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Syrie-La loi islamique au cœur des nouvelles forces de police
information fournie par Reuters 23/01/2025 à 17:45

par Amina Ismail et Khalil Ashawi

Les nouvelles autorités syriennes, au pouvoir depuis la chute du régime de Bachar al Assad en décembre dernier, ont adopté des méthodes d'enseignement islamiques pour former les futurs policiers, une démarche qui, selon des officiers, vise à inculquer un "sens moral" après des décennies de corruption et de brutalité dans les rangs des forces de sécurité nationales.

Les officiers de police venus de leur ancien fief d'Idlib, dans le nord-ouest du pays, à Damas, sont notamment chargés d'interroger les candidats à une fonction de maintien de l'ordre sur leurs croyances et mettent l'accent sur la charia islamique lors de la formation, selon cinq officiers supérieurs et les formulaires d'inscription consultés par Reuters.

Soucieux d'asseoir leur pouvoir sur l'ensemble du territoire, les rebelles islamistes sunnites se fixent pour priorité d'assurer la stabilité et gagner la confiance de la population syrienne, composée de plusieurs minorités ethniques.

Le fait de placer la religion au centre du maintien de l'ordre risque cependant de saper les efforts de concorde, ouvrant la porte à de nouveaux clivages dans un pays morcelé où les armes circulent en nombre après 13 ans de guerre civile.

Selon des analystes régionaux, les nouvelles autorités syriennes pourraient également s'attirer l'hostilité des gouvernements étrangers qu'ils tentent pourtant de séduire.

Dans le pays même, "de nombreux Syriens trouveront cela inquiétant", souligne Aron Lund, membre de Century International, un groupe de réflexion sur le Proche-Orient, interrogé par Reuters.

"Pas seulement les minorités - chrétiennes, alaouites, druzes - mais également un grand nombre de musulmans sunnites dans des villes comme Damas et Alep, où l'on trouve une population laïque et cosmopolite assez importante qui n'est pas intéressée par la loi religieuse", ajoute-t-il.

Les fondements religieux de la formation des forces de sécurité amènent également les gouvernements occidentaux à s'interroger sur le rôle que l'islam pourrait jouer dans la Constitution syrienne, que les nouvelles autorités au pouvoir envisagent d'amender, a déclaré un diplomate qui n'a pas été autorisé à s'exprimer publiquement sur le sujet.

"Ce n'est pas un bon signe, mais cela dépend aussi de la rigueur avec laquelle elle sera appliquée", a-t-il dit à Reuters.

Le dirigeant de facto de la Syrie et chef de la principale faction rebelle qui a renversé Bachar al Assad, Ahmed al Charaa, s'est efforcé de rassurer les responsables occidentaux et les gouvernements du Proche-Orient en affirmant que son groupe avait renoncé à ses anciens liens avec Al Qaïda et qu'il gouvernerait avec modération en protégeant les minorités.

Ce groupe, le Hayat Tahrir al Cham (HTC), a renoncé à certaines interprétations strictes de la loi islamique dans les régions qu'il contrôlait avant sa prise de pouvoir.

Le ministère syrien de l'Intérieur et le ministère de l'Information n'ont pas répondu aux questions concernant l'importance accordée à la religion dans le recrutement des policiers, ni à celles concernant son éventuelle intégration dans le code juridique.

Les officiers de police interrogés par Reuters ont déclaré que l'intention n'était pas de l'imposer à la population, mais d'enseigner aux recrues un comportement éthique.

Hamza Abu Abdel Rahman, qui a participé à la mise en place de l'académie de police du HTC à Idlib avant son transfert à Damas, a déclaré qu'une compréhension des questions religieuses et de "ce qui est permis et ce qui ne l'est pas", était essentielle pour que les recrues "agissent avec justice".

TRANSITION

Les forces de sécurité du président déchu Bachar al Assad, qui était redoutées pour leurs comportements tyranniques et prédateurs, ont été reconnues coupables de torture et de meurtre. Elle exigeaient en outre des pots-de-vin pour le règlement d'infractions mineures.

L'ampleur de la colère de la population à leur égard s'est illustrée dans les jours qui ont suivi le renversement d'Assad, le 8 décembre, lorsque de nombreux commissariats de police ont été pillés et des dossiers détruits.

