France-L'incertitude politique épargne en partie la dette non-souveraine
information fournie par Reuters 20/12/2024 à 09:12

Si l'écart de taux entre dettes française et allemande s'est envolé du fait de l'incertitude politique, les écarts de rendement du crédit et des émetteurs quasi souverains se sont en revanche resserrés, un paradoxe tenant à des facteurs techniques et fondamentaux, observent des analystes.

La dissolution puis la censure du gouvernement Barnier et la reconduction du budget 2024 sur l'année prochaine, faute de l'adoption d'un projet de loi de Finances, ont fait rebondir l'écart entre le rendement (spread) de la dette française à 10 ans et son homologue allemand à un plus haut depuis 2012, à 90 points de base (pb).

Le rebond de cet indicateur, qui mesure le risque de crédit perçu par les investisseurs par rapport à un actif sûr, semble ne s'être pas transmis au crédit français.

"Les spreads de crédit des entreprises françaises se sont resserrés cette année, mais à un degré moindre que pour l’indice européen de référence (Bloomberg Euro Aggregate Corporate Total Return)", nuance Sophie Pensel-Poiron, gérante crédit senior chez Ostrum. Le rendement des entreprises européennes s'est resserré de 30 points de base cette année, contre seulement 19,5 points de base pour les entreprises françaises, selon des données Bloomberg.

Cette divergence s'est accentuée en juin, à l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale française.

Reste que si la performance d'un indice crédit "Investment grade" pour la France atteint 4,6% depuis le début de l'année, contre 5,1% pour l'indice de référence européen, celle-ci demeure bien supérieure à la performance des actions hexagonales: le CAC 40 perd 3,4% sur l'année.

Les facteurs techniques expliquent une bonne part de cette résistance obligataire: pour le segment "investment grade" en euro, les flux entrants ont représenté environ 13% des encours de la classe d'actifs cette année, 350 milliards d'euros. A l'inverse, les investisseurs actions ont fui l'Europe et la France en particulier, pour se reporter sur les États-Unis.

Les fondamentaux des entreprises françaises - l'endettement et la capacité à servir la dette - demeurent encore suffisamment attrayants. Les perspectives politiques resteront néanmoins déterminantes pour éviter un décrochage du crédit français par rapport à l'Europe.

"En 2025, nous estimons que les marchés du crédit en zone euro resteront attractifs. L’écart de performance du crédit français ne pourra se résorber que lorsqu’une direction budgétaire rassurante aura été adoptée a minima", estime Sophie Pensel-Poiron.

"SWAP SPREADS"

La performance des émetteurs quasi souverains (SSA) a également de quoi surprendre : le risque associé à ces émetteurs publics, dont BPI France, l'Agence française de développement (AFD), l'Unedic ou encore la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) font partie, est souvent perçu comme profitant d'un soutien implicite de l'Etat français.

Une dégradation des perspectives économiques ou financières de l'Hexagone devrait mécaniquement faire rebondir le rendement de ces titres pour refléter un risque accru, or l'écart de rendement avec l'OAT la dette de ces agences s'est réduit jusqu'à devenir négatif pour certaines agences.

Ce paradoxe tient à un facteur complexe mais essentiel.

"La performance contre l’OAT de ces titres tient d’abord au fort mouvement sur les 'swap spreads' qui a fortement accéléré cette année, et qui rendent ces titres historiquement attractifs pour les investisseurs, menant à une forte demande", explique Ninon Bachet, stratégiste taux chez Société Générale CIB qui rappelle que "les émissions de ces agences ont toutes été très bien absorbées en 2024 et les livres d’ordres largement sursouscrits".

L'écart de swap (swap spread) mesure la différence entre la jambe fixe d'un contrat de swap et le rendement d'une obligation souveraine de même échéance, le Bund en zone euro. L'indicateur est notamment utilisé dans la mesure de la performance d'une obligation : un swap spread positif suggère que la rémunération qu'un investisseur touche pour le risque de crédit est plus élevée.

Or, cet indicateur a beaucoup progressé pour les émetteurs quasi souverains cette année, atteignant 37,4 pb pour un titre à 10 ans émis par la Cades mi-novembre, contre une moyenne proche des 2 pb sur la durée de vie du titre, émis en 2020.

La stratégiste remarque par ailleurs que les besoins de financement limités de ces acteurs ont pu aussi contribuer à cette surperformance.

"Les émissions (pour les SSA) seraient de nouveau limitées l’année prochaine et la demande resterait forte. Surtout, les facteurs fondamentaux qui ont contribué au resserrement des swap spreads devraient continuer à agir dans ce sens en 2025, bien qu’il soit difficile d’anticiper un resserrement significatif des spreads des SSA contre l’OAT, tant ce resserrement a été important cette année", estime la stratégiste.

Les facteurs techniques et fondamentaux continueront de dominer la trajectoire de la dette des entreprises et des acteurs quasi souverains l'année prochaine.

(Rédigé par Corentin Chappron, édité par Sophie Louet)