Propriété de l’État gabonais, le vaste hôtel Pozzo di Borgo pourrait être cédé prochainement à Bernard Arnault pour un prix évoqué à 200 millions d’euros. Problème: le bien est grevé d’une créance de près de 40 millions dus par le Gabon à un entrepreneur français, ce qui pourrait bloquer la transaction.
Les élections présidentielles qui se sont tenues ce samedi au Gabon et qui devraient voir la désignation du chef de la transition, le général Brice Clotaire Oligui Nguema , auront-elles un impact sur le vénérable hôtel particulier parisien Pozzo di Borgo ? La question n’est pas incongrue car ce joyau du 18e siècle (sa construction remonte à 1708), réputé être l’un des plus beaux hôtels particuliers de la capitale, est propriété de l’État gabonais depuis 2010. À l’époque, Ali Bongo aurait déboursé près de 100 millions d’euros pour cette vaste bâtisse cachée derrière son porche monumental au 51, rue de l’Université (Paris 7e). Officiellement, l’endroit qui dispose de près de 4500 m² habitables avec un parc de près de 2700 m² sans oublier une cour d’honneur et une cour secondaire totalisant 1000 m², devait faire office d’Ambassade du Gabon en France.
Mais les temps ont changé et avec la fin de l’ère Bongo, l’hôtel Pozzo di Borgo est mis en vente fin 2023 par le Gabon qui pourrait ainsi renflouer ses caisses. Entre la qualité du bâtiment signé de l’architecte Pierre Cailleteau, son emplacement privilégié et les travaux effectués, trouver un acheteur au prix fort est tout sauf complexe. Il semble que pour un tel joyau du patrimoine, les autorités françaises verraient d’un meilleur œil un acquéreur tricolore, ce qui réduit singulièrement la liste puisque les tarifs évoqués débutent à 200 millions d’euros. Le nom de Xavier Niel circule, d’autant qu’il a racheté début 2022 l’hôtel Lambert, situé sur l’île Saint-Louis, à la famille princière du Qatar pour près de 200 millions d’euros . Mais l’acheteur évoqué avec le plus d’insistance n’est autre que Bernard Arnault, lui aussi grand acheteur de pépites immobilières aussi bien à Paris qu’ailleurs, notamment à Cannes où LVMH vient de s’offrir une villa pour 50 millions .
Karl Lagerfeld y a longtemps vécu
Dans ces conditions, Xavier Niel ne devrait pas griller la priorité à son beau-père, d’autant que l’hôtel Pozzo di Borgo entretient déjà de belles relations avec le milieu de la mode, de l’art et du luxe. C’est ici que Karl Lagerfeld a vécu pendant près de 30 ans avant que Philippe Pozzo di Borgo (l’homme d’affaires tétraplégique qui a inspiré le film «Intouchable») ne vende les lieux au Gabon avec 15 autres indivisaires. Plus récemment les lieux ont accueilli des vernissages et autres manifestations artistiques et l’on imagine très bien le profit que LVMH pourrait tirer d’un aussi bel écrin.
Pourtant, si cette transaction ne s’est toujours pas réalisée, c’est qu’elle traîne un (gros) caillou dans sa chaussure. L’hôtel Pozzo di Borgo (également connu sous les noms d’hôtel de Maisons ou d’hôtel de Soyecourt) est détenu par une société civile immobilière , la SCI 49/51 rue de l’Université, et celle-ci a connu des saisies conservatoires de la part de plusieurs créanciers, dont le Français Frédéric Bérenger, à la tête de Kontinental Conseil Ingénierie (KCI) qui a longtemps opéré au Gabon et est actuellement installé à Tunis. Cet entrepreneur très bien introduit dans les milieux franco-africains est spécialisé dans l’ingénierie et l’audit technique, principalement dans le domaine du traitement de l’eau. Il avait décroché un contrat fin 2011 pour construire des milliers de logements au Gabon avec de lourds investissements à la clé avant d’être purement et simplement exproprié.
Le Français a cherché, et obtenu, réparation auprès de la Cour arbitrale de l’Organisation internationale du commerce qui a estimé son préjudice à 36 millions d’euros fin décembre 2016. Il a obtenu un exequatur quelques mois plus tard, cette mesure qui permet de rendre la décision applicable sur le sol français. Il a ensuite menacé de vendre ses parts de SCI, ce qui lui a permis de décrocher un premier versement de 5,5 millions d’euros de la part de l’État gabonais. Mais cela reste sa seule indemnisation à ce jour. Avec les intérêts de retard, le montant dû avoisine toujours les 40 millions d’euros...
Faire capoter la transaction
Si le chef d’entreprise s’est montré conciliant en cherchant une issue négociée pendant des années, c’est qu’il rêve toujours de travailler sur le traitement de l’eau au Gabon. Il a renoué le dialogue avec le nouvel homme fort du pays mais aucunes des promesses et des missions de dialogue ne se sont traduites par de nouvelles indemnisations. Résultat: Frédéric Bérenger est en train de perdre patience et craint d’être la victime collatérale d’une transaction avec des intérêts en jeu dépassant largement les siens. Désormais persona non grata dans la plupart des pays d’Afrique, la France préférerait sans doute ne pas se mettre le Gabon à dos. Et de son côté, le nouveau pouvoir gabonais aimerait sans doute ne pas avoir à solder certains arriérés de la période Bongo.
En attendant, KCI compte bien ne pas être le dindon de la farce. Et menace au passage de faire capoter la transaction de l’hôtel Pozzo di Borgo sans garantie sur le remboursement de sa dette par le Gabon. Dernière piste qui semble envisageable: que l’acheteur récupère lui-même la créance et en fasse son affaire. Le prix à payer pour que cette pépite immobilière revienne dans des mains françaises ?
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