Les nouvelles forces de police ont précisé que la moitié des quelques 20 commissariats, auparavant forts de 100 à 150 officiers, ont depuis rouvert, et que chacun eux est désormais doté d'une dizaine d'agents, pour la plupart venus d'Idlib.

Dans trois commissariats où Reuters s'est rendu à la fin du mois de décembre, une poignée d'officiers épuisés tentaient de résoudre une multitude de problèmes - de la plainte pour délit pénal à la prise en charge de deux sacs de grenades à main trouvés dans la rue par un éboueur.

Lorsque les rebelles ont pris le pouvoir, ils ont annoncé le démantèlement du ministère de l'Intérieur et des forces de sécurité d'Assad.

Plus de 200.000 personnes se sont alors inscrites pour intégrer le nouveau service de police, a déclaré Hesham Hilal, responsable des formations dans une académie de police à Damas.

Les policiers qui ont rejoint le camp des rebelles avant la chute d'Assad sont également invités à postuler pour la nouvelle force, ont déclaré des officiers supérieurs à Reuters.

Les policiers qui ne se sont pas ralliés aux rebelles ont quant à eux été invités à suivre un processus de "réconciliation", notamment en signant un document acceptant le changement de régime et en remettant leur arme.

On ignore encore s'ils seront autorisés à rejoindre les nouveaux effectifs.

Sept officiers gradés ont déclaré qu'ils avaient besoin de plus de membres et qu'ils accueillaient les candidats de toutes confessions.

L'accent mis sur la charia en a cependant dissuadé plus d'un.

Un ancien officier chrétien de 45 ans, qui opérait dans la police de la circulation d'Assad, a déclaré qu'il ne postulerait pas pour la nouvelle force, même s'il le pouvait.

S'exprimant sous le sceau de l'anonymat pour des raisons de sécurité, il a expliqué craindre que même les personnes occupant des fonctions subalternes comme la sienne sous le régime Assad soient ostracisées.

Il a également estimé que l'accent mis sur la loi islamique serait une discrimination à l'encontre des personnes d'autres confessions.

En décembre, des centaines d'habitants ont participé à une manifestation à Damas, dans la capitale, pour réclamer une gouvernance laïque et l'égalité des droits pour les femmes.

"Personne ne s'oppose à l'islam, mais nous sommes certainement contre une règle religieuse basée sur des textes et des hadiths (paroles et actions attribuées au prophète Mahomet) spécifiques", a déclaré Ali al Aqabani, un participant de la manifestation, lorsqu'il a été interrogé sur l'utilisation de la charia dans le maintien de l'ordre.

Ali al Aqabani, 50 ans, lui-même musulman, a déclaré que Damas était "multiple dans ses sectes et ses doctrines."

Malgré ces controverses, les nouvelles autorités syriennes doivent former les nouvelles forces de police rapidement, car après l'éviction des forces d'Assad, "la stabilité est une question majeure" selon Aron Lund de Century International.

"Faire ce qu'ils connaissent et ont toujours fait est peut-être le moyen le plus facile d'y parvenir", a-t-il estimé.

À Idlib, que le HTC contrôle depuis 2017, la police a notamment effectué des patrouilles pour faire respecter une vision islamiste stricte sur le comportement public, a déclaré Aaron Zelin, chercheur principal à l'Institut de Washington sur les politiques du Proche-Orient.

Les femmes avaient pour interdiction de voyager si elles n'étaient pas accompagnées d'un homme, membre de leur famille, et avaient pour obligation de porter des vêtements pudiques, selon une commission d'enquête des Nation unies dans un rapport datant de 2021.

Les patrouilles avaient toutefois été réduites après avoir fait face à l'hostilité des habitants, a déclaré Aaron Zelin.

Ahmed al Charaa, chef du HTC, s'est par ailleurs prononcé contre une approche rigide du comportement dans la sphère publique.

NOUVELLES FORCES

L'ampleur de la crise à laquelle est confrontée la nouvelle force de sécurité est apparue clairement dans les postes de police visités par Reuters en décembre.

À la direction de la police de Damas et dans les commissariats de Marja et de Kafr Sousa, les pièces étaient jonchées de paperasse, de verre brisé, d'uniformes abandonnés, de munitions et de meubles cassés.

