
Le mal de ski est une variante de la «cinétose», un mot savant désignant aussi bien le mal de mer que le mal des transports. (crédit : Adobe Stock / photo générée par IA)
En descendant les pistes, certains skieurs éprouvent des sensations de malaise, déséquilibre et confusion qui peuvent provoquer des vertiges, de la fatigue, voire des vomissements. Peu connu, ce «mal de ski» appartient à la même famille que le mal de mer ou le mal de voiture. Explications.
«Jour blanc» : c'est dans ces conditions météorologiques peu avantageuses que j'ai débuté ma saison de ski. Les pistes étaient recouvertes d'un épais brouillard restreignant la visibilité à quelques mètres, qui rendait toute distinction du relief neigeux impossible. Seul un piquet en bord de piste était visible au fur et à mesure de la descente. Aucun contraste entre la neige et le ciel. La tâche d'orientation fut complexe : difficile de s'orienter, estimer sa vitesse et adopter la bonne inclinaison au sol.
Dans de telles conditions, les pertes d'équilibre se sont avérées fréquentes. Pour mes compagnons de descente, elles ont évolué en nausée. Dans mon cas, des symptômes de fatigue et vertiges ont persisté plusieurs heures après cette sortie. Nous avons tous été victimes de «mal de ski», une réaction physiologique qui s'apparente au mal des transports. À quoi est-elle due?
Une variante du mal des transports
Avant tout, précisons que le mal de ski ne doit pas être confondu avec le «mal aigu des montagnes», qui survient indépendamment de la météo et seulement en très haute altitude (en raison de la faible teneur en oxygène de l'air).
Le mal de ski est une variante de la «cinétose», un mot savant désignant aussi bien le mal de mer que le mal des transports. Il se caractérise par des symptômes tels que vertiges, somnolence ou pâleurs (symptômes dits «neurovégétatifs»), qui peuvent s'aggraver en nausée et vomissements dans les cas les plus sévères.
La sensibilité à la cinétose, et donc au mal de ski, ainsi que les réactions qui la caractérisent peuvent fortement différer selon les individus.
Si la plupart d'entre nous ont déjà fait les frais de cinétose lors de voyages, les mécanismes corporels qui en sont à l'origine ne sont encore pas entièrement compris.
Les causes du mal de ski
La communauté scientifique s'accorde principalement sur deux théories pour expliquer les problèmes de cinétose.
Selon la première, la cinétose résulterait d'une « inadéquation neuronale ». Pour percevoir le mouvement, le système nerveux central intègre et traite en continu les informations sensorielles retransmises par les yeux, l'oreille interne et la contraction de certains tissus. Grâce à ces données, et en se basant sur des expériences de mouvement similaires gardées en mémoire, le cerveau peut estimer la position, l'orientation et le mouvement du corps.
Cependant, si les informations sensorielles sont pauvres ou correspondent à une situation rarement rencontrée, l'estimation du mouvement par le cerveau peut être incohérente par rapport aux forces réellement subies. Le cerveau interprète cette dichotomie comme un conflit et tente d'améliorer sa compréhension des forces subies par le corps. Si le conflit persiste, il peut déclencher l'apparition et le développement de symptômes.
La cinétose finira par disparaître une fois que le cerveau aura résolu le conflit, ce qui explique pourquoi les symptômes finissent par se dissiper.
La seconde théorie suggère que la cinétose se produit en réaction à une «instabilité posturale» répétée. En perdant l'équilibre, nous effectuons des mouvements rapides par réflexe – par exemple ramener la jambe en trébuchant au sol – pour retrouver notre stabilité. Dans une situation comme un voyage en mer ou une descente à ski, ces pertes d'équilibre peuvent se produire fréquemment. Si elles sont répétées, le cerveau considère que les différentes stratégies utilisées pour stabiliser la posture sont inefficaces, ce qui mène alors à l'apparition des symptômes.
Bien que peu d'études scientifiques se soient penchées sur le mal de ski, ces deux théories constituent des explications pertinentes à ce phénomène. Une perception insuffisante du mouvement semble être la cause principale, ce qui se traduirait par des difficultés à s'orienter et trouver son équilibre.
Du fait d'une perception insuffisante, passer à ski sur un relief ou dans un dévers que le cerveau n'a pas correctement anticipé se traduit à la fois par un conflit entre les forces estimées et réelles sur le corps, et par un potentiel déséquilibre de la position de ski.
Skier sur des champs de bosses et pistes à dévers irrégulier est particulièrement propice à ce genre d'expérience, surtout si le champ visuel est restreint comme en cas de brouillard. Les skieurs présentant des troubles visuels tels que myopie, hypermétropie ou astigmatisme semblent également plus sensibles au mal de ski.
