L'effondrement des Bourses américaines lundi à la suite du développement d'un modèle d'intelligence artificielle (IA) chinois performant pourrait annoncer le début d'une vaste rotation au sein des indices actions américains, bien que de nombreuses incertitudes demeurent, selon des gérants.
La startup chinoise DeepSeek a annoncé la semaine dernière avoir développé un robot conversationnel capable de rivaliser avec ChatGPT, référence américaine de l'IA, à un coût jusqu'à 10 fois moindre, remettant en cause l'hégémonie technologique des États-Unis.
Lundi, le Nasdaq a chuté de 3,07%, tandis que le secteur des semi-conducteurs .SOX s'est effondré de 9,2%, sa plus forte baisse depuis mars 2020.
C'est que les annonces de DeepSeek ont matérialisé les inquiétudes autour des valorisations très élevées des actifs américains et au positionnement acheteur important - une analyse de BofA montre que la stratégie la plus populaire demeure, depuis au moins juin dernier, l'achat des "7 Magnifiques", sept plus grandes capitalisations américaines exposées à l'IA.
"L'évènement de lundi permet de rebalancer les portefeuilles exposés à l'IA", constate un gérant qui hésite toutefois sur le moment à choisir pour réduire davantage son exposition à Nvidia.
"Tactiquement et après sa chute, la technologie pourrait bien se comporter les prochaines séances, sans compter que les résultats de Meta Platforms et Microsoft sont attendus mercredi", explique le spécialiste qui préfère, comme ses confrères, s'exprimer anonymement dans un contexte "très incertain".
La correction est par ailleurs à relativiser : Nvidia a certes chuté de 17% lundi, retrouvant son niveau d'octobre 2024, mais demeure onéreux à 47 fois son ratio de cours sur bénéfices, contre 27,5 fois pour l'indice S&P 500, selon des données LSEG.
La vente ne s'est par ailleurs pas faite de manière indiscriminée: Microsoft n'a perdu que 2,1%, tandis que Meta Platform a grignoté 1,9% lundi.
Les groupes offrant des modèles d'IA basé sur du texte ont en revanche reculé de manière plus marqué, Google perdant 4,2% sur la séance.
En effet, l'avancée de DeepSeek, si elle se confirme, est marquée par des besoins plus faibles en inférence - tâches qui exigent beaucoup de mémoire et donc de semiconducteurs- ainsi que par des prix facturés aux clients finaux inférieurs de 50% à 80% aux prix pratiqués actuellement, selon des analystes.
Une autre inconnue tient à la manière dont DeepSeek a entraîné son modèle R1. La startup chinoise pourrait avoir employé des puces reprogrammées de Nvidia, ce qui pousserait les États-Unis à limiter encore davantage les ventes à la Chine, estiment des observateurs.
Un analyste explique qu'une interdiction totale des exportations de puces vers la Chine est envisageable, et qu'elle amputerait de 15 à 20 milliards d'euros le chiffre d'affaires de Nvidia en 2026. Le spécialiste estime toutefois qu'il est encore trop tôt pour mesurer l'ampleur d'un recul de la demande en puces mémoire.
ROTATION
Le désengagement des investisseurs des entreprises en situation jusqu'ici de quasi-monopole sur les infrastructures et l'offre d'IA pose la question d'une rotation vers d'autres groupes.
"Un élargissement de la performance au reste du secteur technologique est possible", constate un gérant spécialisé, estimant par exemple que l'offre logicielle de Microsoft demeure attrayante et pourrait permettre au groupe de récupérer la couronne de Nvidia.
Mais cette rotation n'est pas sans poser de risques plus larges, sur les actions américaines d'abord.
La croissance rapide des revenus des groupes de la technologie a constitué l'un des principaux moteurs de la performance américaine ces dernières années, rappelle Deutsche Bank. Pour Nvidia, les analystes - qui n'ont pas encore mis leurs projections à jour - parient toujours sur une croissance de 22% par an des revenus du groupe sur les cinq prochaines années, ajoute la banque.
Des projections moins optimistes éroderaient donc l'intérêt des titres américains, faisant à leur tour pression sur la devise.
"La force du dollar provient en partie des flux d’investissement sur les actifs américains, au premier plan desquels la technologie. Si ces flux s’inversent, le dollar pourrait se retrouver sous pression", souligne Olivier Korber, stratège changes chez Société Générale CIB.
TRAJECTOIRE
Pour autant, l'impact de DeepSeek pourrait n'être pas entièrement négatif pour les marchés.
Si les dépenses en mémoire et en solutions d'IA seront plus faibles, les analystes de JPMorgan rappellent ainsi qu'"historiquement, les baisses de coûts font croître le marché de la technologie".
Un prix d'usage plus faible pourrait par ailleurs démocratiser l'IA et ses cas d'usage, menant à une adoption plus large, précise le courtier.
L'avancée que semble prendre Pékin dans le domaine pourrait enfin alimenter les dépenses mondiales dans le secteur, une semaine après que Donald Trump a annoncé un plan d'investissement de 500 milliards de dollars.
"Si DeepSeek prouve quelque chose, c'est bien que l'IA est là pour rester", résument les stratèges d'UBS.
(Rédigé par Corentin Chappron, édité par Blandine Hénault)
0 commentaire
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer