Quels sont les contours et les risques d'un éventuel accord de paix en Ukraine?
information fournie par Reuters 15/05/2025 à 02:21

Moscou et Kyiv affirment vouloir discuter de la fin à la guerre en Ukraine jeudi à Istanbul. Quels sont les contours d'un éventuel accord de paix et quels en sont les dangers?

GARANTIES DE SÉCURITÉ

L'Ukraine affirme avoir besoin de garanties de sécurité de la part des grandes puissances, notamment des Etats-Unis, après l'invasion à grande échelle de son territoire lancée en 2022 par Moscou.

Kyiv veut obtenir davantage de garanties que celles prévues par le mémorandum de Budapest de 1994, en vertu duquel la Russie, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont engagés à respecter la souveraineté de l'Ukraine et à s'abstenir d'utiliser la force à son encontre. Aux termes de cet accord, les pays se sont engagés à saisir le Conseil de sécurité des Nations unies en cas d'attaque contre l'Ukraine.

Le fait que toute garantie de sécurité assortie d'une obligation de résultat obligerait l'Occident à s'engager dans une éventuelle guerre avec la Russie - et que tout accord de sécurité sans obligation de résultat laisserait l'Ukraine exposée - représente un problème, selon des sources impliquées dans les discussions.

Des diplomates ont parlé d'une "solide garantie de sécurité", notamment d'un "accord de type Article 5", la clause de défense mutuelle fondamentale de l'Otan, selon un projet d'accord de paix que Reuters a pu consulter.

Des projets d'accords, examinés lors de discussions à Istanbul à la fin du mois de mars 2022, prévoyaient notamment des garanties de sécurité à l'Ukraine de la part des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine, de la Grande-Bretagne et de la France - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies - à condition pour Kyiv de renoncer à ses ambitions atlantistes et d'accepter un statut de neutralité permanente et dénucléarisé.

Ces discussions avaient échoué après que la Russie a exigé, en contrepartie, un droit de veto sur les mesures prises par les Etats garants de la sécurité ukrainienne en cas d'attaque.

Les responsables ukrainiens ont toutefois déclaré qu'accepter un statut de neutralité permanente représentait pour l'Ukraine une ligne rouge.

OTAN ET NEUTRALITÉ

La Russie entre autres justifié son offensive en Ukraine lancée en 2022 par le danger que représente selon elle le rapprochement entre Kyiv et l'Otan et Moscou estime que l'Ukraine doit rester neutre, c'est-à-dire sans bases militaires étrangères sur son territoire.

Le président ukrainien Volodimir Zelensky a déclaré qu'il n'appartenait pas à Moscou de décider des alliances de l'Ukraine.

Lors du sommet de Bucarest, en 2008, les dirigeants des pays membres de l'Otan étaient convenus d'intégrer un jour l'Ukraine et la Géorgie à l'alliance.

L'Ukraine a inscrit cet objectif dans sa Constitution et juge qu'une appartenance à l'alliance militaire transatlantique serait sa meilleure garantie de sécurité dans le cadre d'un accord de paix.

L'émissaire du président américain Keith Kellogg a toutefois déclaré que l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan n'était pas envisageable. Donald Trump a dit que le soutien apporté par le passé par les Etats-Unis à l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan était l'une des causes de la guerre.

En 2022, Kyiv et Moscou ont discuté de la neutralité permanente de l'Ukraine. La Russie souhaitait alors que des limites soient imposées à l'armée ukrainienne, selon la copie d'un accord potentiel consultée par Reuters. L'Ukraine s'oppose fermement à l'idée de limiter la taille et les capacités de ses forces armées.

La Russie a déclaré qu'elle n'avait aucune objection à ce que l'Ukraine cherche à adhérer à l'Union européenne, même si certains membres du bloc pourraient s'opposer à la candidature de Kyiv.

TERRITOIRES

Moscou contrôle environ un cinquième de l'Ukraine et affirme que ces territoires font désormais officiellement partie de la Russie.

En 2014, la Russie a annexé la péninsule de Crimée. Les forces russes contrôlent désormais la quasi-totalité de la région de Louhansk et plus de 70% des régions de Donetsk, de Zaporijjia et de Kherson, selon les estimations russes. La Russie contrôle également une petite partie de la région de Kharkiv.

Le président russe Vladimir Poutine avait détaillé en 2024 des propositions de paix qui prévoyaient que l'Ukraine se retire de l'ensemble de ces régions, ce qui incluait des zones qui ne sont pas actuellement contrôlées par la Russie.

Selon un projet de plan de paix élaboré par l'administration Trump, Washington reconnaîtrait l'annexion russe de la Crimée, et le contrôle russe de la région de Louhansk et de certaines parties des régions de Zaporijjia, Donetsk et Kherson.

L'Ukraine reprendrait des territoires dans la région de Kharkiv, tandis que les Etats-Unis contrôleraient et administreraient la centrale nucléaire de Zaporijjia, actuellement sous contrôle russe.

Kyiv affirme qu'il est hors de question de reconnaître légalement la souveraineté russe sur les zones occupées et que cela violerait la constitution ukrainienne, mais que les questions territoriales pourraient être discutées lors de pourparlers une fois un cessez-le-feu mis en place.

"Les principaux problèmes sont les régions, la centrale nucléaire, la façon dont les Ukrainiens peuvent utiliser le fleuve Dniepr et accéder à l'océan", a expliqué la semaine dernière l'émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff.

SANCTIONS

La Russie souhaite que les sanctions occidentales qui la visent soient levées.

Toutefois, même si Etats-Unis levaient leurs sanctions, celles imposées par l'Union européenne, l'Australie, la Grande-Bretagne, le Canada et le Japon, pourraient rester en vigueur pendant des années.

L'Ukraine souhaite pour sa part que ces sanctions soient maintenues.

PÉTROLE ET GAZ

Donald Trump a laissé entendre que Vladimir Poutine pourrait être plus enclin à mettre fin à la guerre en Ukraine après la récente baisse des prix du pétrole. Le Kremlin a toutefois déclaré que l'intérêt national l'emportait sur les prix du pétrole.

Certains diplomates ont émis l'hypothèse que les Etats-Unis, la Russie et l'Arabie saoudite cherchent à faire baisser les prix du pétrole dans le cadre de discussions plus large qui portent sur des questions allant du Moyen-Orient à l'Ukraine.

Reuters a rapporté au début du mois que des responsables américains et russes avaient discuté de la possibilité que les Etats-Unis aident à relancer les ventes de gaz russe à l'Europe.

CESSEZ-LE-FEU

Les pays européens et l'Ukraine demandent à la Russie d'accepter un cessez-le-feu avant les pourparlers.

Le président russe a néanmoins déclaré qu'il souhaitait d'abord entamer des pourparlers au cours desquels les détails d'un tel cessez-le-feu pourraient être discutés.

Kyiv estime que Moscou joue la montre.

RECONSTRUCTION DE L'UKRAINE

La reconstruction de l'Ukraine coûtera des centaines de milliards de dollars et les pays européens veulent utiliser une partie des actifs russes gelés pour aider Kyiv. Moscou estime que cela est inacceptable.

La Russie pourrait accepter d'utiliser les 300 milliards de dollars d'actifs gelés en Europe pour la reconstruction de l'Ukraine, mais devrait insister pour qu'une partie de ces fonds soient utilisés dans les territoires contrôlés par les forces russes, a rapporté Reuters en février.

Kyiv a déclaré qu'elle souhaitait que la totalité des 300 milliards de dollars d'actifs saisis soit consacrée à la reconstruction de l'Ukraine.

(Guy Faulconbridge; version française Camille Raynaud)