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Qui était Emil Jannings, premier Oscar du meilleur acteur de l’histoire... et outil de la propagande nazie ?
information fournie par Le Figaro 10/03/2025 à 09:56

Préférant l’acteur allemand au légendaire chien Rintintin, pourtant choisis par les votants, l’académie des Oscars offrait son premier prix du meilleur acteur au futur favori de Joseph Goebbels.

«Ne tirez pas, j’ai gagné un Oscar !» cinglait Emil Jannings aux troupes alliées dans Berlin lors de la chute du troisième Reich, en 1945. Quelques années plus tôt, en 1929, l’acteur allemand gagnait le prestigieux prix du meilleur acteur décerné par l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences . C’était la première fois qu’une récompense était attribuée dans cette catégorie. Sans le savoir, l’académie des Oscars venait d’honorer une future figure de la propagande nazie, raconte The Independant.

De la propagande jusqu’à l’Oscar

Emil Jannings était un monument du cinéma muet . Révélé en 1918 dans Les Yeux de la momie, il profite de la création de la société de production allemande, Universum Film AG (UFA), pour se faire un nom dans l’industrie. Fondée en 1917, durant la Grande Guerre , dans l’objectif de renforcer la propagande de l’état, l’entreprise permit à l’acteur de jouer différents personnages célèbres (Louis XV, Henry VIII d’Angleterre, Danton) dans des œuvres manipulant l’histoire à des fins politiques. Il s’impose rapidement comme un cador du cinéma allemand , s’extirpant de ses rôles historiques pour jouer dans des films comme Othello (1922) de Dimitri Buchowetzki , Le dernier des hommes (1924)de Friedrich Wilhelm Murneau ou Variétées (1925) de Ewald André Dupont.

Son travail traverse l’atlantique et attire l’attention d’Hollywood . En 1927, il signe un contrat avec Paramount Pictures et joue dans son premier film américain, The Way of All Flesh ( Autant en emporte le vent ) , sous la direction de Victor Fleming. Grâce à ce rôle, il remporte donc, en 1929, l’Oscar du meilleur acteur. C’est la première fois que l’académie décerne un prix dans cette catégorie, il faut donc marquer le coup. Le problème, c’est que les votants (professionnels du monde du cinéma) veulent consacrer le légendaire Rintintin de A Dog of the Regiment (1927), malgré le fait qu’il s’agisse d’un chien. Afin de rester crédible, l’académie décide finalement d’attribuer sa mythique statuette à Emil Jannings. En voulant trop se prendre au sérieux, elle venait, sans le savoir, de commettre une erreur qui allait entacher pour toujours l’histoire de son trophée.

De l’Oscar jusqu’à la propagande

À cette période, l’acteur n’a encore aucun lien avec le parti d’Adolf Hitler qui émerge en Allemagne. Durant ces trois années passées aux États-Unis (1927-1930), il tourne dans six films. Majoritairement apprécié, des personnalités comme l’actrice Evelyn Brent le qualifie tout de même d’homme capricieux et gâté qui se comporte comme «un gamin irritable» . Cela ne l’empêche pas de réussir dans le pays de l’Oncle Sam et ce, jusqu’à la démocratisation du cinéma parlant . Emil Jannings se retrouve alors inexorablement écarté des studios californiens, trop handicapé par son accent allemand.

De retour en Europe , il livre une dernière performance notable dans l’Ange Bleu (1930). Après cela, la montée du nazisme va pousser Jannings à rejouer, comme à ses débuts, dans des films de propagandes. Le nouveau ministre de l’Instruction publique et de la Propagande du Reich, Joseph Goebbels, l’incite à incarner le roi de Prusse Frédéric-Guillaume Ier dans Les Deux Rois (1935), un film faisant l’éloge de l’autoritarisme. Ses liens avec le parti s’officialisent lors des élections de 1938 où il fait campagne pour Adolf Hitler. Goebbels le place alors au conseil d’administration de la société allemande Tobis Films et lui donne le «contrôle artistique global» des films du studio d’État.

En 1941, dans le film de guerre Oncle Krüger, Jannings s’attaque à l’impérialisme britannique qu’il décrit comme une maladie qu’il faut combattre. Adolf Hitler tombe en adoration devant le film tout comme Goebbels qui nomme l’acteur «Artiste de l’État» . Dans ses journaux intimes, le ministre l’érige en héros : «Il travaille comme s’il était possédé, il se surpasse. Kruger est un film anti-anglais aussi important qu’on ne peut qu’espérer.»

La mort d’une étoile

Après la chute du Reich , Emil Jannings est interdit de rejouer dans des films. L’acteur déchu part alors s’exiler en Autriche où le scénariste Klaus Mann est allé le rencontrer pour le journal new-yorkais, The Rochester Democrat and Chronicle. Lorsqu’il l’interroge sur son implication dans le régime Nazi, l’acteur répond : «Une résistance ouverte aurait signifié un camp de concentration». Rongé par les remords, la honte et l’alcoolisme, il meurt seul, le 2 janvier 1950, à 65 ans d’un cancer du foie.

S’il a souffert, son image a plutôt été épargnée après sa mort. Sa glorieuse carrière a toujours primé sur ses ambiguïtés politiques. En février 1960, il était encore suffisamment populaire pour obtenir une étoile sur le Hollywood Walk of Fame et en novembre 2004, sa ville natale suisse de Rorschach l’a également honoré avec sa version de l’étoile.

Tout le monde n’a pas fait le choix de l’oublier. Quentin Tarantino par exemple, dans son film Inglorious Basterds (2009), rappelle les liens d’Emil Jannings avec le troisième Reich. Dans une scène, il le fait apparaître accompagné de Goebbels qui lui somme de montrer à un soldat le «Ring of Honour» , un prix qu’il a reçu pour Oncle Krüger. De son côté, l’académie des Oscars a simplement choisi d’ignorer son premier meilleur acteur. Effectivement, sur son site officiel , qui comporte une série de clichés de la cérémonie 1929, une photographie de Joseph Farnham, gagnant du premier et unique Oscar des meilleurs intertitres, se trouve à l’endroit où celle d’Emil Jannings devrait être.

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