par Ted Hesson et Kristina Cooke
Donald Trump devrait mobiliser toutes les agences et ressources du gouvernement fédéral américain pour tenir sa promesse d'expulser un nombre record d'immigrants vivant illégalement aux Etats-Unis, assurent six anciens responsables de l'administration Trump et alliés du président-élu.
Les partisans du futur 47e président des Etats-Unis, qui prendra ses fonctions le 20 janvier 2025, s'attendent à le voir s'appuyer sur l'expérience mitigée de son premier mandat (2017-2021) pour mener à bien son objectif, en utilisant notamment les fonds fédéraux comme levier face aux Etats ou cités dits "sanctuaires" qui s'étaient alors opposés à sa politique dans ce domaine.
Selon son colistier JD Vance, les expulsions pourraient concerner un million de personnes par an, sur une population totale de 335 millions d'habitants.
Les défenseurs des migrants jugent cet objectif coûteux, clivant et inhumain, car il conduira à séparer des familles et dévaster des communautés.
Dans un sondage de sortie des urnes effectué par l'institut Edison Research lors de l'Election Day, 39% des électeurs estiment que la majorité des immigrants clandestins vivant aux Etats-Unis devraient être expulsés tandis que 56% estiment qu'ils devraient être autorisés à obtenir un statut légal.
Après son élection en novembre 2016, Donald Trump avait déjà cherché à expulser massivement les immigrés, un effort peu concluant. Selon les statistiques gouvernementales, l'administration de Joe Biden a procédé durant l'année fiscale 2023 à davantage d'expulsions que Donald Trump lors de chacune de ses quatre années de mandat.
Mais une opération d'expulsion massive visant plusieurs millions de personnes nécessiterait des moyens logistiques et financiers hors du commun, assure l'American Immigration Council. Cette organisation de défense des immigrés estime que l'expulsion de quelque 13 millions d'immigrés clandestins, une des estimations de leur nombre aux Etats-Unis, coûterait 968 milliards de dollars (900 milliards d'euros environ) sur un peu plus de dix ans.
Tom Homan, ancien directeur par intérim de l'Immigration et des Douanes sous la première présidence de Donald Trump, qui devrait rejoindre la future administration du président-élu, estimait dans une interview en octobre que l'ampleur des expulsions dépendrait du budget qui leur serait consacré.
RÉSISTANCES
La future administration de Donald Trump compte demander à tous les employés fédéraux, aux militaires de la Garde nationale, aux diplomates à l'étranger de participer à cette opération, qui devrait se heurter à des résistances de la part de fonctionnaires opposés à cette politique, y compris au sein des agences chargés d'examiner les demandes d'asile.
L'American Civil Liberties Union (Aclu) et d'autres groupes de défense des droits civiques se préparent à des batailles en justice si Donald Trump teste à nouveau les limites de ses prérogatives légales.
Lee Gelernt, un avocat de l'Aclu qui a mené le combat contre les séparations de familles d'immigrés lors du premier mandat de Donald Trump, a déclaré que plus de 15 avocats spécialisés dans les questions d'immigration au sein du bureau national de l'Aclu se préparaient depuis un an à un retour au pouvoir du républicain.
"Nous devons absolument nous coordonner et augmenter nos ressources car je pense qu'ils reviendront bien mieux préparés", dit-il.
Le département d'Etat pourrait être l'un des leviers sur lesquels Donald Trump s'appuiera davantage, confient plusieurs soutiens du président-élu, afin de négocier avec les pays d'origine le retour des migrants, ce qu'il n'était guère parvenu à faire lors de son premier mandat.
L'administration Trump avait également peiné à convaincre à l'époque des pays proches comme le Mexique de prendre des mesures pour empêcher des migrants de rejoindre - et franchir - la frontière des Etats-Unis.
Selon Ken Cuccinelli, ancien officiel du département de la Sécurité intérieure sous Donald Trump, le département d'Etat a été un "obstacle" au durcissement de la politique migratoire et les nominations de nouveaux fonctionnaires seront capitales dans cette perspective.
Christopher Landau, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Mexico entre 2019 et 2021, a exprimé récemment sa frustration en déclarant que des diplomates n'avaient pas joué pas le jeu. "Personne ne pensait vraiment que c'était un problème", a-t-il dit en octobre devant le Center for Immigration Studies, favorable à une politique migratoire restrictive.
UNE LOI DE 1798
Environ la moitié des 21.000 employés de l'ICE (Bureau de l'Immigration et des Douanes) appartiennent à l'unité des Investigations du département de Sécurité intérieure (HSI), qui travaillent principalement sur la criminalité transfrontalière comme le trafic de drogue ou d'enfants plutôt que l'immigration. Plusieurs alliés de Donald Trump ont averti qu'ils devraient consacrer davantage de temps à la politique migratoire.
Le HSI a toutefois pris ses distances avec ces questions ces dernières années, craignant que la crainte des expulsions ne complique la tâche de ses enquêteurs pour obtenir la confiance des communautés immigrées.
Stephen Miller, l'artisan du programme migratoire de Donald Trump lors de son premier mandat, a averti que la Garde nationale des Etats "coopératifs" pourrait être déployée dans les Etats "résistants" afin de favoriser les expulsions, ce qui pourrait entraîner des conflits juridiques.
Donald Trump envisagerait de recourir à une loi de 1798, votée en temps de guerre et connue sous le nom d'Alien Enemies Act (Loi sur les ennemis étrangers) pour expulser en urgence les membres présumés de gangs.
La loi a été utilisée à trois reprises, selon le Brennan Center of Justice, une ONG classée à gauche, qui a demandé au Congrès de supprimer ce texte : pendant la guerre de 1812, la première et la deuxième guerre mondiales, lorsqu'elle a été utilisée pour justifier l'internement dans des camps de personnes d'origine japonaise, allemande et italienne.
"Beaucoup craignent qu'une deuxième administration Trump cherche à utiliser cette loi pour justifier une détention sans limitation de durée et renvoyer rapidement des gens du pays sans examen judiciaire préalable", déplorait Naureen Shah, de l'Aclu, le mois dernier.
George Fishman, un ancien fonctionnaire du département de Sécurité intérieure sous Donald Trump, relève cependant que le gouvernement fédéral devrait alors prouver que les immigrants ont été envoyés par un gouvernement étranger. "Je crains que cela soit une promesse un peu exagérée", dit-il.
(Ted Hesson à Washington et Kristina Cooke à San Francisco; Jean-Stéphane Brosse pour la version française)
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