
Photo d'archive non datée du capitaine Alfred Dreyfus en uniforme, prise dans un endroit inconnu après sa réhabilitation ( AFP / - )
L'Assemblée nationale a approuvé à l'unanimité lundi une proposition de loi de Gabriel Attal "élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade", un "acte de réparation" visant à parachever sa réhabilitation, 130 ans après sa condamnation.
Le texte a été adopté par l'ensemble des 197 députés présents, devant des membres de la famille d'Alfred Dreyfus. Il devrait désormais poursuivre son parcours au Sénat.
"Par notre vote, la République va réparer une erreur, celle que l'officier Dreyfus dut subir en 1906", alors même qu'il avait été innocenté, lors de l'adoption d'une loi qui "ne le réintégra pas au grade qui lui revenait de droit", a affirmé dans son propos introductif le rapporteur, le député du Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl (Renaissance).

Le capitaine Alfred Dreyfus embarque à bord du croiseur "Sfax" en juin 1899 à son départ de l'île du Diable en Guyane française, où il purgeait une condamnation à perpétuité depuis quatre ans ( AFP / )
Un "geste (...) d'autant plus significatif" qu'il intervient dans un contexte "où les actes de haine antisémites connaissent une inquiétante progression", a souligné la ministre déléguée à la Mémoire et aux Anciens combattants, Patricia Mirallès.
Plusieurs lieux liés à la communauté juive, dont le mémorial de la Shoah, ont été aspergés de peinture verte ce weekend. Les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, se sont rendus au Mémorial lundi en fin de journée.
"Ça n'est pas que symbolique, c'est ce que la France doit à ses enfants, cette reconnaissance et ce rétablissement dans ses droits, c'est très important", a-t-elle insisté en référence à l'adoption de la proposition de loi.
- Une question "longtemps ignorée" -
En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus est condamné pour trahison et contraint à l'exil sur l'île du Diable en Guyane, sur la base de fausses accusations alimentées par un antisémitisme très ancré dans la société française de la fin du XIXe siècle.

Alfred Dreyfus (2e d) à l'École militaire de Paris après avoir reçu la Légion d'honneur lors d'une cérémonie marquant sa réhabilitation, le 21 juillet 1906 ( AFP / - )
En 1906, un arrêt de la Cour de cassation l'innocente, entraînant ipso facto sa réintégration dans l'armée. Dans la foulée, une loi le nomme chef d'escadron, avec effet le jour de la promulgation de la loi. Une "injustice", car cela revenait à amputer sa carrière de "cinq années d'avancement", a souligné M. Sitzenstuhl.
Alfred Dreyfus demandera lui-même à voir sa carrière revalorisée, sans obtenir gain de cause, et quittera l'armée en 1907 - avant de servir à nouveau pendant la Première Guerre mondiale.
La question de la réhabilitation pleine et entière d'Alfred Dreyfus "a été longtemps occultée et ignorée, en dehors de sa famille et des spécialistes de l'affaire", note le rapporteur.

Le président Jacques Chirac prononce son discours à l'occasion du 100e anniversaire de la réhabilitation d'Alfred Dreyfus, l'officier juif français injustement condamné pour trahison, le mercredi 12 juillet 2006 à Paris ( POOL / JACQUES BRINON )
Un pas est franchi en 2006, lors d'un hommage de la Nation en son honneur: le président de la République Jacques Chirac reconnaît alors que "justice (ne lui) a pas complètement été rendue", et qu'il n'a pu "bénéficie(r) de la reconstitution de carrière à laquelle il avait pourtant droit".
La ministre des Armées Florence Parly l'évoque à son tour en 2019. Deux ans plus tard, le président de la République Emmanuel Macron estime qu'il revient "sans doute à l'institution militaire, dans un dialogue avec les représentants du peuple français" de nommer Dreyfus général à titre posthume.
- "Valeurs du dreyfusisme" -
Plusieurs initiatives parlementaires ont également été prises ces dernières années, par la droite à l'Assemblée et au Sénat, et plus récemment par le sénateur PS Patrick Kanner.
Lundi, tous les groupes ont soutenu la mesure.
"Si cette proposition de loi doit être soutenue, c'est pour rappeler à l'opinion et surtout à notre jeunesse que l'antisémitisme est comme une hydre qui peut sans cesse renaître sous des traits nouveaux, mais tout autant dangereux", a plaidé le député RN Thierry Tesson, dont le parti n'a de cesse de donner des gages de son engagement contre l'antisémitisme.

Dernière photo connue prise dans les années 30 d'Alfred Dreyfus ( AFP / - )
Sur un ton plus polémique, le député LFI Gabriel Amard lui a répondu en fustigeant ceux qui "lèvent aujourd'hui la main, comme s'ils avaient été dreyfusards", alors qu'ils "ricanent à l'ombre des croix gammées numériques". "Dans ma famille, on descend des dreyfusards, pas dans la vôtre", a-t-il lancé, en appelant aussi à ne pas se servir "de l'antisémitisme comme d'un javelot", allusion aux accusations dont le chef des Insoumis Jean-Luc Mélenchon fait l'objet.
Le député PS Aurélien Rousseau a estimé pour sa part au nom de son groupe que "c'est au Panthéon que ce capitaine, général Dreyfus et sa femme devraient être accueillis".
Interrogé sur cette hypothèse, l'entourage du président de la République avait affirmé dimanche à l'AFP que sa "préoccupation" était "à ce stade, de faire vivre les valeurs du Dreyfusisme, combat toujours d'actualité pour la vérité et la justice, contre l'antisémitisme et l'arbitraire".
Seule dissonance: le groupe MoDem était absent lundi, n'entendant pas "permettre à certains d'acheter à peu de frais, et sur la mémoire d'Alfred Dreyfus (...), un brevet d'honorabilité", comme il l'a expliqué dans une tribune au Figaro la semaine dernière.
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