par Michael Holden
LONDRES, 8 septembre (Reuters) - La reine Elizabeth II, décédée jeudi à l'âge de 96 ans, a traversé des décennies de changements sociaux sans cesser d'incarner la stabilité de la monarchie britannique, pourtant menacée d'anachronisme dans un monde en mutation.
Personnage empreint de dignité, qui a régné plus longtemps qu'aucun autre monarque britannique avant elle - elle a dépassé en septembre 2015 le record du plus long règne établi avant elle par Victoria -, Elizabeth a contribué à adapter l'institution royale à la modernité, à la rendre plus ouverte et accessible, malgré les regards de plus en plus intrusifs des médias.
Alors que la nation sur laquelle elle régnait peinait parfois à trouver sa place dans le nouvel ordre international, que sa propre famille se mettait à dos l'opinion publique, la reine a défendu une conception de l'unité transcendant la notion de classes, s'attirant le respect non seulement des royalistes mais aussi, un peu à contrecoeur, des Britanniques aux penchants républicains.
Première femme appelée à régner depuis Victoria, elle a allégé le protocole de la cour et ouvert la monarchie aux masses. Ses sujets n'y ont pas toujours souscrit et la fin du XXe siècle a vu se multiplier les marques d'irrévérence envers Buckingham.
Ce détachement de l'opinion a culminé avec l'accident de voiture qui causa la mort de la princesse Diana en 1997 à Paris. Beaucoup accusèrent alors la reine d'avoir isolé Diana de la famille royale en raison de son divorce avec le prince Charles, héritier du trône.
Mais les normes de "compétence" et d'étiquette qu'elle a établies en tant que monarque lui ont valu un regain d'admiration, en particulier lorsqu'elle a dû faire face en 2002 aux décès de sa soeur, la princesse Margaret, et de la reine-mère Elisabeth.
Figure de proue du Commonwealth et chef d'Etat de divers territoires dépendant de la Grande-Bretagne, la personne que dissimulait le sourire royal s'est relativement peu livrée, n'accordant jamais d'interview, n'exprimant que rarement ses émotions ou son opinion personnelle en public.
"C'était une femme dans un monde d'hommes, assumant une fonction que tout le monde pensait uniquement réservée à un homme", disait d'elle son petit-fils le prince William, dans une interview télévisée en 2012. "Elle a représenté pour moi un exemple incroyable."
TERRAIN D'ENTENTE
Elizabeth Alexandra Mary est née le 21 avril 1926 au 17, Bruton Street, dans le centre de Londres, mais la jeune princesse n'aurait jamais pensé alors accéder un jour au trône.
Elle n'est devenue souveraine qu'en raison de la crise suscitée en 1936 par l'abdication de son oncle Edouard VIII après son mariage avec Wallis Simpson, une Américaine divorcée.
Elle a dix ans lorsque la couronne passe sur la tête de son père Georges, qui devait décéder le 6 février 1952. Rentrée précipitamment du Kenya, elle est accueillie en tant que souveraine par le Premier ministre Winston Churchill, le premier des 14 chefs de gouvernement qu'elle côtoiera tout au long de son règne (jusqu'à Boris Johnson). Son couronnement, le 2 juin 1953, est le premier de l'ère télévisuelle.
"D'une certaine manière, je n'ai pas eu d'apprentissage. Mon père est mort bien trop jeune et il m'a fallu endosser ce rôle très soudainement, et faire mon travail le mieux possible", confiait-elle dans un documentaire en 1992.
Durant ses 70 années de règne, la Grande-Bretagne connaît des mutations spectaculaires. Aux austères années de l'après-guerre succèdent les "swinging Sixties", puis le néo-libéralisme clivant de Margaret Thatcher dans les années 1980, les trois mandats du "New Labour" de Tony Blair, le retour à l'austérité sous David Cameron, le séisme du Brexit et le choc de la pandémie de COVID-19.
