par Tim Reid
La "purge" à marche forcée engagée par le président américain Donald Trump et son équipe dans les rangs de l'administration fédérale a déjà conduit au licenciement ou à la mise à pied de centaines de fonctionnaires, un nombre qui pourrait se chiffrer en centaines de milliers à l'avenir.
Le président américain n'est investi que depuis le 20 janvier, et pourtant son entreprise de "démolition" a déjà provoqué une onde de choc dans une grande partie de l'administration.
Ainsi, 160 personnes ont été licenciées au Conseil national de sécurité, une vingtaine d'avocats du ministère de la Justice ont été réaffectés, tandis que les directeurs des garde-côtes américains et de l'administration de la sécurité des transports ont été renvoyés.
Les départements gouvernementaux sur la diversité au travail ont également été fermés, le personnel a été mis en congé, et une flopée de décrets, ratifiés d'un coup de feutre Sharpie, la marque de prédilection de Donald Trump, ont annulé les politiques mise en oeuvre par l'administration Biden, plongeant de nombreux employés dans l'incertitude.
Donald Trump a déclaré mardi qu'il prévoyait également de licencier plus de 1.000 fonctionnaires nommés par son prédécesseur démocrate Joe Biden.
La Maison blanche n'a pas répondu à une demande de commentaire sur les préoccupations qui se font jour.
Au cours de sa campagne électorale, Donald Trump s'était engagé à réduire la taille du gouvernement américain pour écarter les fonctionnaires jugés insuffisamment loyaux. Le milliardaire américain Elon Musk a par ailleurs été nommé à la tête d'un "Département de l'efficacité gouvernementale" (DOGE) pour réduire drastiquement la taille de l'Etat fédéral et limiter les dépenses excessives.
La rapidité des mesures du nouveau président visant certains fonctionnaires et certaines agences gouvernementales a en choqué plus d'un, laissant bouche bée les syndicats du secteur public qui avaient pourtant passé des mois à anticiper le retour de Donald Trump à la Maison blanche.
"Beaucoup de gens ne s'attendaient pas à ce qu'il agisse avec une telle ampleur", déclare Don Quinn, avocat spécialisé dans l'emploi qui représente des employés fédéraux.
"Il y a donc un sentiment d'incrédulité. Il y a de la peur, les gens s'inquiètent pour leurs moyens de subsistance, pour leurs familles", a-t-il ajouté.
Steve Lenkart, directeur exécutif de la Fédération nationale des employés fédéraux, a été confronté à une réaction similaire lorsqu'il s'est adressé à un groupe de 30 employés fédéraux dans le cadre d'un cours qu'il donnait jeudi.
"C'était un silence stupéfiant", a-t-il déclaré, "tout le monde est sur les dents".
Il a également mentionné des agences moins connues, comme l'administration de la sécurité des transports, ciblée mardi lors de la première journée complète de mandat de Donald Trump, alors qu'il faut généralement des mois avant qu'une nouvelle administration ne s'attelle au remplacement des fonctionnaires.
LA DIVERSITÉ ATTAQUÉE
L'amirale Linda Lee Fagan, commandante des garde-côtes et première femme à diriger une branche des forces armées en uniforme, a été démise de ses fonctions car accordant trop d'importance aux politiques de diversité, d'égalité et d'inclusion, selon un fonctionnaire du département de la Sécurité intérieure.
Dans un mémo publié mardi, l'administration Trump a également déclaré que tout le personnel des bureaux fédéraux oeuvrant pour la diversité, l'égalité et l'inclusion serait mis en congé payé à partir de mercredi et que les bureaux seraient fermés.
Les directeurs des agences fédérales ont quant à eux été invités à identifier d'ici vendredi les employés en période d'essai ou ayant moins de deux ans d'ancienneté, plus "faciles" à licencier.
Donald Trump a également décrété un gel des embauches au niveau fédéral, à l'exception des postes liés à l'armée, à l'application des lois sur l'immigration, à la sécurité nationale et à la sécurité publique.
Les 160 membres licenciés du Conseil national de sécurité ont été informés mercredi, lors d'une brève conférence téléphonique, qu'ils devaient rendre leurs appareils et leurs badges avant de rentrer chez eux, a déclaré un ancien employé.
"Cela a été une surprise et un choc pour tout le monde", a déclaré un ancien fonctionnaire.
Un autre ancien membre du personnel a déclaré que, bien que cela n'ait pas été précisé lors de l'appel, il était largement admis que la nouvelle administration estimait que le Conseil national de sécurité comptait de nombreuses personnes considérées comme faisant partie de ce que Trump appelle "l'État profond" et dont la loyauté était mise en doute.
DES CENTAINES DE MILLIERS DE PERSONNES MENACÉES
Cette semaine, Donald Trump a par ailleurs signé un décret lui permettant de licencier plus facilement les fonctionnaires fédéraux en reclassant leur statut professionnel.
Le Syndicat national des employés du Trésor, qui représente 150.000 employés de 37 agences et départements fédéraux, poursuit Donald Trump et d'autres responsables de son administration devant le tribunal fédéral du District de Columbia (Washington D.C) afin de bloquer le décret.
Le syndicat affirme dans sa plainte, formée lundi, que le décret applique à tort au personnel de carrière les règles d'emploi concernant les personnes nommées pour des raisons politiques.
La grande majorité des 2,2 millions de fonctionnaires américains sont recrutés au mérite et servent le gouvernement dans son ensemble.
Les contrats des fonctionnaires ne prennent pas fin au changement d'administration, les postes ne peuvent pas être supprimés et les employés licenciés sans motif valable.
Le décret de Donald Trump crée également une nouvelle catégorie d'employés fédéraux, beaucoup plus importante, appelée "Schedule Policy/Career" (Calendrier Politique/Carrière), qui ne bénéficierait pas des protections habituelles dont jouissent les fonctionnaires et qui pourrait être licenciée à volonté.
En considérant toute personne impliquée dans la "politique" comme faisant partie de cette nouvelle catégorie, le nombre de personnes susceptibles d'être licenciées s'accroît considérablement, presque tous les employés gouvernementaux touchant à la politique d'une manière ou d'une autre, estime Don Moynihan, professeur à l'université du Michigan.
À la fin de son premier mandat, Donald Trump a ordonné la reclassification de nombreux fonctionnaires, connue sous le nom de "Schedule F" (Calendrier F), que Joe Biden a annulée dès le premier jour de son mandat en 2021.
Selon les estimations, l'annexe F pouvait exposer au moins 50.000 fonctionnaires fédéraux à un licenciement.
Le nouveau décret Trump est suffisamment large pour que des centaines de milliers de personnes puissent être reclassées avant que les licenciements ne commencent, a déclaré Don Moynihan.
Everett Kelley, président national de l'American Federation of Government Employees (Fédération américaine des employés du gouvernement), le plus grand syndicat d'employés fédéraux représentant 800.000 employés du gouvernement fédéral et du district de Columbia, a fait part de l'inquiétude des syndiqués.
"Les membres que j'ai entendus sont anxieux et incertains quant à l'avenir de leur emploi et de leur famille", a-t-il souligné.
(Reportage Tim Reid à Washington, avec la contribution d'Andrea Shalal, Nathan Layne et Matt Spetalnick ; version française Etienne Breban ; édité par Sophie Louet)
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