Le contrôle du Hamas sur Gaza complique l'instauration d'une paix durable
information fournie par Reuters 22/01/2025 à 15:56

par Nidal al-Mughrabi

Depuis le cessez-le-feu entré en vigueur dimanche à Gaza, les dirigeants du Hamas supervisent de nouveau l'activité de l'enclave, du déblayage des décombres aux patrouilles de police dans les rues, une présence qui constitue un défi pour l'instauration d'une paix durable, selon des analystes et experts en sécurité.

La présence du Hamas contredit ainsi les propos de responsables israéliens qui ont affirmé que la foule qui célébrait l'entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza était une orchestration destinée à exagérer la force du groupe palestinien au sein de la population.

Dans les jours qui ont suivi le cessez-le-feu, le gouvernement de Gaza, dirigé par le Hamas, s'est empressé de rétablir la sécurité, de limiter les pillages et de commencer à rétablir les services essentiels dans certaines parties du territoire, dont des pans entiers ont été détruits par l'offensive israélienne à la suite des attaques du 7 octobre 2023.

Une douzaine d'habitants, de responsables, de diplomates régionaux et d'experts en sécurité interrogés par Reuters ont déclaré que le Hamas reste profondément ancré à Gaza et que sa mainmise sur le pouvoir constitue un défi pour la mise en oeuvre d'un cessez-le-feu permanent.

Le groupe islamiste ne contrôle pas seulement les forces de sécurité, mais dirige également les ministères et les agences gouvernementales, paie les salaires des employés et assure la coordination avec les ONG internationales.

Mardi, ses policiers et ses hommes armés - tenus à l'écart des rues depuis des mois par les frappes aériennes israéliennes - étaient postés dans des quartiers de la bande de Gaza.

"Nous voulons empêcher toute forme de vide sécuritaire", a déclaré le directeur du bureau des médias de Gaza, Ismail Al-Thawabta. Il a précisé que quelque 700 policiers protégeaient les convois d'aide et qu'aucun camion n'avait été pillé depuis dimanche, ce qui contraste avec les vols massifs de denrées alimentaires perpétrés par des bandes criminelles avant le cessez-le-feu.

Un porte-parole des Nations unies a confirmé mardi qu'aucun pillage ni aucune attaque contre des travailleurs humanitaires n'avaient été signalés depuis l'entrée en vigueur de la trêve.

Ces dernières semaines, Israël a pris pour cible des fonctionnaires de moindre responsabilité à Gaza dans le but apparent de briser le contrôle du Hamas sur le gouvernement.

Israël avait précédemment éliminé des dirigeants du Hamas, notamment son chef politique Ismaïl Haniyeh et les cerveaux de l'attentat du 7 octobre, Yahya Sinouar et Mohammed Deif.

Malgré ces coups sévères, l'administration dirigée par le Hamas continuait à fonctionner, a affirmé Ismaïl al Thaouabta.

"Actuellement, nous avons 18.000 employés qui travaillent quotidiennement pour fournir des services aux citoyens", a-t-il déclaré.

Dimanche, les municipalités dirigées par le Hamas ont commencé à enlever les décombres de certaines routes pour permettre aux véhicules de passer, tandis que les ouvriers réparaient les canalisations et les infrastructures pour rétablir l'eau courante dans les quartiers.

Mardi, des dizaines de camions lourds ont transporté les débris des bâtiments détruits le long des principales artères poussiéreuses de l'enclave.

PAS DE VISION POUR L'AVENIR

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu n'a toutefois pas défini de vision pour l'avenir de Gaza après la guerre, se contentant d'insister sur le fait que le groupe islamiste ne peut jouer aucun rôle.

Le dirigeant israélien estime que l'Autorité palestinienne, qui a été créée dans le cadre des accords de paix d'Oslo il y a trente ans et qui administre partiellement la Cisjordanie occupée, n'est pas non plus digne de confiance sous sa direction actuelle.

Le gouvernement israélien n'a pas répondu aux questions de Reuters.

Selon Joost Hiltermann, analyste de l'International Crisis Group, la mainmise du Hamas sur Gaza place Israël devant un dilemme.

"Israël a le choix entre continuer à se battre à l'avenir et à tuer des gens - ce qui n'a pas fonctionné au cours des 15 derniers mois - ou permettre un arrangement dans lequel l'Autorité palestinienne prendrait le contrôle avec l'accord du Hamas", a-t-il déclaré.

La capacité militaire du Hamas est difficile à évaluer, car son arsenal de roquettes reste caché et nombre de ses combattants les mieux entraînés ont peut-être été tués, mais le mouvement reste de loin le groupe armé dominant à Gaza.

"Personne n'envisage une prise de contrôle de Gaza par l'Autorité palestinienne sans le consentement du Hamas", souligne Joost Hiltermann.

Bien que de hauts responsables du Hamas aient exprimé leur soutien à un gouvernement d'unité pour Gaza, le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, ancien opposant du groupe islamiste, ne l'a pas accepté.

Ni le bureau de Mahmoud Abbas ni l'Autorité palestinienne n'ont répondu à une demande de commentaire.

NOUVELLES NÉGOCIATIONS

En vertu du cessez-le-feu en vigueur, Israël doit retirer ses troupes du centre de Gaza et permettre aux Palestiniens de retourner dans le nord de l'enclave pendant une première phase d'une durée de six semaines, au cours de laquelle 33 otages israéliens seront libérés.

