La trajectoire de la dette américaine demeure un risque pour les marchés mondiaux
information fournie par Reuters 24/10/2024 à 10:00

par CORENTIN CHAPPRON

Le programme de chacun des deux candidats en lice pour l’élection présidentielle américaine du 5 novembre se traduira par un creusement de la dette des Etats-Unis, qui pourrait déclencher des turbulences sur les rendements obligataires américains avec des répercussions importantes sur le reste des actifs mondiaux, estiment plusieurs observateurs.

Le ratio de dette sur le produit intérieur brut (PIB) aux États-Unis s'approche d'un record à 99%, un niveau jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale, et est voué à se creuser.

L’Université de Pennsylvanie calcule ainsi que le programme de Kamala Harris, la candidate démocrate, ajouterait 2.000 milliards de dollars au déficit primaire d'ici 10 ans, contre 4.100 milliards pour le candidat républicain, Donald Trump.

Le déficit primaire atteignait 1.832 milliards de dollars en octobre depuis le début de l'année, selon le département américain du Trésor.

De quoi raviver les inquiétudes des investisseurs sur la soutenabilité de la dette américaine, déjà sensibles il y a un an : les émissions importantes attendues sur le quatrième trimestre, la baisse de la note de crédit attribuée par Fitch et l’instabilité politique avaient fait rebondir les rendements souverains outre-Atlantique.

Une remontée du taux du 10 ans américain aurait un impact négatif sur le reste des actifs mondiaux car ce rendement est utilisé dans le calcul de valorisations pour les actifs financiers et a un impact sur le coût de financement des entreprises.

Une telle hausse pousserait par ailleurs les investisseurs à exiger un rendement plus important pour le reste des actifs afin de refléter le coût d'opportunité que représente la détention de ces actifs.

"Une remontée des taux longs américains pourrait mettre sous pression des actifs aux valorisations élevées, voire très élevées en fonction des géographies", indique Raphaël Thuin, directeur des stratégies de marchés de capitaux chez Tikehau Capital.

COURT TERME

A court terme, l’incertitude politique pourrait suffire à faire repartir les rendements à la hausse, déjà en net rebond depuis leur point le plus bas en 16 mois atteint en septembre : le rendement du 10 ans US10YT=RR a pris plus de 50 points de base en un mois, atteignant 4,22% le 23 octobre.

Les sondages sont serrés, sans compter qu’une défaite de Donald Trump pourrait conduire à une contestation de l’élection par le candidat malheureux. Le flou porte aussi sur la composition du Congrès américain, qui pourrait limiter la marge de manœuvre du vainqueur - ou au contraire lui laisser les coudées franches.

Entre l’élection et l’intronisation du prochain président américain, le 20 janvier, le 10 ans américain pourrait atteindre 4,5%, estiment plusieurs analystes, surtout si le résultat est incertain. Au-delà, les rendements réagiront en fonction du programme du candidat élu.

"Davantage que les mesures budgétaires ou pouvant déclencher de l’inflation, nous surveillons les mesures de gouvernance qui seront prises, qui pourraient par exemple se traduire par une érosion de l’indépendance de la Réserve fédérale", précise Nicolas Forest, responsable des investissements de Candriam.

Le gérant est positionné sur la duration, surtout européenne, et les options permettant de tirer parti d’un écartement des taux.

Des mesures qui éroderaient la confiance dans la signature américaine pourraient conduire les investisseurs à juger plus risquée la détention de dette américaine et en renchérir les rendements.

Le contexte de marché n'aide pas.

"La pentification de la courbe des taux pourrait se faire par une remontée des taux longs ("bear steepening") : des records d’émission sont attendus l’an prochain, ce alors que les banques centrales se retirent des marchés et que la demande des investisseurs internationaux diminue", explique Raphaël Thuin.

"Reste que 6.500 milliards de dollars sont encore placés sur les fonds monétaires américains, contre 2.500 avant le COVID, et que le déploiement de ces fonds à mesure que les taux de la Fed baissent pourrait soutenir certains actifs obligataires", ajoute Raphaël Thuin.

Le responsable favorise les maturités courtes et les "steepeners", un contrat d'échange de taux d'intérêt ("swap") dans lequel un taux fixe est échangé contre un taux variable qui dépend de la différence entre taux longs et courts.

FONDAMENTAUX

Malgré les tensions éventuelles, une véritable crise budgétaire semble éloignée. Les titres souverains américains demeurent le premier actif sûr, l’activité aux États-Unis reste robuste et les baisses de taux de la Réserve fédérale contribueront à faire pression à la baisse sur les rendements des actifs souverains.

"Des déficits plus élevés ne mènent pas forcément à des rendements plus élevés", prévient Garrett Melson, stratégiste marché US chez Natixis IM. "La demande reste forte pour les souverains américains qui sont utilisés comme collatéral et pour absorber un volume d’épargne mondial important".

La corrélation entre actions et obligations est par ailleurs redevenue négative et pourrait inciter les investisseurs à racheter ces titres, qui permettent de prémunir un portefeuille contre les baisses de marché.

"La dynamique d’inflation et la croissance réelle importent davantage pour les rendements américains", ajoute le gérant qui table sur un taux à 10 ans compris dans une fourchette de 3,5% à 4% sur une période de trois à six mois, même s'il reconnaît que le résultat des élections modifierait cette fourchette.

(Rédigé par Corentin Chappron, édité par Blandine Hénault)