* La BCE s'est invitée au conseil d'administration des
banques
* Passage d'examen pour les administrateurs
* Les banques décrivent une supervision rigoureuse,
intrusive
* La BCE priée de tenir compte des spécificités françaises
par Julien Ponthus
PARIS, 30 octobre (Reuters) - "Intrusif". L'adjectif revient
régulièrement lorsque des dirigeants des grandes banques
françaises sont interrogés sur le style de supervision mis en
place par la Banque centrale européenne (BCE) depuis le 4
novembre 2014.
La paternité de l'expression est attribuée à la française
Danièle Nouy, qui, un mois avant de prendre la tête du Mécanisme
de surveillance unique (MSU), avait promis une supervision "dure
mais équitable" mais aussi "intrusive" si nécessaire.
Promesse tenue selon des dirigeants des dix banques
françaises jugées "significatives" et donc sous supervision de
Francfort, en raison de la taille de leur bilan.
"De mémoire, je n'avais jamais vu la Banque de France aller
à un conseil d'administration", témoigne le patron d'un grand
groupe bancaire au 'board' duquel la BCE s'est invitée.
La présence de représentants de Francfort lors de ces
réunions, même si elle n'est pas systématique, constitue une
petite révolution pour la place de Paris.
"Ils nous ont demandé de venir assister à un 'board', oui
c'est un changement de culture, mais le fait d'avoir eu la crise
financière impose un changement de culture", témoigne un
administrateur d'un autre établissement.
La BCE a mis en place un système de contrôle rigoureux pour
s'assurer que les administrateurs ont les compétences et les
moyens de jouer leur rôle dans le contrôle des risques, une
faille repérée à travers l'Europe lors de la crise financière.
Formulaires à rallonges, demandes de curriculum vitae,
entretiens, les administrateurs ont été soumis à des procédures
très lourdes au terme desquelles tous n'ont pas été confirmés.
"Certains ont été retoqués", rapporte une source du secteur
alors qu'à la Fédération des banques françaises (FBF) on
reconnaît un certain "émoi" causé par la mise en oeuvre du "fit
and proper" (code déontologique) de la BCE.
"CAUCHEMAR OPÉRATIONNEL"
Le passage de témoin de la supervision de Paris à Francfort
a été vécu comme une phase particulièrement éprouvante car il
s'est opéré à la suite d'un exercice, sans précédent par son
ampleur, de revue de la qualité des bilans des banques.
L'Asset Quality Review (AQR), mené à terme il y a un an,
s'est révélé un défi majeur pour les équipes de conformité et
d'audit des banques, où certaines y ont vu un avant-goût de ce
que serait la supervision de la BCE.
Cette première étape s'est en effet avérée "un cauchemar
opérationnel", selon le mot de la directrice générale de la
Fédération bancaire française (FBF).
"Bien sûr que l'AQR a coûté très cher", rapporte Marie-Anne
Barbat-Layani qui évoque, outre la mobilisation générale des
équipes, l'appel à des cabinets de consultants extérieurs qui
s'ajoutent aux 85 millions d'euros facturés directement en 2015
par la BCE aux banques françaises pour leur supervision.
"Mais c'était un exercice utile, un défi réussi pour la BCE,
et personne n'en conteste ni le sérieux ni l'utilité",
ajoute-t-elle. Passé cet exercice, la BCE s'est lancée dans un
processus d'immersion accéléré dans les établissement français.
"La BCE a eu besoin, très logiquement, de prendre
connaissance des établissements et de demander à ce titre
beaucoup d'informations", rapporte Violaine Clerc, responsable à
la direction du contrôle des banques à l'ACPR (Autorité de
contrôle prudentiel et de résolution).
"Cette première année a ainsi pu être perçue comme plus
intrusive d'autant qu'elle s'est accompagnée d'un net
accroissement du nombre de 'reportings' demandés aux
établissements", explique-t-elle, alors que la charge de travail
du régulateur français, sous l'égide du MSU, a comme celle des
banques augmenté.
"Nous sommes passés à plus de 70 réunions par an, contre 40
auparavant", témoigne un responsable du service conformité d'une
grande banque.
Pour ce dernier, ces réunions se caractérisent par un
travail de préparation important d'autant que les équipes
d'inspection ne se satisfont pas des bases de données existantes
et veulent mettre en oeuvre leur propre format de 'reporting'.
Appelées JST (Joint supervisory team), elles sont dirigées
par un responsable de la BCE, toujours de nationalité différente
de la banque dont il a la charge, et composées de membres à la
fois venus de Francfort et de l'ACPR française.
Ce format induit une difficile généralisation de l'anglais
et un "melting pot" de techniciens issus de toute l'Union
européenne rassemblés autour d'une stricte méthode de travail.
DÉFENDRE LES SPÉCIFICITÉS FRANÇAISES
"Toutes les JST appliquent des plans de travail, des plans
de contrôle types qui sont les mêmes pour toutes les banques, il
y a moins de place pour l'improvisation", rapporte le
responsable français en charge de la conformité de sa banque.
"C'est lourd, cela a pris des mois, ce n'est pas fini, cela
doit être décliné dans tout le groupe", soupire-t-il alors que
la charge de travail devrait continuer à croître avec de
nouveaux audits thématiques comme sur la cybersécurité.
Certains responsables avouent en plaisantant rêver de dire
"non" de temps en temps aux exigences de la BCE.
Une tentation qui reste de l'ordre du fantasme car les
états-majors des banques ont décidé de jouer le jeu, le jugement
de la BCE étant capital pour leur rentabilité.
Au terme de ces processus d'audit, la BCE détermine en effet
les fonds propres que doivent posséder les banques au travers du
SREP (Supervisory Review and Evaluation Process).
Outre la question cruciale du niveau de capital exigé, les
banques françaises ont intérêt à développer un dialogue de
qualité afin que les spécificités françaises soient reconnues.
Afin d'éviter toute distorsion de concurrence, La présidente
du MSU, Danièle Nouy, souhaite réduire au minimum les
spécificités nationales, même si certaines sont ardemment
défendues par la place de Paris.
Les difficultés rencontrées par le Crédit agricole CAGR.PA
pour réorganiser son organe centrale font craindre que la BCE
peine à s'ajuster, notamment au mutualisme "à la française".
La FBF tient en particulier aux crédits immobiliers à taux
fixes ou à l'épargne réglementée (comme le livret A), pas encore
suffisamment prise en compte à ses yeux par Francfort.
"Nous avons une discussion à ce sujet (l'épargne
réglementée) avec la banque centrale européenne pour que dans le
cadre du ratio de levier, les spécificités réglementaires qui
s'appliquent aux banques françaises ne soient pas ignorées",
indique Violaine Clerc de l'ACPR.
La FBF plaide également pour que le superviseur unique pèse
davantage dans les instances internationales et y défende les
banques de la zone euro soumises à une réglementation qui menace
à terme, selon elle, le financement de l'économie.
(Avec Leigh Thomas et Maya Nikolaeva, édité par Jean-Michel
Bélot)