Durant la campagne pour la précédente élection présidentielle en Russie en 2018, Vladimir Poutine avait promis "une percée décisive" pour l'amélioration du niveau de vie de ses concitoyens. Six ans plus tard, alors qu'il devrait obtenir dimanche un cinquième mandat, le président russe recycle ses vieilles promesses mais avec des échéances repoussées. Dans son discours annuel à la nation le mois dernier, Vladimir Poutine a promis plus de 11.500 milliards de roubles (116 milliards d'euros) de dépenses dans des domaines allant des aides pour les emprunts immobiliers et des allègements fiscaux en faveur des jeunes parents à des investissements d'ampleur dans les infrastructures publiques. Il a mis en avant le fait que la Russie avait connu l'an dernier une croissance économique plus vigoureuse, de 3,6%, que chacun des pays du G7 l'ayant frappée de sanctions depuis son invasion de l'Ukraine en février 2022. D'autres indicateurs brossent toutefois un tableau plus sombre de la situation du pays. L'économie russe, tournée vers l'effort de guerre avec des usines d'armement fonctionnant aux trois-huit, est confrontée à une pénurie de main-d'oeuvre, un déclin démographique et une faiblesse de la productivité et des investissements. La percée promise en matière de niveau de vie ne s'est pas concrétisée. Les revenus réels ont certes progressé de 7,6% depuis l'engagement présidentiel de 2018 mais ils demeurent très légèrement en-deçà de leur niveau de 2013. "En ce qui concerne nos revenus, 2014-2023 peut sans hésitation être qualifiée de décennie perdue", écrit Evguéni Souvorov, économiste chez CentroCreditBank. D'après une enquête commandée par la banque centrale de Russie publiée en février, 28% des personnes interrogées disent ne pas avoir suffisamment d'argent pour se nourrir correctement ou pouvoir acheter de la nourriture mais pas des vêtements ou des chaussures. L'inflation ces dernières années a accéléré à un rythme nettement supérieur à l'objectif de 4% de la banque centrale (8,4% en 2021, 11,9% en 2022 et 7,4% en 2023) tandis que les taux d'intérêt atteignent 16%. L'augmentation du prix des oeufs a ainsi amené, fait rare, Vladimir Poutine à présenter des excuses en décembre. Dans ses publications depuis le début de l'année, l'institut national de la statistique Rosstat a commencé à parler de prix qui "évoluent" plutôt que "augmentent". LE FONDS SOUVERAIN MOBILISÉ Le coût de la guerre pèse sur le budget de l'Etat, dont un tiers est désormais consacré à la Défense, et il a contraint le gouvernement à puiser près de 6.500 milliards de roubles ces deux dernières années dans le fonds souverain russe. Vladimir Poutine a laissé entendre ces deux dernières semaines que les impôts sur les entreprises et les personnes aux revenus les plus élevés allaient augmenter, quand bien même son ministre des Finances déclarait encore en octobre dernier que la fiscalité de base ne changerait pas au cours des trois prochaines années. Anatoli Aksakov, président de la commission des marchés financiers à la Douma, a déclaré jeudi que le taux marginal de l'impôt sur le revenu pourrait être relevé respectivement à 17% et 20% pour les tranches supérieures à 5 millions et 10 millions de roubles, contre un taux actuel de 15%. Les promesses formulées par Vladimir Poutine le 29 février dans son discours annuel à la nation devraient coûter environ 2.000 milliards de roubles par an. Dans un certain nombre de domaines, le président russe a toutefois repoussé la date de réalisation de divers objectifs ou a purement et simplement omis de mentionner des engagements passés non honorés. "Tous les nouveaux trucs sont d'anciens trucs oubliés bien à propos", dit Dmitri Polevoï, directeur des investissements chez Astra Asset Management. Le nombre de Russes vivant sous le seuil de pauvreté, soit 