Ces deux villes américaines qui ont sonné l'alarme sur les polluants éternels information fournie par AFP 19/05/2025 à 00:14
Aucun endroit sur Terre n'est épargné: du Tibet à l'Antarctique, les polluants éternels (PFAS) sont partout, dans la nourriture, dans l'eau, dans le sang d'à peu près toutes les créatures vivantes... et personne n'en saurait rien sans les efforts des habitants de deux villes américaines.
Les PFAS sont associés à des effets néfastes sur la santé: malformations congénitales, baisse de la fertilité ou cancers rares.
Dans son livre "They poisoned the World: Life and Death in the Age of Chemicals" ("Ils ont empoisonné le monde: vie et mort à l'âge des produits chimiques"), la journaliste d'investigation Mariah Blake raconte comment les habitants de Parkersburg, en Virginie Occidentale, et Hoosick Falls, dans l'Etat de New York, ont lancé l'alerte sur ces PFAS.
"On parle d'une catégorie de polluants qui ne se détériorent pas dans l'environnement", explique à l'AFP Mariah Blake, évoquant "la pire pollution de l'histoire humaine".
Découverts dans les années 1930 presque par accident par un chimiste du géant de l'industrie DuPont, ces milliers de per- et polyfluoroalkylées (PFAS), auraient pu rester marginaux selon Mme Blake si les scientifiques du Projet Manhattan n'en avaient trouvé l'utilité dans la fabrication de la bombe atomique.
Cela a conduit à une production à grande échelle et les PFAS sont depuis le milieu du XXe siècle abondamment utilisés dans l'industrie, notamment pour leurs propriétés imperméabilisantes et antiadhésives.
- Moules à gâteaux -
Les industriels ont rapidement identifié les risques posés par ces PFAS: des tests dans des usines travaillant sur ces substances ont montré des ouvriers souffrant de brûlures chimiques et de détresse respiratoire. Des cultures fanaient et du bétail mourait près des usines.
Pourquoi les PFAS ont-ils continué à être utilisés aussi largement ? Mme Blake remonte aux années 1920 et la création d'une doctrine aujourd'hui tristement célèbre: les produits chimiques sont présumés sans risque, à moins que leur nocivité ne soit prouvée.
Les études du géant de l'industrie DuPont avaient pourtant rapidement mis en lumière que le téflon ne devait pas être utilisé pour les ustensiles de cuisine. Mais après qu'un ingénieur français en a recouvert les moules à gâteaux de sa femme, l'engouement parisien a pris de l'ampleur et un entrepreneur américain... a revendu l'idée à DuPont.
Rapidement, les poêles antiadhésives étaient partout, en partie grâce à une lacune réglementaire: les PFAS, ainsi que des milliers d'autres produits chimiques, ont été inscrits dans une loi américaine de 1976 sur le contrôle des substances toxiques. Une fois incluses dans cette loi, les substances ne nécessitaient plus de tests supplémentaires.
Mais la situation a commencé à déraper dans les années 1990 à Parkersburg, où DuPont balançait depuis des décennies des résidus de téflon dans des puits et dans la rivière Ohio. La ville a prospéré économiquement, mais les ouvrières des usines ont commencé à avoir des bébés avec de sévères déformations faciales et des cancers rares sont apparus.
- "Avancées considérables" -
Mariah Blake raconte cette histoire à travers des "militants accidentels". L'un d'entre eux, Michael Hickey, employé dans les assurances, a commencé à tester l'eau du robinet à Hoosick Falls après que le cancer a emporté son père et plusieurs de ses amis.
Une autre, Emily Marpe, devenue mère alors qu'elle était encore adolescente, a découvert des niveaux énormes de PFAS dans son sang. "Elle a étudié ce dossier dans les moindres détails", relate Mme Blake, et elle est devenue "une avocate de la cause extrêmement efficace".
Des années de procédures judiciaires ont débouché sur des dizaines de millions de dollars d'accords à l'amiable et ont forcé les géants DuPont et 3M à éliminer deux sortes de PFAS. Mais ces industriels les ont remplacés par des substituts... finalement tout aussi toxiques.
Malgré tout, les choses changent, constate Mariah Blake. La France a interdit les PFAS dans beaucoup de biens de consommation, l'Union européenne étudie une interdiction et de nombreux Etats américains commencent à appliquer des restrictions dans les engrais et emballages plastiques.
"Des citoyens ordinaires qui ont décidé de protéger leurs familles et leurs communautés ont vraiment provoqué ce changement spectaculaire", estime-t-elle. "C'est comme le changement climatique: il semble insoluble, mais voici un cas où les gens ont permis des avancées considérables."