui ont par exemple retoqué « générateur de scénarios économiques risque-neutre et « probabilité de risque-neutre ».

Adrien Paredes-Vanheule

1 commentaire

  • 23 août 13:14

    Amusant, un petit goût de résistance québécoise.


Signaler le commentaire

Fermer

Mes listes

Cette liste ne contient aucune valeur.