Quels sont les enjeux des discussions des Etats-Unis avec l'Ukraine et la Russie ? information fournie par Reuters 24/03/2025 à 12:39
Des responsables américains et russes se rencontrent ce lundi en Arabie saoudite pour tenter de progresser vers une issue à la guerre en Ukraine, les Etats-Unis souhaitant aboutir à un cessez-le-feu en mer Noire entre Russes et Ukrainiens avant un accord plus large.
Des représentants américains ont déjà discuté dimanche avec une délégation ukrainienne à Ryad, dans le prolongement des entretiens téléphoniques séparés qu'a eus la semaine dernière le président américain Donald Trump avec ses homologues ukrainien Volodimir Zelensky et russe Vladimir Poutine.
Voici certains des thèmes abordés lors de ces négociations:
METTRE FIN AUX ATTAQUES CONTRE LES INFRASTRUCTURES ÉNERGÉTIQUES
Donald Trump et Vladimir Poutine sont convenus la semaine dernière que "le mouvement vers la paix commencera" par une pause de 30 jours dans les attaques sur les infrastructures énergétiques de l'Ukraine et de la Russie, selon la Maison blanche.
Ce cessez-le-feu à la portée déjà limitée a été rapidement fragilisé par des accusations réciproques de bombardements entre Russes et Ukrainiens. Moscou a ainsi accusé l'Ukraine d'avoir frappé un dépôt pétrolier dans le sud de la Russie tandis que Kyiv a affirmé que la Russie avait bombardé des hôpitaux, des habitations et les systèmes d'alimentation électrique de certaines voies ferrées.
Volodimir Zelensky a déclaré que l'Ukraine allait établir une liste des équipements susceptibles d'être concernés par ce cessez-le-feu partiel. Cette liste comprendrait non seulement des sites énergétiques mais aussi des infrastructures ferroviaires et portuaires, a-t-il dit.
Un moratoire sur les attaques contre les infrastructures énergétiques pourrait favoriser la Russie davantage que l'Ukraine, qui ne pourrait plus bombarder les installations pétrolières russes essentielles à l'effort de guerre de Moscou.
LES CENTRALES NUCLÉAIRES
Selon le compte rendu américain de leur échange téléphonique, Donald Trump a suggéré à Volodimir Zelensky que les Etats-Unis participent à l'exploitation, voire prennent le contrôle, des centrales nucléaires et des infrastructures énergétiques de l'Ukraine.
Volodimir Zelensky a déclaré avoir discuté avec le président américain de la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande
d'Europe, occupée par les Russes en Ukraine. La Russie et l'Ukraine s'accusent mutuellement de faire courir le risque d'un accident sur cette centrale avec leurs initiatives militaires près du site.
Le président ukrainien a déclaré que Kyiv était disposé à discuter d'une participation des Etats-Unis à la modernisation de la centrale si elle était restituée à son pays.
La centrale de Zaporijjia fournissait 20% de l'ensemble de la production d'électricité de l'Ukraine avant la guerre.
Volodimir Zelensky a toutefois prévenu qu'il faudrait deux ans et demi pour remettre la centrale en service en raison des nombreux problèmes techniques à résoudre. Selon des sources sectorielles, cette remise en route nécessitera aussi de lourds investissements.
NAVIGATION EN MER NOIRE
Vladimir Poutine "a réagi de manière constructive", selon le Kremlin, à une initiative avancée par Donald Trump pour la sécurité de navigation en mer Noire et les deux dirigeants sont convenus d'ouvrir des négociations sur ce sujet.
La Turquie et les Nations unies ont permis par leur médiation d'instaurer une "Initiative céréalière de la mer Noire" en juillet 2022, quelques mois après le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie. Cette initiative a permis à l'Ukraine d'exporter en sécurité près de 33 millions de tonnes de céréales malgré le conflit.
La Russie s'est retirée de cet accord au bout d'un an en dénonçant les obstacles importants auxquels elle était elle-même confrontée pour exporter ses engrais et ses denrées alimentaires.
D'après les perspectives de la Banque mondiale sur les matières premières en avril 2024, la Russie comme l'Ukraine parvenaient à acheminer par mer leurs céréales vers les marchés mondiaux sans problème majeur malgré la guerre.
ÉCHANGES DE PRISONNIERS
La Russie et l'Ukraine ont échangé 175 prisonniers de guerre chacune, ont-elles annoncé mercredi, et la Russie a remis 22 Ukrainiens supplémentaires, gravement blessés, dans ce qu'elle a présenté comme un geste de bonne volonté.
Volodimir Zelensky a estimé qu'il s'agissait de l'un des plus importants échanges de ce type depuis le début du conflit et a déclaré que ces 22 Ukrainiens étaient des "combattants grièvement blessés et que la Russie a persécutés pour des crimes inventés".
ADHÉSION À L'OTAN
Vladimir Poutine exige que l'Ukraine renonce officiellement à toute volonté d'adhésion à l'Otan.
L'Ukraine a inscrit cet objectif dans sa Constitution et juge qu'une appartenance à l'alliance militaire transatlantique serait sa meilleure garantie de sécurité dans le cadre d'un accord de paix.