Le référendum de juin 2016 sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne met à nu des divisions profondes au sein de la société britannique.
"Alors que nous cherchons de nouvelles réponses face à la modernité, je préfère pour ma part les recettes testées et éprouvées, à savoir parler des autres avec bienveillance, respecter les différents points de vue, se rassembler pour chercher un terrain d'entente et ne jamais perdre de vue le tableau d'ensemble", assure-t-elle à l'époque dans un message à peine voilé aux responsables politiques.
"ANNUS HORRIBILIS"
Au début de son règne, Elizabeth s'est d'abord appuyée sur le cercle des conseillers de son père avant de faire peu à peu entrer diplomates et hommes d'affaires à la Cour.
En 1992, elle répond aux critiques sur la richesse et le train de vie de la famille royale en annonçant qu'elle paiera désormais un impôt sur le revenu.
Son mariage avec Philip d'Edimbourg, né en Grèce, qu'elle a épousé à l'âge de 21 ans, est resté solide pendant 74 ans jusqu'à la mort du prince consort en avril 2021. Le couple a eu quatre enfants, un intervalle de dix ans séparant le second, Anne, du troisième, Andrew. La reine a eu son dernier enfant, Edward, en 1964 à l'âge de 37 ans.
Les déboires conjugaux de sa fille et deux de ses fils ont cependant ébranlé la monarchie. Elizabeth qualifie elle-même l'année 1992 d'"annus horribilis", marquée par l'échec des mariages de trois de ses enfants et un incendie dans la résidence royale du château de Windsor.
De scandales en indiscrétions rapportées avidement par les tabloïds, jusqu'au choc de la mort de "Lady Di", la popularité de la famille royale est au plus bas et pour la première fois, des observateurs osent suggérer que les jours de la monarchie sont comptés.
Mais la reine Elizabeth parvient à rester au-dessus de la mêlée, les seules critiques à son encontre lui reprochant d'être trop froide ou distante.
Au cours des vingt années suivantes, s'appuyant sur une communication plus professionnelle et sophistiquée, la souveraine parvient à faire oublier les jours sombres des années 1990.
Le mariage, en 2011, du fils aîné de Charles, William, avec Kate Middleton, qui voit se rassembler un million de personnes dans les rues de Londres et deux milliards de téléspectateurs dans le monde devant leurs écrans, est un succès indéniable pour le palais.
Les commémorations fastueuses du 60e anniversaire de l'accession au trône d'Elizabeth en 2012 sont à leur tour suivies par des millions de spectateurs et son apparition au côté de Daniel Craig dans une parodie d'un film de James Bond pour la cérémonie d'ouverture des JO de Londres la même année la montre sous un jour espiègle, loin de la solennité de son personnage public.
BOULE DE NOËL
Les années finissent par révéler une femme douée de bon sens et d'esprit, amie des animaux et du grand air, plus à l'aise en tenue de tweed qu'avec un diadème.
L'unité du royaume qu'elle incarne et l'apparat associé à la famille royale restent une source de fierté nationale pour les Britanniques.
Avec son décès cependant, l'avenir de la monarchie risque fort de faire l'objet d'interrogations. Les sondages semblent suggérer que le prince Charles, héritier de la couronne, est bien moins apprécié des Britanniques.
La décision du prince Harry, jeune frère de William, et de sa femme américaine Meghan de renoncer à leurs fonctions au sein de la royauté a également privé l'institution de deux de ses figures les plus populaires.
"La monarchie est bonne uniquement tant que les gens font leur travail", disait le biographe de la famille royale Robert Lacey à Reuters lors du jubilé de diamant de la reine, en 2012.
"Fondamentalement, quand on observe la structure et la manière dont fonctionne le pays, nous sommes une république ornée d'une magnifique boule de Noël au sommet. Et nous pouvons toujours enlever cette décoration quand cela nous chante."
(version française Philippe Bas-Rabérin, Jean-Stéphane Brosse, édité par Nicolas Delame)
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