Les hedge funds ont été au coeur des tensions sur les Treasuries information fournie par Reuters 10/04/2025 à 13:40
par Davide Barbuscia et Carolina Mandl
L'effondrement des bons du Trésor américain cette semaine a ravivé les craintes d'une dislocation de ces marchés au cœur du système financier mondial, sous la pression du débouclage de stratégies de fonds alternatifs, soulevant par ailleurs des inquiétudes sur la pérennité de la dette américaine dans les allocations.
A de multiples reprises au cours des dernières séances, les rendements des bons du Trésor américain ont atteint leurs progressions hebdomadaires les plus fortes depuis 2001 alors que les investisseurs cherchaient à comprendre l'impact des mesures douanières de Donald Trump, compliquées par les déclarations nombreuses et parfois contradictoires de l'administration américaine.
Certains participants de marché assurent que les ventes de Treasuries ont eu lieu de manière ordonnée, mais d'autres analystes et investisseurs jugent que les mouvements de ces derniers jours sont comparables à la "course à la liquidité" de mars 2020, qui avait déclenché un crash obligataire et forcé la Réserve fédérale (Fed) à intervenir.
L'écart vendeur-acheteur qui mesure la différence entre le prix demandé à la vente et proposé à l'achat pour un titre donné et qui constitue l'une des principaux étalons de la liquidité de marché a ainsi plus que doublé mercredi, selon un opérateur de marché.
Les conditions de marché ont été particulièrement difficiles dans la nuit de mardi, raconte Bill Campbell, gérant chez DoubleLine, moment à partir duquel les fonds alternatifs sous pression ont commencé à sortir de leurs positions sur la dette américaine.
"Avec les ventes en Asie puis en Europe (mardi soir), des signaux d'alarme ont commencé à se déclencher, révélant que le niveau de stress au sein du système financier progressait. S'il avait continué sa hausse, d'autres évènements plus graves auraient pu survenir ", résume le gérant.
Les fonds alternatifs ont ainsi eu à répondre à des appels de marge importants qui les ont forcés à poster davantage de collatéral ou à déboucler leurs positions, abondent des sources de marché.
Ces fonds sont devenus des acteurs importants sur les marchés des bons du Trésor, les volumes empruntés sur les marchés de prise en pension pour financer leurs stratégies adossées aux titres souverains américains totalisant 2.500 milliards de dollars (2.260 milliards d'euros) en décembre, selon les chiffres de l'Office of Financial Research du Trésor américain.
Deux stratégies, qui reposent toutes deux sur le recours massif au levier, semblent avoir été concernées: celles de "valeur relative", qui arbitrent de petites dislocations de prix, et celles d'"écart de swap" (swap spread) qui parient sur l'écartement du prix d'une obligation et du contrat de swap de taux à maturité équivalente.
Ces ventes ont pesé sur les bilans des banques, desquels dépend précisément la capacité des institutions bancaires à apporter de la liquidité sur les marchés obligataires.
Un acteur de marché tempère : le marché a fonctionné comme il le devait mais l'ensemble des participants était attentif aux signaux de stress, son entreprise ayant notamment accepté de financer ses clients alors que les banques commençaient à restreindre l'accès au financement.
En revanche, les stratégies de "basis trade", qui reposent sur l'achat de titres souverains et la vente de contrats dérivés sur ceux-ci en pariant sur la convergence du prix des deux actifs, ne semblent pas avoir été concernées par des liquidations forcées, selon deux sources.
"Le débouclage a été plus important sur les swap spreads (…). Il y a de l'activité sur les contrats à terme mais nous n'y constatons pas de stress important", résume Bhas Nalabothula, responsable taux américains chez Tradeweb.
RETOUR AU CALME
Bill Campbell précise que les conditions sur les marchés se sont améliorées mercredi matin. "Les fournisseurs de liquidité se sont rendu compte qu'ils disposaient encore d'assez de marge de manœuvre et les marchés se sont régulés d'eux-mêmes".
Les inquiétudes sur le fonctionnement du marché des Treasuries, qui totalise 29.000 de dollars, ne se sont pas limités à la sphère financière : après avoir suspendu l'application des droits de douane, Donald Trump a déclaré que "le marché des taux est beau maintenant".
Une dislocation des marchés souverains américain pourrait déclencher une crise financière et économique mondiale en empêchant les investisseurs d'avoir accès à ces titres sûrs et en restreignant l'accès des entreprises aux financements de marché, tandis que la hausse des rendements porterait le coût de l'endettement public à un niveau prohibitif et compliquerait la transmission de la politique monétaire.
"Le mouvement sur les taux a pu contribuer à la décision sur les droits de douane mais n'a pas causé de mouvement de panique" au sein de l'administration américaine", a nuancé jeudi Kevin Hassett, conseiller économique de Donald Trump, sur CNBC.
La question est donc désormais celle de l'impact à long terme des mouvements de marché des derniers jours sur le rôle de la dette américaine.
"Les dégâts sont là (…), à la fois en termes de croissance économique et de volonté des investisseurs étrangers à financer le déficit extérieur américain", constatent les analystes de Deutsche Bank.
"L'âge de l'exceptionnalisme américain, au moins sur le plan financier, est arrivé à son terme", concluent les analystes de Westpac.
"L'actif sans risques ultime, les bons du Trésor américain, 'l'étalon-or du collatéral', l'instrument que n'importe quel investisseur, depuis le Tennessee jusqu'à Tokyo, pouvait acheter, est remis en question".
(Reportages de Davide Barbuscia, Carolina Mandl, Shankar Ramakrishnan, Chuck Mikolajczak et Paritosh Bansal, version française Corentin Chappron, édité par Sophie Louet)