John Coale, l'un des émissaires de Donald Trump pour l'Ukraine, a déclaré le 13 février que les Etats-Unis n'excluaient pas l'hypothèse d'une adhésion de l'Ukraine à l'Otan ni un retour négocié à ses frontières précédant les premiers soulèvements de séparatistes prorusses dans l'est de son territoire en 2014, contredisant ainsi les propos tenus la veille seulement par le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth.
Ce dernier avait déclaré le 12 février aux autres pays de l'Otan à Bruxelles qu'un retour de l'Ukraine dans ses frontières d'avant 2014 était irréaliste et que les Etats-Unis ne considéraient pas une adhésion de ce pays à l'alliance comme une partie de la solution au conflit. Ces propos avaient fait craindre aux pays européens que les Etats-Unis n'aient fait des concessions avant même le début des discussions avec la Russie.
Donald Trump a dit ne pas croire que la Russie "autoriserait" une adhésion de l'Ukraine à l'Otan. Le président américain a reproché à son prédécesseur Joe Biden d'avoir émis cette idée, qui a en fait été pour la première fois appuyée par le républicain George W. Bush en 2008.
LA SÉCURITÉ DE L'UKRAINE APRÈS LA GUERRE
Une éventuelle adhésion à l'Otan étant au mieux une perspective lointaine, l'Ukraine souhaite inscrire dans tout accord de paix des garanties pour sa sécurité à long terme, ce qui entre en contradiction avec les exigences de la Russie.
L'Ukraine et ses soutiens en Europe considèrent qu'un des piliers de sa sécurité repose sur une armée suffisamment puissante. La Russie affirme en revanche qu'une des conditions d'un accord de paix est une réduction de la taille de l'armée ukrainienne.
La France et la Grande-Bretagne ont évoqué un projet de force de dissuasion composée de troupes étrangères, dotée de navires et d'avions et basée en ou à proximité de l'Ukraine. Les détails concrets sur le fonctionnement d'une telle "coalition des volontaires" et sur les pays participants restent flous.
Des responsables russes ont prévenu que Moscou ne tolérerait pas le déploiement d'une telle force.
SANCTIONS OCCIDENTALES ET ÉLECTIONS
Vladimir Poutine a réclamé la levée des sanctions occidentales contre la Russie et la tenue d'une élection présidentielle en Ukraine.
L'Ukraine n'a pas organisé d'élections depuis 2019 en raison de la loi martiale décrétée en raison de la guerre. Les responsables ukrainiens affirment en outre qu'il serait de fait impossible d'organiser un scrutin dans un pays en guerre et que ce n'est pas à la Russie de dicter le calendrier électoral.
Les Etats-Unis, sous la présidence de Joe Biden, ont été à la pointe des sanctions occidentales prises par vagues successives contre la Russie depuis le début de la guerre. Ces mesures visent en particulier à tarir les revenus pétroliers et gaziers de Moscou, notamment via un plafonnement à 60 dollars du prix du baril de pétrole russe.
Des sources ont déclaré à Reuters que l'administration Trump réfléchissait aux modalités d'un assouplissement de ces sanctions en cas d'accord de paix accepté par Moscou. Donald Trump a néanmoins aussi évoqué ce mois-ci la possibilité d'infliger de vastes sanctions bancaires et droits de douane à la Russie pour l'inciter à conclure une paix.
LES TERRITOIRES CONTRÔLÉS PAR LA RUSSIE
La Russie exige d'obtenir l'intégralité des quatre régions de l'est de l'Ukraine qu'elle revendique, outre la péninsule de Crimée qu'elle a annexée dès 2014.
Citant des sources anonymes ayant assisté à un événement privé en présence de Vladimir Poutine la semaine dernière, le quotidien Kommersant a rapporté que le président russe réclamait des Etats-Unis qu'ils reconnaissent officiellement ces quatre régions - Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson - comme partie intégrante de la Russie avec la Crimée.
L'Ukraine a admis qu'elle ne pourrait pas reprendre tous ses territoires occupés par la force et qu'ils devraient lui être restitués à plus long terme par des voies diplomatiques. Elle a déclaré qu'elle ne reconnaîtrait jamais de souveraineté russe sur des territoires ukrainiens.
RESSOURCES NATURELLES UKRAINIENNES
Washington et Kyiv négocient un accord qui verrait les Etats-Unis bénéficier financièrement de l'exploitation des ressources naturelles ukrainiennes, notamment des terres rares utilisées dans l'électronique.
Ces discussions ont subi un coup d'arrêt à la suite de l'altercation verbale à la Maison blanche le 28 février entre Donald Trump et Volodimir Zelensky. Le président américain a toutefois déclaré le 21 mars qu'un accord sur les terres rares serait signé très prochainement.
Au-delà, les Etats-Unis pourraient aussi être intéressés par les infrastructures gazières de l'Ukraine, qui possède les troisièmes capacités souterraines mondiales de stockage de gaz. Dans ce scénario, l'Ukraine pourrait importer en masse du gaz naturel liquéfié (GNL) américain, le stocker puis le distribuer aux pays européens désireux de s'affranchir de leurs approvisionnements en gaz russe.
(David Brunnstrom et Tom Balmforth, version française Bertrand Boucey, édité par Sophie Louet)