Carrefour pourrait enfin se réveiller pour de bon
information fournie par Cercle Finance 15/01/2021 à 15:51

(Crédits photo : Wikimedia Commons - )

Le dossier Carrefour est passé de capitalistique à politique en moins de temps qu'il n'en faut pour orchestrer une « vente flash » destinée à écouler des surplus de galette des rois pour libérer une tête de gondole.

L'hostilité affichée en quelques heures par deux ministres (Bruno Le Maire et Elisabeth Borne) au rachat de Carrefour par le groupe de distribution alimentaire canadien Couche­-Tard avait généré un petit épisode correctif de -7% qui n'avait effacé au pire que 50% de l'envolée de la veille, au-delà du zénith de 17,7E de fin juillet 2019.

Beaucoup d'opérateurs avaient voulu y voir un « effet d'annonce », une « posture »… mais 24H plus tard, Bruno Le Maire renchérit et indique que le gouvernement opposera un veto à l'opération.

Carrefour racheté par le canadien Couche-Tard : c'est non pour le gouvernement

Pas question que Carrefour passe sous pavillon étranger : les investisseurs avaient eux aussi vite traduit la formule "rapprochement amical" par une proposition de rachat…étant vite établi qu'il ne s'agirait pas d'une « fusion entre égaux » par le groupe de distribution alimentaire canadien Couche-Tard puisque ce dernier pèse environ 2 fois plus lourd boursièrement que sa cible potentielle.

Le scénario du rachat était d'autant plus évident qu'un prix d'acquisition de 20 E par titre était évoqué, soit une « prime » de 44% par rapport au cours du 1er janvier, de 33% par rapport à la moyenne des échanges des 12 derniers mois (avec 12 E et 16,5 E comme extrêmes sur la période).

Bien sûr, il ne s'agissait que de « chiffres murmurés » (whispered numbers, selon l'expression anglo-saxonne consacrée) et aucune offre formelle n'a été déposée par le groupe canadien.

Les principaux actionnaires français étaient demeurés silencieux (famille Moulin avec 12,62%, famille Diniz 7,46%, holding Arnault 5,53%).

L'Etat a vite donné de la voix et fait part des inquiétudes gouvernementales : il a brandi la protection de la « sécurité alimentaire » de la France.

Un tel argument aurait pu être compréhensible si Couche-Tard trainait dans son sillage une réputation sulfureuse, comme l'opaque groupe chinois Casil qui avait racheté l'aéroport de Toulouse pour le vider de sa substance dans l'indifférence générale.

L'Etat ne s'était pas montré si regardant lors de la cession de la division turbines d'Alstom à son principal concurrent américain General Electric, lequel mettait la main sur des technologies de pointe uniques et s'ingérait dans la maintenance de nos centrales nucléaires… avant de se retrouver lui-même au bord de la faillite en 2019.

Une opération surtout risquée pour Couche-Tard, le champion des dépanneurs ...

Pourquoi Couche-Tard fait-il si peur ? Pas de risque de faillite, pas de casseroles, une success-story limpide, devenue légendaire et qui est enseignée dans plusieurs universités canadiennes ou écoles de management.

Le siège social est basé à Laval (banlieue de Montréal), c'est là que tout a commencé il y a 40 ans, avec le 1er point de vente.

L'offre de Couche-­Tard - qui a désormais peu de chances d'aboutir - aura au moins eu le mérite de faire découvrir à la plupart des Français un groupe canadien à la dynamique de croissance phénoménale.

Une saga qui part de la 1ère épicerie/dépanneur la banlieue nord de Montréal, s'étend à l'ensemble du Québec, puis aux autres provinces canadiennes, avant de conquérir les Etats-Unis, puis de franchir l'Atlantique pour s'implanter en Norvège, via le rachat de Statoil (son réseau de stations-service)... puis à Hong Kong (rachat de Convenience Retail Asia).

Et il est vrai qu'Alain Bouchard, le fondateur et dirigeant de Couche-Tard ne s'est jamais aventuré hors de son domaine des commerces de proximité, si possible couplé avec de la distribution de carburant (ce qui représente 70% du chiffre d'affaires de Couche-Tard à ce jour mais mieux vaut retenir que le groupe détient 14.000 points de vente sous différente enseignes de détaillants, et qu'elles sont toutes profitables).

C'est donc Couche-Tard qui semble prendre le risque de prendre le contrôle d'un distributeur moins rentable que lui - et pas l'inverse -, et c'est exactement comme cela que ses actionnaires l'ont perçu, faisant chuter le géant canadien de -10%.

Le rachat de Carrefour ne semblait induire de lourdes pertes d'emplois : c'est généralement la suppression des "doublons" qui permet de mettre en avant des "synergies" aux yeux des actionnaires (les fameuses « économies d'échelle ».

L'état français avait peu à redouter d'un impact social potentiellement coûteux sur le plan politique à 1 an et 4 mois des élections.

Carrefour, un dossier sous-valorisé

En ce qui concerne l'actionnaire de Carrefour, le projet d'offre de Couche-Tard semble démontrer que la valorisation de Carrefour était jugée extrêmement faible (le titre avait fait une performance "0" sur 12 mois) et qu'elle s'avèrerait supérieure à 18 E, son meilleur cours intraday du 13 janvier.

Et un prix de 20 E aurait pu constituer une bonne base de départ pour faire monter les enchères, pour la famille Moulin, le principal actionnaire des Galeries Lafayette, sévèrement impacté par l'effondrement des ventes causé par les restrictions sanitaires liées au Covid, et qui ne vont pas s'arranger avec le couvre-feu avancé à 18H dès ce weekend.