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La mosquée d'Allonnes, cas d'école du combat contre le "séparatisme islamiste"
information fournie par Reuters 06/04/2022 à 10:36

LA MOSQUÉE D'ALLONNES, CAS D'ÉCOLE DU COMBAT CONTRE LE "SÉPARATISME ISLAMISTE"

LA MOSQUÉE D'ALLONNES, CAS D'ÉCOLE DU COMBAT CONTRE LE "SÉPARATISME ISLAMISTE"

par Juliette Jabkhiro

ALLONNES, Sarthe (Reuters) - Pendant trois ans, Karim Daoud, 46 ans, a été à la tête de la mosquée d'Allonnes, une petite ville de la Sarthe proche du Mans. Il y entraîne aussi une équipe de football, et travaille depuis plus de vingt ans au service jeunesse de la mairie.

En octobre dernier, la préfecture de la Sarthe lui a remis une médaille d'honneur pour récompenser son ancienneté et son dévouement au service des collectivités locales.

Quelques jours plus tard, elle fermait la mosquée pour une durée de six mois, expliquant dans son arrêté qu'on y observait une "pratique radicale de l'islam" et qu'on y cultivait "un sentiment de haine à l'égard de la France".

Les représentants de la mosquée, qui rejettent ces accusations, affirment que les autorités ont fourni peu d'éléments à l'appui de leur décision.

Des organisations de défense des droits de l'Homme, des institutions internationales comme l'Onu et des membres de la communauté musulmane dénoncent depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron un "arbitraire" français, avec des procédures "opaques" difficilement contestables en justice.

"C'est kafkaïen," juge Fionnuala Ní Aoláin, rapporteure spéciale des Nations Unies pour la protection des droits humains dans la lutte contre le terrorisme. "Le flirt avec le secret des preuves est en lui-même inquiétant mais il enfreint aussi des traités internationaux" comme la Convention européenne des droits de l'Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Sollicitée sur ce point, la présidence française n'a pas souhaité apporter de commentaires.

Le ministère de l'Intérieur a déclaré à Reuters que toutes les mesures prises durant le quinquennat pour lutter contre le terrorisme islamique l'avaient été "dans le respect de l’Etat de droit". La préfecture de la Sarthe n'a pas souhaité répondre aux questions de Reuters.

Les autorités françaises ont fermé 22 mosquées ces 18 derniers mois, selon les données du ministère de l'Intérieur - un chiffre en hausse selon une source autorisée.

Le ministère précise avoir contrôlé en outre 90 mosquées sur les quelque 2.500 lieux de culte musulmans de France.

L'objectif affiché est de lutter contre le "séparatisme islamiste" à travers un arsenal de mesures de surveillance et de sanction comme le "contrat d'engagement républicain" pour les associations demandant des fonds publics, le "déféré laïcité", ou le déploiement de cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (CLIR).

Le ministère de l'Intérieur assure que des preuves détaillées ont été versées à la procédure visant la mosquée d'Allonnes. Le parquet du Mans a engagé par ailleurs des investigations pour déterminer si des membres ou des dirigeants des associations gérant la mosquée d'Allonnes ont commis des actes "d'apologie de terrorisme et provocation à commettre des actes terroristes".

Karim Daoud assure que l'instance n'a aucun lien, direct ou indirect, avec des activités terroristes.

La fermeture est pour lui "une injustice" et "une grosse déception" au regard de l'implication locale de la communauté. Un "tout répression" qui oublierait la dimension sociale du problème.

Me Nabila Asmane, qui représente les dirigeants de la mosquée, a dit à Reuters que le ministère de l'Intérieur n'avait pas fourni de preuves suffisantes et que le dossier était basé sur de fausses allégations.

"Ce ne sont pas les avocats qui ont échoué, c'est la justice", dit-elle.

Le Conseil d'Etat a confirmé en novembre la fermeture de la mosquée. En janvier, le gouvernement a annoncé la dissolution des associations régissant la mosquée. Une procédure d'appel est en cours.

Les fermetures administratives comme celle de la mosquée d'Allonnes sont temporaires. Mais certaines mosquées ne rouvrent pas, selon des militants des droits de l'Homme et le ministère de l'Intérieur.

Le décret de fermeture de la mosquée d'Allonnes prend fin le 25 avril, le lendemain du second tour de l'élection présidentielle. Des musulmans de la ville tentent de former une nouvelle association pour reprendre le lieu.

La lutte acharnée contre le "séparatisme", thème polémique de la campagne présidentielle qui nourrit les programmes de l'extrême droite, est à inscrire au bilan du président sortant.

En octobre 2017, le Parlement votait la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), qui inscrit dans le droit commun certaines dispositions de l'état d'urgence instauré fin 2015 après les attaques meurtrières de janvier et novembre 2015.

Au moment du vote, Emmanuel Macron avait désigné le "terrorisme djihadiste" comme la plus grande menace sécuritaire pour la France.