Par ailleurs, le fait d'avoir les pieds et les chevilles immobilisés par les chaussures de ski restreint également les capacités somatosensorielles (la perception des mouvements du corps). La perception du mouvement par l'oreille interne peut quant à elle être altérée par les changements de pression atmosphérique répétés consécutifs à la succession de montées et descentes.
Quels sont les facteurs aggravants du mal de ski?
Tous les individus ne sont pas égaux face aux symptômes de la cinétose. Il est probable qu'une personne vulnérable au mal de mer ou mal de voiture sera sensible au mal de ski. C'est aussi le cas des personnes sensibles aux migraines, aux vertiges, ou qui présentent des troubles de l'oreille interne.
Des facteurs externes peuvent également aggraver cette sensation. C'est par exemple le cas des conditions de visibilité de la piste (relief, pente, obstacles). Celles-ci jouent en effet un rôle important, permettant au skieur de s'orienter et d'adapter sa position corporelle afin de trouver son équilibre. Par ailleurs, à haute altitude, le manque d'oxygène peut également favoriser les anomalies de perception sensorielle, pouvant se traduire par une perception sensorielle atténuée, une altération de la perception des espaces, ou une mauvaise assimilation visuelle des objets.
Le style de ski peut aussi avoir un impact. Les situations de glisse sans mouvement apparent du corps peuvent être interprétées comme paradoxales par le cerveau. Les slaloms à ski peuvent aussi accentuer cet effet : ces mouvements sont répétés toutes les 0,5 à 5 secondes, ce qui correspond à une plage de fréquence de 0,2 à 2Hz, plage sur laquelle le cerveau a du mal à distinguer translation et rotation du corps d'après les signaux de l'oreille interne. Il peut alors interpréter ces mouvements comme un effet de Coriolis, autrement dit la sensation de tourner sur soi-même alors que ce n'est pas le cas. Cet effet se produit par exemple lorsque l'on effectue des rotations de la tête tout en étant soumis à une autre rotation, ce qui peut correspondre au fait de tourner la tête rapidement alors que l'on prend des virages à ski. Dans cette situation, le cerveau ne parvient pas à interpréter correctement la direction de rotation du corps.
La dimension psychologique est aussi cruciale dans le cas de la cinétose. Chez des personnes peu à l'aise sur des skis, stressées, craignant de tomber, ou ayant peur du vide, le mal de ski peut être accentué. Dans un tel contexte, il est important de garder confiance en soi, de rester optimiste et d'avoir conscience que de telles conditions peuvent être propices au mal de ski.
Enfin, selon certaines hypothèses, la consommation d'alcool ou le fait de fumer sur les pistes pourrait accentuer le mal de ski, car la dilatation des vaisseaux sanguins qui en résulte perturberait le fonctionnement de l'oreille interne.
Quels traitements?
Certains remèdes à la cinétose sont plébiscités sur base d'expérience individuelle positive. Toutefois, dans les faits, il n'existe aucun palliatif universel. Chacun réagit et guérit différemment, selon sa propre réceptivité. Si pour la plupart des gens, il est possible de s'habituer à force d'expérience, une minorité de personnes n'est pas capable de s'habituer à ces situations et doit avoir recours à des atténuateurs d'effets.
Il est possible de combattre le mal de ski en améliorant les facultés de perception du mouvement («sensory cueing» en anglais). Au niveau visuel, des corrections optiques aux troubles de myopie, hypermétropie, ou astigmatisme, peuvent être utilisées. Certains écrans de masques de ski permettent également de mieux distinguer le relief dans le brouillard.
En ce qui concerne la perception des mouvements du corps (somatosensoriel), des techniques comme l'acupression – par exemple des bracelets appuyant sur le creux du poignet, utilisés pour d'autres formes de cinétose – peuvent agir en améliorant la proprioception. Pour la perception vestibulaire, peu de techniques existent, bien que des stimulations par conduction osseuse sur l'oreille interne puissent ralentir le développement du mal des transports.
Certaines personnes ont recours aux traitements médicamenteux pour limiter la cinétose. Les vestibulosuppresseurs, comme la scopolamine sont parfois utilisés pour limiter les troubles de vertiges ou migraines vestibulaires. Enfin, la prise d'antihistaminiques, comme le dimenhydrinate ou la cinnarizine, permet de limiter les symptômes de nausée, mais peut s'accompagner d'effets secondaires tels que somnolence ou vision trouble.
Par William Emond
Doctorant en mal des transports (PhD Student on carsickness mitigation), Université de Technologie de Belfort-Montbéliard
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Cet article est issu du site The Conversation