TÉMOIGNAGES - Les restaurants et les bars peuvent maintenant accueillir leurs clients en salle. Encore faut-il que ces derniers soient au rendez-vous.
« Ça vous dérange, si je fais quelque chose en même temps? » Il est 10 heures du matin passées, nous sommes au restaurant Monbleu, spécialisé dans le fromage, dans le IXe arrondissement de Paris. Lola Colon, cheffe de rang, est pressée. Elle a disposé une plastifieuse sur une table haute et y glisse les menus d'été du restaurant, un par un, pour qu'ils puissent être nettoyés au gel hydroalcoolique après chaque usage. Une carte ressort gondolée de l'autre côté. Lola soupire. « Je ne serais jamais une experte de la plastifieuse. »
La veille au soir, le président de la République a finalement annoncé que les restaurants et les bars pourraient rouvrir complètement leurs salles dès ce lundi. L'Île-de-France, jusqu'ici en « zone orange » est ainsi la dernière région métropolitaine à permettre aux restaurateurs de retrouver un semblant de normalité. Jusqu'ici, les clients pouvaient seulement être accueillis en terrasse.
« On se doutait que l'on allait pouvoir rouvrir aujourd'hui, on avait eu vent de sous-entendus en ce sens », explique Lola Colon, qui ne cache pas son plaisir de voir revenir un semblant de normalité. Il demeure que rouvrir une salle en une demi-journée en respectant l'ensemble des mesures sanitaires relève de la gageure. « Prenez les carafes: maintenant, il faut les passer au lave-vaisselle entre chaque usage » , dit la cheffe de rang. Il faut également faire respecter une distance d'un mètre entre chaque table, se laver les mains aussi fréquemment que possible, porter un masque, « même si pour couper du fromage, ça réduit franchement la visibilité », tique Olivier Rupé, chef fromager.
La réouverture des salles de bars et de restaurants devait amorcer une nouvelle phase vers un retour à la normale de la vie parisienne. Elle ne garantit pas pour autant une reprise rapide de l'activité chez Monbleu : beaucoup de salariés de bureau sont toujours en télétravail, ou au chômage partiel; les services de midi en terrasse, ces dernières semaines, ont été calmes. L'été, en outre, n'est jamais une période de forte activité à Paris - on mange moins de fromage par beau temps.
Cartes en QR codes et planning au jour le jour
Que restera-t-il de ces longs mois de confinement, qui ont poussé des restaurants à transformer leurs pratiques ? Choisie par de nombreux restaurateurs, la vente à emporter n'a pas convaincu chez Monbleu, qui cessera sans regret cette activité dès que la restauration sur place reprendra des couleurs.
« Les seuls qui réussissent à rentabiliser la vente à emporter, c'est MacDo, tranche Christophe Origene, patron du restaurant La Comète (IXe arrondissement) . Nous, on propose des plats de bistro traditionnels, on n’a même pas essayé. » La Comète pourrait en revanche garder du confinement le système des menus disponibles via un QR Code, indiqué par un autocollant sur les tables. « C'est formidable, ça. À part pour nos clients qui viennent de l'hôtel de ventes Drouot, et qui sont souvent âgés et assez réfractaires à la technologie ».
Subsistera également, dans les mois à venir, un planning à trous et sans cesse amendé. Beaucoup de salariés de La Comète ont été maintenus au chômage partiel, car la clientèle n'est pas encore au rendez-vous. « On doit essayer de faire toujours plus de tables, mais avec les règles de distanciation, et moins de personnel. Maintenant, il faut faire les plannings en fonction de l'activité des hôtels, de la reprise des vols internationaux. C'est insupportable de travailler comme ça. » Le patron surveille les stratégies de retour au bureau des entreprises voisines comme le lait sur le feu. « À côté, BNP Paribas compte poursuivre le télétravail au moins jusqu'en septembre », note Christophe Ogene. L'agence centrale compte 2000 salariés. Et autant de potentiels clients qui ne viennent plus déjeuner.
Premières valises
Des clients qui ne reviennent pas encore, des charges reportées mais qu'il faudra bien payer un jour : la réouverture de la salle de restaurant du Virage Café (Xe arrondissement) n'a pas dissipé toutes les craintes de Samir Smail qui, posté derrière le bar, fait couler des cafés au compte-gouttes. « Même les fournisseurs ne nous font pas de cadeau. Et il faut reconnaître que la reprise n'est pas là. » On en cherche alors les signaux faibles. Le retour des habitués, par exemple. Pascal L., dépanneur de profession, est un client quotidien du Virage Café « depuis 1981 ». « J'ai continué de travailler pendant tout le confinement. J'allais acheter un café à emporter à côté, et un croissant à la boulangerie d'en face. Et puis, il n'y avait que la misère dans les rues. C'était triste ». En ce lundi, il prend avec bonheur son premier café au zinc depuis le début du confinement.
Manquent encore les clients de passage, les voyageurs, les touristes. Serge Melloul dirige La Villa Andrea, en face de la gare du Nord. « J'ai trente-cinq ans de métier derrière moi, donc je suis optimiste, soutient-il, poings sur les hanches. On en a vu d'autres ». Posté au bar, il nous fait remarquer une tablée qui attend ses pizzas dans un coin de la salle. « À côté d'eux, on peut voir des valises, souffle-t-il, enthousiaste . Ce sont les premières que je vois depuis trois mois. »
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