14.339 roubles par mois en 2023, a certes reculé à 9,3% contre 12,9% fin 2017. Mais Vladimir Poutine s'était engagé en 2018 à le réduire de moitié. Le mois dernier, il a fixé un nouvel objectif de 7% d'ici 2030. Pour les économistes, le principal moteur de la baisse de la pauvreté l'an dernier a été la progression des salaires, reflet de la pénurie de main-d'oeuvre, conjuguée au relèvement des prestations versées aux familles avec enfants, à la hausse des soldes décidée pour attirer des recrues dans l'armée et aux indemnités versées aux familles des soldats morts ou blessés en Ukraine. Ils relèvent que la progression des salaires a été plus vigoureuse dans les régions avec les plus fortes concentrations de sites militaro-industriels. OBJECTIFS NON ATTEINTS OU REPOUSSÉS Vladimir Poutine a déclaré que la pénurie de main-d'oeuvre était le principal risque auquel était confrontée l'économie russe mais il n'a fourni aucun objectif chiffré en la matière. Des centaines de milliers de Russes ont fui le pays ou ont été enrôlés dans l'armée depuis le début de la guerre en Ukraine. En 2018, le président russe entendait porter l'espérance de vie à 78 ans d'ici 2024. Deux ans plus tard, il a reporté cet objectif à 2030 et l'a confirmé le mois dernier. D'après Rosstat, l'espérance de vie était de 73,1 ans fin 2023 en Russie et elle ne devrait atteindre 78 ans qu'en 2037. Un autre objectif non réalisé concerne la productivité du travail, dont Vladimir Poutine déclarait en 2018 qu'elle devait progresser d'au moins 5% par an dans les secteurs essentiels de l'industrie, de la construction, du transport, de l'agriculture et du commerce extérieur. D'après les statistiques de Rosstat, la productivité du travail en Russie a baissé de 3,6% en 2022, première année de la guerre, et les données pour 2023 ne seront publiées qu'à la fin de cette année. Vladimir Poutine a déclaré que l'intelligence artificielle serait un contributeur essentiel à la hausse de la productivité mais il n'a avancé aucun nouvel objectif chiffré. Depuis 2012, la Russie s'efforce de porter son taux d'investissement à 25% de son produit intérieur brut (PIB), objectif de nouveau formulé en 2018 par Vladimir Poutine. Il est toutefois tombé à 19,7% en 2022 contre 21,4% en 2017 et Vladimir Poutine ne mentionne plus la cible de 25%. Dans son discours à la nation en février, le président russe a aussi exigé une augmentation d'au moins deux-tiers des exportations en volume de la Russie hors énergie, via notamment les produits alimentaires, les métaux, les engrais, les machines-outils et les équipements. En 2018, il disait que ces exportations devaient doubler d'ici 2024 pour atteindre 250 milliards de dollars (230 milliards d'euros). Si l'objectif fixé le mois dernier est atteint, elles s'élèveront à 243,5 milliards de dollars en 2030. Vladimir Poutine a récemment déclaré que l'économie russe, actuellement au cinquième rang mondial à parité de pouvoir d'achat, grimperait bientôt à la quatrième place. Dmitri Polevoï remarque cependant que, en termes de PIB par habitant, critère plus pertinent pour mesurer le niveau de vie d'un pays, la Russie est à peine au-dessus de la médiane mondiale. "Il va probablement y avoir une tension croissante dans les années à venir entre le double objectif du président Poutine d'un succès militaire en Ukraine et d'une stabilité macroéconomique sur le plan intérieur", écrit l'institut Capital Economics, les largesses budgétaires destinées à soutenir l'effort de guerre risquant de provoquer une surchauffe économique. "L'économie peut supporter une guerre longue mais pas nécessairement une guerre plus intense." (Darya Korsunskaya et Alexander Marrow, rédigé par Mark Trevelyan, version française Bertrand Boucey, édité par Kate Entringer)
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