Climat : une nouvelle voie de recours pour sanctionner les "carences" de l'Etat information fournie par Boursorama avec Media Services 10/10/2022 à 13:02
"Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale", a récemment tranché le Conseil d'Etat.
Le droit pour chacun de vivre dans "un environnement équilibré et respectueux de la santé" a récemment été érigé en liberté fondamentale par le Conseil d'Etat. Cela ajoute une potentielle voie de recours pour sanctionner les "carences" des pouvoirs publics.
C'est au détour d'une décision rejetant le recours de particuliers contre des travaux routiers dans le Var que la plus haute juridiction administrative a opéré ce revirement de jurisprudence, qui suscite la curiosité des juristes et l'espoir mesuré des défenseurs de l'environnement. "Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale", a tranché le Conseil d'Etat dans son arrêt du 20 septembre.
Double conséquence : ce droit possède désormais la même force juridique que les libertés de se réunir ou de s'exprimer et les justiciables peuvent directement l'invoquer "en cas d'atteinte manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique" et quand "ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés", précise l'arrêt.
"Le Conseil d’Etat a ouvert une brèche", se félicite auprès de l'AFP Sébastien Mabile, avocat spécialiste du droit de l'environnement, qui voit dans cet arrêt l'illustration de l'évolution des hautes juridictions françaises et européennes sur le climat.
Une nouvelle jurisprudence au champ d'application très vaste
En janvier 2020, le Conseil constitutionnel avait érigé la protection de l'environnement en "objectif à valeur constitutionnelle". Désormais, veut croire l'avocat, "on va pouvoir obtenir des avancées majeures dans des domaines très larges en matière d’atteintes à l'environnement".
Sur le papier, le champ d'application de cette nouvelle jurisprudence semble très vaste : ce droit pourrait être opposé aux activités polluantes d'entreprises ou à des projets publics impactant l'environnement. Certains riverains de lieux de consommation de crack pourraient être tentés de l'invoquer.
Aux côtés des actions au long cours ayant abouti aux condamnations de l'Etat pour inaction climatique, le mode de recours en lui-même est prometteur. Les justiciables pourront ainsi enclencher des "référés-libertés", une procédure d'urgence destiné à faire cesser rapidement une atteinte à un droit fondamental. "C'est important parce que ce juge peut agir très vite et prendre toute mesure à l'égard de l’administration pour protéger les libertés fondamentales", explique à l'AFP Nicolas Hervieu, juriste en droit public, qui reste toutefois circonspect sur la portée de cet arrêt.
Déjà parce que la haute administration soumet un éventuel recours à des conditions drastiques, notamment l'existence de "circonstances particulières" propres au justiciable et le fait que des mesures de sauvegarde puissent s'appliquer "utilement" en l'espèce. Ensuite parce que le Conseil d'Etat rappelle, dans son arrêt, que les mesures du juge devront tenir compte "des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises" pour faire cesser l'atteinte à ce droit environnemental. "Ca laisse tout de même une grande marge à l’administration", souligne Nicolas Hervieu.
Les ONG restent prudentes
Les ONG interrogées par l'AFP sont tout aussi prudentes. "Ca pourrait éventuellement être un moyen juridique très intéressant car c'est souvent la lenteur de la justice qui fait que la décision intervient trop tard, quand les terres sont déjà bétonnées", estime Mathilde Manteaux, juriste aux Amis de la Terre, qui refuse toutefois d'aborder cette "victoire" de "façon trop naïve". "Nous sommes confrontés à la lenteur du Conseil d’Etat, car ça fait plus de 18 ans que ce droit est reconnu dans la Constitution" via la Charte de l'environnement, déplore-t-elle.
Greenpeace parle elle, d'une "évolution" mais pas d'une "révolution". "On en reste à une conception archaïque par le juge administratif de la notion d’urgence", se désole Laura Monnier, juriste de l'ONG. "L’évolution n’est pas assez rapide par rapport à la dégradation de la situation."
Tous s'accordent sur un point : le véritable levier reste dans les mains des pouvoirs publics. "L’outil contentieux permet de mettre la pression, d’attirer l'attention de la population sur les carences, résume Nicolas Hervieu, mais s’il n’y a de volonté politique d’en tirer les conséquences, ça n’ira pas forcément plus loin".