À partir du 16e jour de cessez-le-feu, les deux parties doivent négocier une deuxième phase, qui devrait inclure un cessez-le-feu permanent et un retrait complet des troupes israéliennes.

La reconstruction, qui coûtera des milliards de dollars et prendra des années, ne commencerait que dans une troisième et dernière phase.

L'accord divise l'opinion publique israélienne. Bien que le retour des trois premiers otages dimanche ait été largement célébré, de nombreux Israéliens souhaitent la disparition du Hamas pour l'attaque du 7 octobre 2023, au cours de laquelle 1.200 personnes ont été tuées et plus de 250 ont été prises en otage.

Avant même l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, des membres du cabinet de Benjamin Netanyahu se sont déclarés favorables à la reprise de la guerre pour chasser le Hamas du pouvoir, une fois les otages rentrés chez eux.

Trois ministres d'extrême droite ont démissionné en raison de leur mécontentement à l'égard de l'accord.

"Il n'y a pas d'avenir de paix, de stabilité et de sécurité pour les deux parties si le Hamas reste au pouvoir dans la bande de Gaza", a déclaré dimanche le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar.

Abou Obaïda, porte-parole de la branche armée du Hamas, a déclaré à Reuters que le groupe respecterait les termes du cessez-le-feu et a exhorté Israël à faire de même.

Gaza n'est plus qu'un champ de ruines et de camps de fortune où des centaines de milliers de personnes cherchent à s'abriter du froid hivernal et survivent grâce à l'aide humanitaire.

Selon les autorités sanitaires palestiniennes, plus de 46.000 personnes sont mortes depuis le début de l'offensive israélienne.

Dimanche, alors que les forces du Hamas défilaient dans les rues, certains habitants de l'enclave exprimaient leur fierté d'avoir survécu au conflit.

"Citez-moi un pays qui pourrait résister à la machine de guerre israélienne pendant 15 mois", a déclaré Salah Abu Rezik, un ouvrier âgé de 58 ans.

Il a félicité le Hamas d'avoir aidé à distribuer de l'aide aux habitants affamés pendant la guerre et d'avoir tenté d'instaurer un certain degré de sécurité.

"Le Hamas est une idée et on ne peut pas tuer une idée", a-t-il déclaré, prédisant la reconstruction du groupe.

D'autres, en revanche, ont exprimé leur indignation face à l'attaque du Hamas d'octobre 2023, affirmant qu'elle avait semé la destruction dans la bande de Gaza.

"Nous avions des maisons, des hôtels et des restaurants. Nous avions une vie. Aujourd'hui, nous n'avons plus rien, alors de quelle victoire s'agit-il ?", se plaint Ameen, un ingénieur civil de 30 ans déplacé à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.

"À la fin de la guerre, le Hamas ne doit pas diriger seul la bande de Gaza", a-t-il défendu.

SANS RIVAUX

L'Autorité palestinienne prétend être la seule autorité légitime à gouverner la bande de Gaza après la guerre, mais elle n'est pas présente dans l'enclave et les sondages d'opinion montrent qu'elle ne jouit que d'un faible soutien populaire.

Le Hamas a écrasé l'opposition à Gaza depuis qu'il a renversé l'Autorité palestinienne dominée par la faction rivale du Fatah en 2007, après une brève guerre civile.

Soutenu par l'Iran, le groupe islamiste a mis également en place un appareil de sécurité et une organisation militaire redoutés, basés sur un vaste réseau de tunnels, dont beaucoup ont été détruits par Israël pendant la guerre.

Israël a proposé des idées provisoires pour Gaza après-guerre, comme la cooptation des chefs de clan locaux - dont plusieurs ont été immédiatement assassinés par le Hamas - ou le recours à des membres de la société civile gazaouie n'ayant aucun lien avec Hamas.

Aucune de ces solutions n'a eu de succès.

Les diplomates ont discuté de modèles impliquant la participation de forces internationales de maintien de la paix, dont un dans lequel les Émirats arabes unis et les États-Unis, ainsi que d'autres pays, superviseraient temporairement la gouvernance, la sécurité et la reconstruction de Gaza jusqu'à ce qu'une Autorité palestinienne réformée soit en mesure de prendre le relais.

Un autre modèle, soutenu par l'Égypte, prévoit qu'un comité mixte composé du Fatah et du Hamas dirige Gaza sous la supervision de l'Autorité palestinienne.

Mais selon Michael Milshtein, un ancien officier du renseignement militaire israélien qui travaille actuellement au Centre Moshe Dayan pour les études sur le Moyen-Orient et l'Afrique à Tel-Aviv, la volonté publique du Hamas de discuter d'un gouvernement d'unité est "cosmétique".

"Tant qu'ils sont dans les coulisses, qu'ils s'occupent des affaires, ils ne se soucient pas du fait qu'il y aura une commission en guise de façade, a-t-il déclaré.

Lundi, peu de temps après son entrée en fonction comme président des Etats-Unis, Donald Trump a exprimé son scepticisme lorsqu'on lui a demandé s'il était sûr que les trois phases de l'accord de cessez-le-feu seraient mises en oeuvre.

Un porte-parole du camp Trump n'a pas répondu à une demande de commentaire.

(Avec la contribution de Maayan Lubell et James Mackenzie à Jérusalem, et David Gauthier-Villars ; version française Diana Mandiá, édité par Kate Entringer)