par Gwénaëlle Barzic et Mathieu Rosemain
PARIS, 15 juin (Reuters) - Dans la bataille des capitales
européennes pour attirer les start-up, la France pose ses
jalons, portée par un bond des investissements en capital-risque
et l'intérêt croissant des investisseurs internationaux qui
parient sur un nouvel exécutif pro-entrepreneurs.
Paris, où le plus grand incubateur mondial de start-up
ouvrira ses portes à la fin du mois, a détrôné Londres en nombre
de levées de fonds en 2016, une première.
A la tête de la banque publique d'investissement BPIfrance,
bras armé de l'Etat pour financer l'innovation, Nicolas Dufourcq
réduit désormais ses rendez-vous avec les Français pour répondre
aux sollicitations de plus en plus nombreuses d'acteurs
étrangers.
Créée en 2012, la BPI s'est imposée comme le premier fonds
de capital risque français avec un total de 1,3 milliard d'euros
d'aides et de financements à l'innovation l'an dernier et 191
millions d'investissements directs en capital innovation (+13%).
La banque s'apprête à doter son fonds "large venture" de 400
millions supplémentaires pour le porter à un milliard afin de
répondre à la forte demande de start-up confirmées avec des
tickets à plus de 10 millions, signe de la montée en puissance
de l'écosystème, a expliqué à Reuters Nicolas Dufourcq.
"En 2012, personne ne connaissait Criteo CRTO.O , la French
tech n'existait pas. Il y avait des fonds de capital risque mais
qui étaient petits, il n'y avait quasiment pas d'incubateur",
rappelle le dirigeant selon lequel "le vent a tourné" depuis un
an.
PATRON DE LA FRENCH TECH
S'il réfute un effet Brexit après le vote des Britanniques
pour sortir de l'Union européenne, il estime que le résultat des
élections en France pourrait contribuer à faire venir des
investisseurs internationaux, un temps dubitatifs face à la
possibilité d'un Front national au pouvoir.
"On a maintenant un environnement pro-business qui est
avéré. C'est presque de facto le patron de la French Tech qui a
été élu président de la République", souligne Nicolas Dufourcq.
Lors de son passage à Bercy de 2014 à 2016, Emmanuel Macron
a été l'un des promoteurs de cette initiative gouvernementale
destinée à fédérer et à donner de la visibilité à l'écosystème.
La French Tech a aussi contribué à faire connaître les
pépites françaises à l'étranger, qui figurent désormais parmi
les plus gros bataillons aux grands rendez-vous internationaux
comme le CES de Las Vegas.
Si la BPI a amorcé la pompe, les grandes entreprises ont -
dans une certaine mesure - suivi le mouvement en créant des
fonds et des incubateurs, imitées par des institutionnels comme
la MAIF, qui a investi dans les taxis flottants de SeaBubble.
Aux côtés des fonds français très actifs comme Kima Ventures
(Le fonds de Xavier Niel), Partech, Alven, iDInvest ou Isai, de
nouveaux véhicules ont vu le jour comme Daphni ou Korelya
Capital, fondé par Fleur Pellerin pour faire le trait d'union
entre la France et la Corée du Sud.
L'ancienne ministre déléguée au numérique, considérée comme
la "marraine" de la French Tech, reçoit elle aussi de plus en
plus de marques d'intérêt d'acteurs asiatiques pour la France.
"Avec l'élection de Trump et les incertitudes de politique
économique, l'Europe redevient un terrain d'exploration assez
attractif", explique Fleur Pellerin, qui déplore cependant
l'absence de champions capables de rivaliser avec les géants
américains ou chinois.
En dépit de ses atouts reconnus comme le niveau
comparativement moins élevé des loyers et la qualité de ses
chercheurs et de ses ingénieurs, l'Hexagone reste handicapé par
des faiblesses, soulignent les acteurs du secteur.
MACRON FERA UN DISCOURS À VIVATECH
Certains pointent la question de la liquidité pour des fonds
désireux de se désengager après plusieurs années.
Les entrepreneurs qui ont réussi sont pour l'instant peu
nombreux à réinvestir dans des jeunes pousses à la différence
des Etats-Unis où les géants de la tech investissent à coup de
centaines de millions de dollars.
Ce manque est comblé pour partie par la BPI dont le rôle de
premier plan fait cependant tiquer certains fonds qui se
retrouvent parfois en concurrence avec l'acteur public.
"En quoi Doctolib a-t-il besoin de la BPI? N'importe quel
acteur privé aurait pu investir. Et s'ils investissent dans des
boites calamiteuses, on pourrait dire 'vous gâchez de l'argent
public'", s'interroge Martin Mignot, associé à Index Ventures.
L'autre option d'une introduction en Bourse est par ailleurs
jugée hasardeuse faute d'un Nasdaq européen.
"C'est très difficile parce qu'il faudrait essayer de faire
des alliances avec d'autres pays pour essayer d'avoir un vrai
marché européen des valeurs technologiques. Cela nécessiterait
aussi d'avoir des analystes formés pour évaluer la valeur des
entreprises technologiques", explique Fleur Pellerin.
Si trouver les financements est désormais beaucoup plus
aisé, les pépites françaises ont parfois des difficultés à
passer l'age adulte à l'image du dépôt de bilan de Viadeo.
"L'argent ne fait pas tout. Il faut faire revenir ceux qui
ont réussi", explique Jean-David Chamboredon, co-président de
France Digitale, qui réunit entrepreneurs et investisseurs.
Des champions de la Tech ont ainsi lancé la campagne
"reviensLeon" pour faire revenir des compatriotes expatriés.
Plusieurs acteurs pointent par ailleurs la nécessité d'une
simplification du cadre fiscal, un sujet sur lequel sera attendu
Emmanuel Macron qui a notamment promis de concentrer l'impôt sur
la fortune sur l'immobilier, ce qui exclurait les participations
dans les start-up, ou de ramener à 30% la taxation sur les
revenus du capital.
Le président, qui a également annoncé un fonds de dix
milliards dédié à l'innovation et l'industrie, doit s'exprimer
ce jeudi lors du salon de l'innovation Viva Technology organisé
par Publicis PUBP.PA et Les Echos à Paris.
(Edité par Jean-Michel Bélot)