Gouverner sans majorité absolue à l'Assemblée: le précédent délicat de 1988
information fournie par Boursorama avec Media Services 10/06/2022 à 10:39

Le camp d'Emmanuel Macron aborde les élections législatives avec la volonté d'obtenir une majorité forte à l'Assemblée nationale. Si le cap de 289 députés n'est pas atteint, la composition de l'hémicycle pourrait donner lieu à une situation de majorité relative, qui s'était présentée lors du deuxième mandat de François Mitterrand.

Le premier ministre Michel Rocard, en 1988 (illustration) ( AFP / JEAN-LOUP GAUTREAU )

Macron réunira t-il assez de ses troupes à l'Assemblée? La tendance en vue des élections législatives de 2022 fait planer la possibilité d'une majorité relative, scénario déjà constaté dans l'histoire parlementaire française. Après la réélection de François Mitterrand en 1988, les socialistes avaient dû ainsi, pendant cinq ans, gouverner sans majorité absolue à l'Assemblée nationale, une situation politiquement délicate et alors inédite sous la Ve République.

Réélu pour un second mandat contre Jacques Chirac après deux ans de cohabitation, François Mitterrand dissout l'Assemblée de droite qui avait été élue en 1986. Mais la "vague rose" de 1981 ne se reproduit pas.

Les électeurs de gauche, dont certains refroidis par la politique "d'ouverture" au centre du nouveau Premier ministre Michel Rocard, ne donnent aux socialistes et apparentés qu'une majorité relative de 275 sièges sur 577 lors du scrutin. Et la majorité absolue se situe à 289.

Les communistes sont 26, les centristes 40. Pour faire adopter leurs projets de loi, les gouvernements successifs de Michel Rocard, Edith Cresson et Pierre Bérégovoy devront faire des concessions tantôt sur leur gauche, tantôt sur leur droite, afin d'éviter un recours systématique à l'article 49-3 de la Constitution. Ce procédé, qui permet au Premier ministre d'engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale sur un texte de loi, pour le faire adopter sans vote, est toutefois inévitable en cas d'opposition conjointe du PCF et de la droite.

Motion de censure

Il est utilisé 39 fois en 5 ans. Quinze textes sont adoptés via le 49-3 sous M. Rocard, notamment la loi créant le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou la réforme du statut de la Régie Renault. Mme Cresson et M. Bérégovoy doivent aussi y recourir, pour créer notamment l'Agence du médicament ou le Fond de Solidarité vieillesse.

Fidèle de Michel Rocard, Guy Carcassonne, ministre chargé des relations avec le Parlement, reste dans les mémoires de l'époque pour avoir déployé une grande énergie à convaincre centristes ou communistes de ne pas s'opposer à tel ou tel projet de loi gouvernemental, moyennant des concessions à chacun. Plusieurs textes importants passent à quelques voix près.

L'intransigeance des élus se manifeste toutefois lors du vote annuel de la loi de Finances, acte législatif central au Parlement: durant ces cinq années, seul le budget 1989 est adopté sans recourir à l'article 49-3.

Mais même avec le 49-3, le gouvernement doit composer avec les députés s'il veut éviter le vote d'une motion de censure, dont le recours a ensuite été limité en 2008. M. Rocard n'échappe à la sanction qu'à 5 voix près en 1990 après un scrutin mouvementé sur la Contribution sociale généralisée (CSG). En 1992, sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC), M. Bérégovoy ne doit la survie de son gouvernement qu'à la défection de trois députés de l'opposition.

Les gouvernements socialistes voient de surcroit leur étroite marge de manoeuvre se réduire au fil des mois par le jeu de l'interdiction du cumul des mandats ou l'élection au Sénat de quatre députés PS, qui sont autant de voix en moins pour le parti à l'Assemblée. Ils doivent aussi parfois faire face à la colère de leur propre majorité, mécontente de leurs concessions à d'autres camps politiques. Source de laborieuses négociations de couloirs, la majorité relative se voit au final généralement reconnaître un mérite, celui de rééquilibrer un peu les pouvoirs entre législatif et exécutif.