Rheinmetall–KNDS : duel pour l’Europe des blindés
information fournie par Le Cercle des analystes indépendants 19/06/2025 à 08:50

Un char Leopard, fabriqué par Rheinmetall

Le retour de la guerre conventionnelle sur le continent bouleverse l'économie de défense. Le conflit en Ukraine a rebattu les cartes du marché de la défense. Les États européens multiplient les commandes urgentes pour reconstituer leurs stocks et moderniser leurs équipements. L'Allemagne a mobilisé un fonds spécial de 100 Mds €, la Pologne consacre près de 4 % de son PIB à la défense.

Cette demande génère une ruée vers les industriels capables de livrer vite, produire en masse et adapter leurs chaînes à une économie de guerre. Munitions d'artillerie, véhicules blindés, tourelles téléopérées : les commandes s'accumulent et redéfinissent la hiérarchie industrielle.

Face à cette demande massive d'équipements terrestres – chars, blindés, canons, munitions – l'Europe recompose son tissu industriel.

Deux acteurs dominent ce secteur clef : Rheinmetall, en forte croissance et coté en Bourse, et KNDS, non côté en Bourse, fruit d'une coopération politique franco-allemande. Leur opposition illustre deux approches de la souveraineté industrielle…

KNDS : une accélération des performances économiques et financières

Créé en 2015 par la fusion de Nexter (France) et KMW (Krauss-Maffei Wegmann, Allemagne), KNDS est une structure binationale à gouvernance partagée, non cotée. L'idée est de bâtir un « Airbus du terrestre », avec à terme un char de nouvelle génération (MGCS). Sur le papier, KNDS incarne la coopération industrielle européenne.

Dans les faits, le groupe reste dépendant de la commande publique (France en tête), avec une logique d'export maîtrisée mais limitée. Le canon Caesar s'exporte bien et le programme Scorpion structurent la modernisation française. Mais KNDS affiche peu d'agilité commerciale et n'a pas de présence industrielle directe en Europe centrale ou orientale.

Les performances financières récentes de KNDS sont favorables. Le groupe a généré 3,8 Mds € de CA en 2024 (+15 %) ; il a progressé de 72% depuis 2020, alors qu'il était stationnaire depuis la création du groupe en 2015...

Source : Factset et Phiadvisor Valquant

Les prises de commande ont atteint pour 11,2 Mds € (+40% !) grâce au succès des programmes nationaux et internationaux LEOPARD 2 A8, SERVAL pour la France, le système d'obusiers RCH 155 pour l'Ukraine, CAESAR export, BOXER pour la Lituanie et d'autres véhicules SCORPION, ainsi que l'augmentation significative des commandes de munitions et de soutien. En conséquence, le carnet de commandes atteignait 23,5 Mds € fin 2024, soit plus de 6 ans de ventes....

Avec près de 1 000 nouvelles embauches en 2024, l'effectif de KNDS a dépassé les 10 000 et atteindra 11 000 en 2025. Le groupe a publié en 2023 un bénéfice d'exploitation de 408m€ et un résultat net de 336,4m€, selon FactSet : la marge nette dépasse 10% en 2023, alors qu'elle 7-8 % jusque 2021.

Une introduction en bourse serait envisagée à moyen terme, mais sans calendrier clair.

Rheinmetall : la machine de guerre financière

Rheinmetall est une entreprise allemande de défense et d'automobile fondée en 1889, qui est un des fournisseurs les plus importants de l'OTAN. Bien que l'entreprise conserve sa branche civile, la division défense (plus de 70% de l'activité) est le moteur de la croissance et de la valorisation de l'entreprise. Le groupe employait fin 2024 près de 30.000 salariés.

Rheinmetall est en effet le principal fournisseur de l'OTAN de munitions d'artillerie de 155 mm, un fabricant de chars, de systèmes de défense aérienne et de véhicules militaires autonomes, un acteur en croissance dans la guerre électronique et les systèmes de combat pilotés par l'IA.

Ses produits stars sont le Panther KF51 (char nouvelle génération), le Lynx (exporté notamment en Hongrie), la défense anti-aérienne (Skynex), et surtout la munition de 155 mm, un segment critique pour l'Ukraine et l'OTAN.

Le groupe a réalisé 9,75 Mds € de CA en 2024, en hausse de 36 %, avec un carnet de commandes à plus de 55 Mds €, et une marge opérationnelle attendue autour de 13 à 15%. Ses implantations s'étendent (Hongrie, Lituanie, Ukraine), avec plus de 8 Mds € d'investissements industriels programmés sur deux ans.

À bien des égards, Rheinmetall occupe aujourd'hui une position de leader sur le marché de la défense. Rheinmetall réalise 30,4% de ses ventes en Allemagne, 46,6% en Europe hors Allemgne, moins de 10% en Asir et Proche orient, et moins de 8% en Amérique.

L'ascension boursière et fondamentale de Rheinmetall a été fulgurante.

Source : Factset et Phiadvisor Valquant

Alors que le cours valait autour de 80€ en 2021, il a atteint récemment plus de 1 800€, soit une multiplication plus de 20 ! De son coté, la performance financière n'est pas en reste : le BPA de 8 € environ en 2021, est attendu à plus de 44€ en 2026...Surtout, la croissance autorisée par l'explosion de la demande en équipements militaires de la part de l'Otan et de tous ses clients est considérable, comme le montre le graphique suivant.

Source : Factset et Phiadvisor Valquant

Dès lors, on comprend pourquoi les ratios d'évaluation de l'action se sont envolés à 5,6 fois les ventes annuelles, 13 fois les fonds propres ou encore plus de 45 fois le bénéfice prospectif.

Dans un monde où la défense est redevenue une priorité stratégique et économique, l'Europe dispose de deux champions dans le domaine des chars et des équipements terrestres d'une facon générale. D'un côté, KNDS incarne une volonté de souveraineté partagée entre les deux pays au cœur de l'Europe, la France et l'Allemagne. Mais le groupe reste lent, complexe et peu transparent. De l'autre, Rheinmetall propose une efficacité redoutable, une vision claire, une exécution agile – et une performance boursière impressionnante.

Par Rainier Brunet-Guilly, associé et cofondateur d'AllStrat et Eric Galiegue, associé de PhiAdvisor Valquant