* Une convention inédite entre la Défense et les scénaristes
* Les armées veulent offrir leur savoir-faire aux cinéastes
* Un "soft power" qui ne dit pas son nom
* Un engouement depuis "Le Bureau des Légendes"
par Sophie Louet
PARIS, 25 septembre (Reuters) - Le ministère des Armées
signe mardi une première en scellant un accord avec la Guilde
des scénaristes afin de renforcer sa coopération avec le cinéma
français, à l'instar du Pentagone et de Hollywood, et de
promouvoir l'image des armées à l'écran.
Depuis les attentats de 2015 à Paris, l'intérêt des
réalisateurs et du grand public grandit pour les sujets de
fiction liés à la Défense et à ses services, comme la Direction
générale de la sécurité extérieure (DGSE) avec la série de
Canal+ VIV.PA "Le Bureau des Légendes" d'Eric Rochant.
La fiction audiovisuelle est devenue "un outil potentiel de
sensibilisation et de recrutement", concède-t-on au ministère.
"On passe la surmultipliée. Au lieu de se contenter
d'accueillir les réalisateurs sur nos sites pour leurs
tournages, on va développer le conseil très en amont afin
d'aider à des fictions plausibles", déclare Valérie Lecasble,
directrice de la Délégation à l'information et à la
communication de la Défense (Dicod).
"Il y a beaucoup d'histoires sur le Renseignement ou les
forces spéciales. Notre rôle, c'est aussi de montrer tout ce
qu'on fait d'autre et proposer des sujets diversifiés."
C'est Florence Parly qui signera cette convention mardi soir
avec Pauline Rocafull, présidente de la Guilde des scénaristes,
syndicat représentant quelque 300 scénaristes travaillant pour
le cinéma, la fiction TV et l'animation.
Les armées françaises ont usé dès la fin des années 30 du
cinéma comme d'un outil de propagande ou de contre-propagande
mais elles ont pris un net retard sur les forces américaines
dans le maniement de ce désormais "soft power".
Les historiens américains font remonter à 1915 et à
"Naissance d'une nation", de D.W. Griffith, l'amorce des liens
entre l'armée des Etats-Unis et Hollywood : des membres de
l'Académie militaire de West Point avaient alors conseillé le
réalisateur pour les scènes de la guerre de Sécession.
925 À 4.000 EUROS POUR UNE JOURNÉE DE TOURNAGE
L'idée n'est pas de "s'américaniser", dans la représentation
du héros militaire ou le prosélytisme anti-djihadiste, mais
d'"inspirer" et de favoriser une description juste et non
fantasmée de l'armée, dit-on de source militaire française.
Il n'est toutefois pas rare que des soldats français,
engagés nationalement ou sur des théâtres extérieurs, regrettent
sous le sceau de l'anonymat le peu d'appétence du cinéma
français pour l'héroïsme guerrier, dont Pierre Schoendoerffer,
caméraman des armées en Indochine de 1952 à 1954, livra une
vision naturaliste dans "La 317e section" (1964).
Dans le sillage du succès de la série le "Bureau des
Légendes", achetée par les Américains, l'ex-ministre de la
Défense Jean-Yves Le Drian avait lancé en mai 2016 une "Mission
cinéma" au sein du ministère pour succéder au Bureau d'accueil
des tournages, une instance qu'accueille chaque ministère.
Outre la mise à disposition de bâtiments moyennant
rémunération (une grille tarifaire de 2010 fixe de 925 à 4.000
euros une journée de tournage en Ile-de-France), le conseil, à
titre gracieux, se développe. Le ministère, présent chaque année
au Festival de Cannes, reçoit une centaine de demandes de
tournage par an.
"Depuis longtemps les armées américaines travaillent avec
Hollywood de manière étroite. C'est ce type de relation de
confiance, toutes proportions gardées, que nous souhaitons
établir, conforter, développer", dit le chef de la Mission
cinéma, Olivier-René Veillon.
SOUS-MARIN NUCLÉAIRE
Ainsi le diplomate Antonin Baudry, qui a cosigné la bande
dessinée "Quai d'Orsay" et écrit le scénario du film éponyme sur
ses années au côté de Dominique de Villepin au ministère des
Affaires étrangères, fait-il ses premières armes de réalisateur
avec l'appui logistique de l'armée.
Son long-métrage, "Le Chant du loup", annoncé en salles en
2018, est un film d'action tourné en partie à Toulon et Brest
avec Omar Sy et Mathieu Kassowitz qui se déroule dans le milieu
des sous-marins nucléaires, la "force océanique stratégique".
"Nous les avons accompagnés depuis le début, pour les
décors, la préparation : on a embarqué par exemple l'équipe du
film à bord d'un sous-marin", rapporte Valérie Lecasble.
La comédienne Hélène Fillières achève pour sa part le
montage de son deuxième film, "Volontaire", qu'elle a réalisé
avec l'appui de la marine à propos d'une jeune fille, Laura, 22
ans, qui décide de s'engager dans les fusiliers marins.
Aux Etats-Unis, le département de la Défense et la CIA ont
accentué dès les attentats du 11 septembre 2001 la dimension
politique des films de guerre hollywoodiens en apportant
matériels, conseils et entraînements aux réalisateurs.
Pour "La Chute du faucon noir" de Ridley Scott (2002), qui
narre la débâcle américaine à Mogadiscio en octobre 1993, les
acteurs s'étaient entraînés au maniement des armes avec des
membres des forces spéciales, et l'armée avait fourni
hélicoptères et blindés. Ce que l'armée française peut aussi
faire si les moyens n'ont pas "de vocation opérationnelle".
"Le sentiment que nous avons - et en cela nous sommes
proches de nos amis américains - c'est que mieux on apporte une
contribution utile aux créateurs, plus le traitement qu'ils vont
être amenés à faire, aussi critique soit-il, sera de qualité",
juge Olivier-René Veillon.
Fructueuse en termes d'image, cette coopération avec le
septième art le sera aussi financièrement pour la Défense, en
quête de recettes dans un contexte budgétaire contraint.
(Edité par Yves Clarisse)