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Incertitudes en Syrie après la chute régime Assad
information fournie par Reuters 09/12/2024 à 20:06

par Samia Nakhoul et Andrew Mills

L'éviction du président syrien Bachar al Assad par les forces rebelles qui ont envahi Damas ce week-end témoigne de l'affaiblissement du réseau d'influence de l'Iran au Moyen-Orient mais fait craindre un risque d'instabilité auquel devront faire face Israël, les États-Unis et les puissances arabes.

Parmi les forces rebelles qui ont mis fin à plus d'un demi-siècle de règne dynastique et brutal de la famille Assad, figure notamment le Hayat Tahrir al Cham (HTC), groupe musulman sunnite précédemment affilié à Al Qaïda et qualifié d'organisation terroriste par les États-Unis et les Nations unies.

Les pays occidentaux et arabes craignent notamment que la coalition rebelle, dirigée par le HTS, ne cherche à remplacer le régime d'Assad par un gouvernement islamiste intransigeant ou moins enclin à empêcher la résurgence des forces radicales, ont déclaré trois diplomates et trois analystes à Reuters.

"Il y a une forte crainte à l'intérieur et à l'extérieur de la région quant à la vacance du pouvoir que l'effondrement soudain d'Assad pourrait provoquer", a déclaré Abdelaziz al-Sager, directeur du groupe de réflexion sur le Moyen-Orient, Gulf Research Center.

Il évoque notamment les guerres civiles qui ont fait suite au renversement du président irakien Saddam Hussein en 2003 et du dictateur libyen Mouammar Kadhafi en 2011.

Un haut diplomate occidental présent dans la région, qui s'est exprimé sous couvert d'anonymat, a déclaré à Reuters qu'en raison de la fragmentation des forces rebelles, il n'existerait pas de plan pour gouverner la Syrie, nation complexe et divisée en plusieurs groupes religieux et ethniques.

Il fait également part de sa crainte au sujet de l'instabilité en Syrie, qui pourrait permette l'épanouissement de groupes extrémistes tels que l'État islamique (EI), très présent dans le pays en 2014 avant d'être chassé par une coalition menée par les États-Unis.

Le président américain Joe Biden s'est félicité dimanche de la chute de Bachar al Assad et a déclaré qu'il devrait être "tenu pour responsable" de son régime despotique.

Il ajoute toutefois que sa chute constituait un moment de "risque et d'incertitude".

Les forces américaines ont par ailleurs mené dimanche des dizaines de frappes en Syrie contre l'EI pour l'empêcher de se réaffirmer dans le pays.

La chute du régime d'Assad, en deux semaines seulement après le début de l'offensive des rebelles, a pris de nombreux membres de la Maison blanche par surprise et Washington cherche désormais des moyens de communiquer avec tous les groupes rebelles, et pas seulement avec le HTS, a déclaré un haut fonctionnaire américain.

Jusqu'à présent, Washington avait surtout apporté son soutien aux groupes kurdes syriens, tels que les Forces démocratiques syriennes (FDS), dont les zones de contrôle se trouvent dans le nord-est du pays.

Ce groupe est toutefois en conflit avec l'une des principales factions rebelles victorieuses, l'Armée nationale syrienne (ANS), soutenue par la Turquie, qui s'oppose à l'influence kurde.

Les alliés d'Assad, l'Iran et la Russie, ont soutenu son régime pendant 13 ans en lui apportant un soutien militaire, des forces armées et une puissance aérienne, doivent désormais également faire face aux conséquences considérables de sa chute précipitée.

Moscou, qui a accordé l'asile à Bachar al Assad et à sa famille, dispose notamment de deux bases militaires importantes en Syrie, sa principale assise au Moyen-Orient.

Pour Téhéran, son alliance avec Assad - de confession alaouite, une branche de l'islam chiite - était la pierre angulaire de son pouvoir dans une région majoritairement sunnite et qui se méfie de l'Iran chiite.

La fin du régime brise ainsi un axe d'influence central, érodant la capacité de Téhéran à projeter sa puissance et à soutenir son réseau de milices à travers le Moyen-Orient, en particulier le Hezbollah libanais.

Un haut responsable iranien a déclaré lundi à Reuters que l'Iran avait ouvert une ligne de communication directe avec les rebelles afin de "prévenir une trajectoire hostile".

Jonathan Panikoff, ancien responsable adjoint du renseignement national américain pour le Moyen-Orient, a déclaré que l'éviction d'Assad pourrait rendre plus difficile le réarmement du Hezbollah, qui bénéficiait avec la Syrie d'un point de passage pour la livraison d'armes iraniennes, augmentant ainsi les chances d'un maintient du cessez-le-feu avec Israël, conclu le mois dernier.

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a salué la chute du régime syrien comme un "jour historique".

Il a ordonné aux forces israéliennes de s'emparer des zones situées le long de la zone tampon frontalière afin d'assurer la sécurité d'Israël.

Tsahal a ainsi mené des frappes aériennes contre des sites soupçonnés d'abriter des armes chimiques et des missiles lundi, afin d'éviter qu'ils ne tombent entre les mains d'acteurs hostiles, a déclaré le ministre israélien des Affaires étrangères.

Carmit Valensi, chercheuse à l'Institut d'études de sécurité nationale (INSS), groupe de réflexion sur la politique de sécurité israélienne basé à Tel-Aviv, a déclaré que malgré le risque d'une période prolongée de chaos et de violence en Syrie, la chute d'Assad pourrait profiter à Israël.