Les officiers avaient libéré quelques pièces pour travailler, mais les ordinateurs et les téléphones avaient été volés. Des voitures de police avaient les vitres brisées et les pneus crevés.

À la direction de Damas, le nouveau chef de la police, Basel Faoury, et le chef des opérations, Abu Ahmed al Sukkar, ont déclaré qu'ils avaient à peine dormi depuis leur arrivée d'Idlib.

Pendant les deux heures de présence de Reuters au commissariat de Damas, au moins 20 personnes sont entrées avec des demandes, des plaintes.

Un homme d'affaires souhaitait par exemple obtenir l'autorisation d'engager une société de sécurité privée pour protéger ses restaurants et ses centres commerciaux contre les voleurs.

D'autres voulaient être autorisés à organiser des milices de protection dans les quartiers.

Si la police a déclaré qu'elle acceptait ce type de demandes pour l'instant, elle a fait savoir qu'elle n'autoriserait pas ces groupes à porter des armes.

Tous les officiers supérieurs interrogés par Reuters ont déclaré qu'ils s'attendaient à une augmentation des effectifs et à la réouverture de postes grâce au développement du recrutement et de la formation cette année.

Le 14 janvier, l'académie de Damas célébrait la remise des diplômes à quelque 500 cadets de la police.

Lors de la visite de Reuters en décembre, une douzaine d'hommes faisaient la queue aux portes de l'académie pour passer des entretiens d'embauche.

L'un d'entre eux, Zakaria al Hiji, âgé de 19 ans, originaire de la ville de Deir al Zor, dans l'est du pays, a fait savoir son opposition au régime d'Assad et a fait part de son soutien aux nouvelles autorités.

Il a déclaré que ses cousins, qui travaillaient déjà pour le HTC, lui avaient dit que la police offrait de bons salaires.

Les formulaires de candidature consultés par Reuters incluent une section sur les "croyances, orientations et opinions", dans laquelle les recrues sont invitées à indiquer leur "autorité de référence", une expression souvent utilisée pour les chefs religieux musulmans.

Trois responsables du HTC, s'exprimant sous couvert d'anonymat, ont déclaré que la question avait pour but d'aider à identifier les candidats qui devront faire l'objet d'un examen plus approfondi, notamment les alaouites, issus du même culte que Bachar al Assad et qui peuvent être liés à son régime.

Bien que la religion figure depuis longtemps sur les documents d'identité en Syrie, il n'était pas habituel sous le régime Assad de préciser l'école de pensée.

Houmaida Antara al Matar, chargé des transfuges de la police souhaitant retrouver leur ancien poste à l'académie de Damas, a déclaré qu'il s'agissait "simplement d'une question de routine" et qu'elle n'avait pas pour but de discriminer.

La formation des nouvelles recrues, qui ne dure que 10 jours, aborde principalement le maniement d'armes et la loi islamique, ont déclaré à Reuters des formateurs et de récents diplômés.

Lorsque la situation se stabilisera et que la sécurité sera rétablie, la formation sera étendue à neuf mois, utilisant alors le système introduit par les rebelles à Idlib, a déclaré Ahmed Latouf, qui a dirigé l'académie de police dans l'ancienne enclave rebelle avant d'être nommé chef de la police à Alep.

L'instruction religieuse proposée aux recrues comprend entre autres les principes de la jurisprudence islamique, la biographie du prophète Mahomet et les règles de conduite, a ajouté Ahmed Latouf par téléphone depuis Alep.

Le chef du poste de police de Marja à Damas, Ayman Abou Taleb, a déclaré qu'il craignait que de nombreux Syriens considèrent le HTC comme extrémiste et n'acceptent pas son autorité.

Il a ajouté qu'il ne comprenait pas pourquoi l'implantation de l'islam dans la police serait une source d'inquiétude.

"La religion qui respecte le plus les droits de l'homme est l'islam."

(Reportage Amina Ismail et Khalil Ashawi à Damas ; Maya Gebeily à Beyrouth et Angus McDowall à Londres ; rédigé par Angus McDowall ; version française Etienne Breban ; édité par Sophie Louet)

3 commentaires

  • 23 janvier 18:52

    A.I.C. aux manettes. Ils n'en sont pas à leur premier coup d'essai !


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