ANALYSE -Les fonds n'imaginent pas la dette italienne classée "junk"
information fournie par Reuters 10/10/2018 à 09:21
par Abhinav Ramnarayan et Virginia Furness LONDRES, 10 octobre (Reuters) - Le calendrier ne pouvait pas être pire pour la dette souveraine italienne: l'affrontement avec Bruxelles sur les objectifs budgétaires propulse les rendements obligataires à de nouveaux pics juste au moment où les deux principales agences de notation révisent leurs notes de crédit du pays. Moody's et S&P Global, qui feront connaître leur décision à la fin du mois, pourraient bien dégrader d'un cran leurs notes, qui resteraient alors de justesse en catégorie d'investissement. Il ne manquerait plus ensuite qu'un abaissement d'un cran pour que la dette souveraine italienne soit classée pour la première fois en catégorie spéculative ("junk"), un scénario noir qui pourrait faire fuire les plus importants investisseurs institutionnels du monde. Les enjeux politiques et le risque de contagion dans la zone euro rendent toutefois cette hypothèse hautement improbable, voire inconcevable de l'avis des principaux investisseurs sur le marché obligataire. Le casse-tête pour eux consiste à évaluer correctement le risque d'un passage en catégorie "junk". D'un côté il y a le poids d'un marché qui est le premier de la zone euro pour les obligations souveraines et le programme de rachats d'actifs de la Banque centrale européenne, qui court jusqu'à la fin de l'année; de l'autre, il leur faut intégrer les règles d'éligibilité à ce programme et les risques de sortie de l'Italie de l'euro. LE SPREAD JUSQU'OÙ ? Pour certains, l'écart de rendement entre les obligations italiennes et allemandes - qui a atteint mardi un pic de cinq ans de 312 points de base - et la valeur des swaps de défaut de crédit rangent déjà l'Italie au niveau d'un emprunteur en catégorie spéculative. Kaspar Hense, gérant chez BlueBay Asset Management, estime ainsi qu'un "spread" italo-allemand de 300 points de base sur les obligations à dix ans est plus compatible avec un émetteur noté junk, sur la base d'un modèle comparant l'Italie avec d'autres dettes souveraines de pays développés et émergents. Moody's et S&P assurent que leurs décisions sont motivées uniquement par l'analyse crédit et ne sont pas influencées par le contexte politique. Mais les investisseurs pensent que les modèles à base de comparatifs peuvent être trompeurs s'ils ne tiennent pas compte des enjeux politiques, énormes en l'occurrence au vu de la taille du marché obligataire italien et de son importance systémique dans la zone euro. "Un déclassement en catégorie junk pourrait déclencher une crise majeure" dans la zone euro, dit Nicola Mai, gérant chez Pimco, le premier investisseur mondial en obligations. "Pour cette raison je ne pense pas que les agences le feront, car elles ne voudront pas être celles qui déclenchent une crise en Europe." Iain Stealey, gérant obligataire chez JP Morgan Asset Management - autre poids lourd du marché - juge également très improbable une dette italienne en catégorie spéculative. "Ce serait une décision colossale, ne serait-ce qu'à cause de la taille du marché obligataire italien, qui représente quelque chose comme 20% des obligations d'Etat de la zone euro", indique-t-il. Ce facteur donne à penser que Rome bénéficie de davantage de clémence que d'autres émetteurs, ce qui explique que le risque d'une dégradation en catégorie junk ne soit que partiellement intégré dans les cours. Goldman Sachs et Bank of America Merrill Lynch ont estimé chacun de son côté le mois dernier que ce risque serait totalement reflété par un écart de taux de 400 pdb avec les Bunds. Au plus fort de la crise de la dette dans la zone euro, le spread a été plus important encore, à plus de 550 pdb, ce qui n'a pas empêché l'Italie de conserver ses notes en catégorie d'investissement - à une époque où la BCE n'avait pas encore lancé son programme d'achat d'actifs. Pour autant, les inquiétudes autour du risque de notation ont toutes les chances de persister. "La menace d'une notation junk ne disparaîtra pas tant que la coalition actuelle sera au pouvoir", juge John Taylor, gérant obligataire chez AllianceBernstein - un fonds qui gère pour 546 milliards de dollars (476 milliards d'euros) d'actifs. LOURDS ENJEUX L'Italie représente environ 22% de l'indice iBoxx EUR Eurozone, qui pèse 1.346 milliards d'euros, 5,7% de l'indice ICE BofAML Global Government (1.175 milliards d'euros) et 7,53% de l'indice FTSE Russell des obligations souveraines (FTSE Russell World Government Bond Index), qui est dupliqué par 800 milliards de dollars d'actifs. La plupart des grands indices, comme l'iBoxx et l'indice Bloomberg/Barclays Euro Aggregate, qui a une valeur de plus de 10.000 milliards d'euros, se fondent sur la moyenne des notes de Moody’s, S&P et Fitch, si bien qu'une dégradation au statut junk par deux des trois agences suffirait à en exclure l'Italie. A l'inverse, il faudrait que la note souveraine italienne soit déclassée en catégorie spéculative par les trois grandes agences plus DBRS pour que la BCE cesse d'acheter des obligations italiennes dans le cadre de son programme d'assouplissement quantitatif. Cette question sera sensible en fin d'année avec l'arrêt des achats d'obligations par la BCE. En 2016, quand le Portugal était sous la menace d'une quatrième dégradation, l'écart de taux entre ses obligations à dix ans et le Bund de même échéance s'était accru de 80 points de base en seulement deux mois. DBRS avait finalement maintenu sa note de la dette portugaise. Compte tenu des enjeux et des sensibilités, il paraît peu probable que l'Italie s'expose au même danger dans un avenir proche. "Les agences de notation laisseront beaucoup de temps à un émetteur aussi influent que l'Italie", conclut Iain Stealey chez JP Morgan AM. Voir aussi : COMPTE A REBOURS sur le budget italien <^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ Italy's sovereign long-term credit ratings https://reut.rs/2yqr1nx Italy's spread: a decade of highs and lows https://reut.rs/2yoNAsU Italy's CDS price trades in line with junk-rates issuers https://reut.rs/2OcNzmC ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^> (avec Ritvik Carvalho pour les graphiques, Véronique Tison pour le service français, édité par Marc Angrand)