"Malgré les inquiétudes suscitées par la montée des éléments extrémistes près de la frontière et l'absence d'une autorité clairement responsable, les capacités militaires des rebelles, sous leurs diverses formes, ne sont pas comparables à celles de l'Iran et de ses alliés", a-t-elle déclaré.

VERS UN NOUVEAU RÉGIME ?

Marwan al-Muasher, vice-président chargé des études à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, estime que la chute du régime pourrait donner l'occasion aux Syriens d'établir une gouvernance politique inclusive, notamment par le biais d'une transition ordonnée qui éviterait une vacance du pouvoir.

Hadi Al-Bahra, chef de la principale opposition syrienne à l'étranger, a déclaré à Reuters en marge du Forum de Doha dimanche que la Syrie devrait bénéficier d'une période de transition de 18 mois, afin d'établir "un environnement sûr, neutre et calme" pour des élections libres.

La Syrie devrait rédiger une constitution dans les six mois, qui serait soumise au peuple par référendum, a-t-il ajouté.

L'opposition, dit-il, a demandé aux fonctionnaires syriens de se présenter au travail jusqu'à la transition du pouvoir, leur assurant qu'ils ne subiraient aucun préjudice.

L'opposition politique syrienne, qui possède cependant peu d'influence sur le terrain à Damas, fait face aux groupes armés plus populaires, laissant ainsi de nombreux observateur de la situation sceptiques.

Le chef du HTS, Abou Mohammed al Joulani, s'est adressé dimanche à la foule dans la mosquée médiévale des Omeyyades, dans le centre de Damas, en promettant un nouveau chapitre pour la région et en affirmant que la Syrie deviendrait "un phare pour la nation islamique".

La question de l'idéologie islamiste stricte d'al Joulani en Syrie peut toutefois se poser, dans un pays où prévaut une forme modérée et libérale de l'Islam et qui compte une population mixte de Chrétiens, d'Alaouites, de Druzes et de Kurdes.

Les responsables occidentaux et du Moyen-Orient ont exprimé leur inquiétude quant à l'unité de la Syrie, dont les territoires clés, notamment situés le long des frontières avec l'Iraq et la Turquie, sont contrôlés par différentes groupes religieux et ethniques qui représentent une menace croissante pour la stabilité nationale.

Les analystes et diplomates interrogés par Reuters ont mis en garde contre le risque d'un conflit généralisé - semblable à celui qui a suivi le renversement de Mouammar Kadhafi en Libye ou de Saddam Hussein en Irak - dans lequel des groupes armés de différentes tendances se battent pour la suprématie sur le territoire.

Une défaillance du système étatique en Syrie aurait un impact majeur sur les pays voisins, tels que le Liban, la Turquie, l'Irak et la Jordanie.

RIVALITÉ ENTRE LES REBELLES

L'opposition syrienne comprend un large éventail de groupes, allant des modérés tels que le SNA aux éléments djihadistes du HTS, chacun ayant sa propre vision de l'avenir du pays.

"Chacun de ces groupes rebelles rivalise pour la suprématie ; chacun veut être aux commandes. Chacun pense qu'il peut être Bachar al Assad, et chacun fait allégeance à une partie étrangère qui finance son groupe", a commenté Abdelaziz al-Sager, directeur du groupe de réflexion de Gulf Research Center.

"Ils s'affronteront à moins que l'Onu et certains pays régionaux influents ne s'efforcent de les unifier", a-t-il dit.

Les forces soutenues par la Turquie dominent dans le nord, tandis que les groupes kurdes alignés sur les États-Unis, tels que les Forces démocratiques syriennes (FDS), tiennent le nord-est de la Syrie.

Signe des tensions entre les groupes, le SNA, soutenu par la Turquie, s'est emparé de pans entiers de territoire, dont la ville de Tel Refaat, aux dépens des forces kurdes soutenues par les États-Unis au début de la récente offensive.

Dimanche, une source de sécurité turque a déclaré que les rebelles étaient entrés dans la ville de Manbij, dans le nord du pays, après avoir repoussé les Kurdes.

Certains analystes estiment toutefois qu'une transition ordonnée est possible, grâce aux institutions gouvernementales bien établies à Damas qui continuent de remplir leurs fonctions.

Ils soulignent également l'expérience des rebelles en matière de gouvernement dans des enclaves à travers la Syrie, qu'ils gèrent dans certains cas depuis plus d'une décennie.

L'alliance rebelle, dirigée par le HTS, a voulu se montrer clément envers les membres des forces de sécurité lorsqu'elle s'est emparée d'Alep, la deuxième ville de Syrie, à la fin du mois dernier, et a promis aux populations minoritaires qu'elles préserveraient leurs modes de vie.

Hassan Hassan, expert des groupes islamistes au Moyen-Orient basé à Washington, a toutefois déclaré que les inquiétudes persistaient parmi ces groupes minoritaires après la prise de Damas par les groupes rebelles.

"L'incertitude règne quant à la suite des événements, notamment en ce qui concerne l'influence religieuse et l'évolution des lois (islamiques)", a-t-il déclaré.

(Reportage Samia Nakhoul, avec la contribution d'Andrew Mills à Doha, de James Mackenzie à Jérusalem et de Steve Holland à Washington ; version française Etienne Breban, édité par Kate Entringer)

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