Nos récents arbitrages ont réduit notre exposition aux risques information fournie par Les sélections de Roland LASKINE 20/06/2025 à 12:27
Le 20 juin 2025
Notre commentaire de la semaine dernière s'intitulait « nous assurons nos arrières en allégeant toutes les positions ». Le message de ce billet, rédigé le vendredi 13 juin à l'ouverture de la séance, était clair. Alors que les investisseurs venaient de se réveiller en apprenant qu'Israël avait violemment pilonné les installations nucléaires iraniennes dans la nuit, nous n'avons pas hésité à fortement alléger les positions sur l'ensemble des portefeuilles en ayant porté la part des liquidités entre 33% et 50% de l'actif. Certains lecteurs se sont étonnés par la vigueur de notre réaction, marquée par une vingtaine d'ordres de ventes passés en l'espace de quelques instants (cf le détail des arbitrages réalisés dans l'onglet historique des portefeuilles). Les bombardements israéliens ont certes été fulgurants, mais ils n'ont pas donné lieu à l'embrasement tant redouté du Moyen-Orient. Le Détroit d'Ormuz, par lequel transite entre 30 et 40% du pétrole mondial, n'a pas été fermé. Les marchés ont accusé le coup, mais leur réaction s'est révélée assez mesurée. Bref, était-il opportun de réagir à chaud le matin même des premières attaques, ou fallait-il temporiser ?
La question est très intéressante. La réponse qui vient immédiatement à l'esprit, c'est de dire que nul ne sait comment les choses allaient tourner. La prudence étant bonne conseillère, il valait donc mieux opérer tout de suite plutôt que d'attendre que les choses s'arrangent d'elles-mêmes. D'un point de vue purement tactique - et non pas stratégique - notre réaction s'est révélée être la bonne puisque, sur la semaine écoulée, nos portefeuilles ont fait nettement mieux que le CAC 40, y compris l'Offensif qui est de loin le plus exposé aux fluctuations du marché. En réalité, la question qui est posée me donne l'occasion d'aller au-delà de la simple justification de ma réaction. Elle me permet de revenir sur un de mes sujets favoris consistant à faire la distinction entre une gestion de portefeuille de type PEA menée par un particulier, de la manière dont procèdent les gestionnaires de fonds professionnels qui relève d'une tout autre logique.
La réaction apparemment très mesurée des marchés, avec des indices toujours proches de leurs plus hauts niveaux, est en réalité trompeuse. A la différence d'un particulier qui est parfaitement libre de gérer comme il l'entend la part des liquidités dans son portefeuille, les grands fonds de retraite et d'investissement sont tenus par des engagements de gestion. Un fonds diversifié en actions ne peut en aucun cas décider de sortir des clous en mettant une part trop importante de l'actif en liquidités. Il est obligé de rester fidèle la stratégie de gestion et au benchmark (indice de référence) indiqués sur la plaquette de présentation du produit remise aux clients. Dès lors, plutôt que de procéder à des liquidations trop brutales de leurs postions, les professionnels préfèrent avoir recours à des instruments de couverture pour se prémunir contre la volatilité. La hausse de 20% de l'indice de fluctuation des options de couverture appelé SKEW sur le marché à terme de Chicago, entre la mi-mai et aujourd'hui, montre que grandes maisons de gestion ne sont restées les bras croisés au cours de ces derniers jours.
Avec plusieurs dizaines, voire centaines, de milliards de dollars gérés, ces dernières sont de gros paquebots. Elles préfèrent passer par des produits de couverture très discrets, plutôt que d'utiliser la voie trop visible des ventes de titres en direct sur le marché. Pour ces grandes maisons, l'essentiel est de ne surtout pas trop s'éloigner de la ligne de crête constituée de leur benchmark. L'investisseur individuel a, lui, la chance de n'être tenu par aucune contrainte. Son seul souci est de faire fructifier son capital et de le protéger contre les coups durs. Le marché des options est difficilement accessible à un particulier, il n'est de surcroit pas éligible au PEA. Le moyen le plus simple de se couvrir consiste à acheter des trackers inversés qui jouent la baisse du marché, du type ETF Daily CAC 40 (-2) Inverse. Ces produits peuvent « faire le job », mais ils sont en réalité plus adaptés à une stratégie spéculative destinée à accentuer un mouvement baissier qu'à une stratégie de couverture. Dans ces conditions, lorsque la volatilité augmente, alléger les positions en renforçant la part des liquidités reste de loin le meilleur moyen réduire son exposition aux risques. Les graphiques ci-contre, qui montrent que tous nos portefeuilles surperforment l'indice CAC 40 en repli de 4,19% sur un mois glissant, semblent nous donner raison.
Quelle stratégie pour cet été ? Après avoir bien alléger les positons, toute la question est maintenant de savoir comment gérer la suite. Pour les économistes de marché, l'analyse des conséquences du conflit armé Iran-Israël se pose à peu près dans les mêmes termes que la guerre des tarifs douaniers déclarée en début d'année par Donald Trump. Toutes proportions gardées en raison des conséquences humaines des récents bombardements, nous avons dans les deux cas été confrontés à la phase la plus aigüe des hostilités. Durant la phase de montée des risques, il ne fait aucun doute que la prudence été de mise. Il était évidemment nécessaire de réduire la voilure sur tous les portefeuilles. Il ne fallait cependant pas tomber dans une stratégie extrême de liquidation en panique de toutes les positions, car nous avons vu que les marchés ne se sont pas effondrés, loin de là.
Nous entrons aujourd'hui, sur l'un et l'autre de ces conflits, dans une phase d'attente qui s'annonce décisive. Si la guerre réelle engagée entre Israël et l'Iran s'intensifie, ou si elle s'étend avec un soutien armé des Etats-Unis, nous entrerions dans un contexte de complète incertitude qui nécessiterait de prendre des mesures radicales de protection des portefeuilles. De la même manière, un échec des négociations en cours sur les droits de douanes entre les Etats-Unis et ses partenaires, entraînerait le monde dans une récession de grande ampleur marquée par un effondrement du commerce international et de très fortes tensions inflationnistes.
Mais le pire n'est jamais sûr. Une accalmie, voire une résolution de ces deux conflits, est tout à fait possible. Même si nous avons du mal à entrevoir une sortie en douceur, nous restons dans une phase classique d'analyse du risque. Tant que la situation est sous contrôle et que nous n'assistons pas à un basculement totalement destructeur, les marchés n'ont pas de raison de sombrer. Dès lors, il nous semble que les arbitrages intervenus en fin de semaine dernière, ayant conduit à une réduction significative de toutes nos lignes de titres, constitue la réponse la mieux adaptée au brouillard dans lequel nous nous trouvons. Il n'y a pour l'instant pas lieu d'aller au-delà. En revanche, il est trop tôt pour repartir dans une stratégie offensive de reconstitution de toutes les positions. De la même manière que la Fed se dit « data dependent », nous devons avoir l'humilité de reconnaître que nous sommes nous aussi « news dépendants ».
Bonne lecture et bon week-end à tous,
Roland Laskine