En vertu de la loi SILT, le ministère de l'Intérieur a le pouvoir de fermer des lieux de culte pour une durée de six mois, s'ils sont soupçonnés de propager la haine ou d'inciter à la violence, de faire l'apologie ou d'inciter au terrorisme. Les lieux de culte peuvent faire appel de ces fermetures devant les tribunaux administratifs. Lors d'une procédure administrative, il est très rare que des témoins soient appelés à comparaître.

A Allonnes, la mosquée est sise depuis une dizaine d'années dans l'espace culturel Yvon Luby, un bâtiment moderne sans charme. Quelque 250 fidèles y priaient régulièrement, selon Karim Daoud.

Le 11 octobre dernier, la préfecture notifie les dirigeants de la mosquée de son intention de fermer le lieu, ce qu'elle fait deux semaines plus tard.

Le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, en fait l'annonce lui-même sur Twitter le 26 octobre : "Les prêches prônées dans cette mosquée légitimaient notamment le recours au djihad armé tout en cultivant un sentiment de haine à l’égard de la France."

Les dirigeants de la mosquée font appel de la décision de fermeture. Le dossier du gouvernement est détaillé dans deux documents de 20 pages au total, une "note blanche", qui est versée à la procédure le soir du 28 octobre, veille de l'audience au tribunal de Nantes, selon la date de réception inscrite sur le document.

La note des services de renseignement français que Reuters a pu consulter accuse quatre personnes associées à la mosquée, y compris Daoud et un autre dirigeant, d'avoir manifesté leur soutien entre septembre 2020 et avril 2021 à deux attentats terroristes commis en France.

La note fait aussi état de cinq livres trouvés à la mosquée qu'elle qualifie de "radicaux". Selon Daoud Riffi, qui enseigne l'islamologie à Sciences Po Lille, quatre d'entre eux sont des ouvrages facilement accessibles en ligne et dans les librairies spécialisées. Le dernier, "Riyad as-Salihin" ou "Les Jardins des Vertueux", date du XIIIe siècle et figure au catalogue de la Bibliothèque nationale de France.

Le document accuse aussi les imams de la mosquée d'avoir dit dans leurs prêches que la France est un pays dépravé qui sera puni par Allah et d'avoir glorifié le djihad armé. Elle accuse également des fidèles de la mosquée d'avoir appelé à prendre les armes - sans identifier par qui ces propos ont été entendus.

Selon Karim Daoud, la "note blanche" repose sur une mauvaise interprétation du terme "djihad", qui peut vouloir dire djihad armé, mais dans la plupart des cas est utilisé dans son sens commun de "djihad al-akbar", un combat spirituel et non-violent contre soi-même.

Daoud a déposé une plainte contre X pour "dénonciation calomnieuse" auprès du parquet du Mans en décembre.

Grégoire Cador, prêtre de la paroisse d'Allonnes pendant quatre ans, dont l'église se situe à une dizaine de minutes de marche de la mosquée, a déclaré qu'il ne reconnaissait pas les dirigeants de la mosquée dans la description qui en est faite. "Ces accusations me surprennent totalement", a dit le père Cador, qui a quitté Allonnes l'année dernière.

Reuters a interviewé plus d'une douzaine de fidèles de la mosquée et d'autres Allonnais, qui ont tous dit que les dirigeants de la mosquée et les imams faisaient montre de tolérance et qu'ils n'avaient jamais tenu de discours haineux.

Lors de l'audience au tribunal administratif de Nantes le 29 octobre, Nabila Asmane avait notamment fait valoir que la fermeture portait atteinte à la liberté de culte des musulmans d'Allonnes.

La juge a rejeté l'appel au motif que les accusations étaient suffisamment précises et circonstanciées.

Les dirigeants de la mosquée saisissent alors la plus haute cour administrative française, le Conseil d'Etat. Lors d'une audience le 26 novembre, à laquelle Reuters a assisté, la directrice des liberté publiques et des affaire juridiques du ministère de l'Intérieur, Pascale Leglise, avait défendu "la parole de l'Etat" comme preuve suffisante.

"Nous sommes dans l'impuissance la plus totale. Parce que les 'notes blanches' comportent parfois de véritables falsifications de la vérité, qu'on ne peut pas contester", avait répliqué Me William Bourdon, qui défend également les dirigeants de la mosquée.

Depuis fin octobre, la mosquée d'Allonnes est vide, l'arrêté de fermeture scotché sur la porte d'entrée.

Si la mosquée rouvre, ce sera sans Karim Daoud.

Ses avoirs personnels sont gelés depuis octobre par décision du gouvernement, sur le même fondement que la fermeture de la mosquée. Il exerce toujours le même travail, mais n'a pas d'accès direct à son compte en banque. Les factures sont payées directement depuis son compte, et pour toutes les autres dépenses de la famille, il explique qu'il doit se débrouiller avec 500 euros par mois en liquide.

"Tout est fait pour nous humilier."

(Reportage Juliette Jabkhiro, édité par Sophie Louet et Jean-Michel Bélot)

2 commentaires

  • 06 avril 12:06

    Fermer toutes les mosquées et il n'y aura plus de problémes !


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