
Le président américain Joe Biden
par Jeff Mason, Jarrett Renshaw et Nandita Bose
Au soir du 27 juin, dans la foulée du premier débat présidentiel face au républicain Donald Trump, l'issue semblait inéluctable aux yeux d'alliés de longue date de Joe Biden: le locataire démocrate de la Maison blanche allait mettre fin à sa campagne de réélection. Deux semaines plus tard, ce n'est pas le cas.
Si des élus du Parti démocrate sont sortis du rang en l'appelant clairement à se mettre en retrait au profit d'un autre candidat, si des donateurs multiplient les discussions intenses pour trouver des alternatives après la prestation qualifiée de "désastreuse" face à Donald Trump, Joe Biden ne flanche pas.
Dans un entretien diffusé par la chaîne ABC News vendredi dernier, il a voulu faire taire les doutes, admettant n'être plus tout jeune, à 81 ans, mais imputant sa mauvaise prestation lors du débat à une extrême fatigue causée par ses déplacements internationaux.
Ses propos n'ont pas vraiment rassuré dans les rangs démocrates et il est devenu quotidien qu'un élu du parti demande à Joe Biden de se mettre en retrait du "ticket" présidentiel. Les appels en ce sens devraient se multiplier dans les prochains jours.
Jusqu'à présent, la Maison blanche répète sa volonté de "tourner la page" du débat, bien que certaines enquêtes d'opinion montrent que Donald Trump, 78 ans, a creusé l'écart dans les intentions de vote dans plusieurs Etats dits "bascule" pour le scrutin du 5 novembre.
Pourquoi, alors, Joe Biden ignore-t-il les appels de ses pairs démocrates et continue-t-il de se présenter comme le seul en mesure de battre son prédécesseur républicain ?
Les raisons sont multiples, qu'elles soient profondément intimes ou liées au Parti démocrate, montrent des entretiens réalisés avec des représentants démocrates, des conseillers, stratégistes et donateurs.
BIDEN CROIT EN BIDEN
La décision de Joe Biden de briguer une réélection, en dépit de son âge - quel que soit le vainqueur du scrutin de novembre, il sera le président-élu le plus âgé de l'histoire des Etats-Unis -, trouve son origine dans le fait que le président démocrate a la conviction d'être le meilleur candidat pour battre Donald Trump, selon des déclarations effectuées à l'époque à Reuters par des alliés de Biden et des représentants.
D'après trois sources, Joe Biden doutait de la capacité de sa vice-présidente Kamala Harris à séduire l'électorat centriste, en particulier dans les Etats considérés comme décisifs pour l'élection. Il était également sceptique à l'égard des capacités des gouverneurs et représentants démocrates considérés comme les futurs cadres du parti.
A propos de sa décision de maintenir sa campagne électorale, Joe Biden a déclaré la semaine dernière dans son entretien sur ABC News qu'il était "la personne la plus qualifiée pour battre" Donald Trump. "Seul Dieu" pourrait le convaincre du contraire, a-t-il ajouté par ailleurs.
L'un des moteurs de la longue carrière politique de Joe Biden, dont la vie personnelle a été frappée par des deuils, réside dans la persévérance que le dirigeant dit avoir héritée de ses parents. "Échouer à un moment dans sa vie est inévitable, mais laisser tomber est impardonnable", explique-t-il avoir appris de sa mère.
Reste que "la seule bataille qu'il ne peut pas gagner est la lutte contre le temps. Aucun de nous ne le peut", a écrit l'acteur George Clooney, soutien de Joe Biden depuis plusieurs années, dans une tribune publiée mercredi par le New York Times appelant le président à ne pas se représenter, citant les mêmes préoccupations que de nombreux démocrates.
LES PLUS PROCHES ALLIÉS DE BIDEN NE VEULENT RIEN LÂCHER
Le premier cercle de hauts conseillers de Joe Biden a renforcé la détermination du dirigeant démocrate à ne pas abdiquer, a-t-on appris de sources proches de ces conseillers.
Depuis des décennies, l'ancien sénateur et vice-président s'est entouré d'un petit cercle d'alliés, comme le conseiller politique Mike Donilon, l'avocat Steve Ricchetti et le secrétaire général de ses services, Bruce Reed, qui l'ont guidé lors de précédentes crises et l'ont exhorté à tenir bon.
Le débat raté face à Donald Trump n'a fait que renforcer cette dynamique, a-t-on appris des sources.
"J'ai entendu que Steve, Bruce et Mike sont encore plus 'dedans' que (Biden) ne l'est", a déclaré un ancien conseiller du président démocrate qui a toujours des connexions à la Maison blanche. "Ils ne veulent pas bouger de là".
Un représentant actuel de la Maison blanche a confirmé cette description, déclarant qu'elle s'appliquait à l'ensemble des hauts conseillers de Joe Biden.
Par ailleurs, de nombreux membres de son équipe, dont la conseillère de haut rang Anita Dunn, ont mis en avant le fait que le président démocrate est traité de manière injuste par les médias, qu'il n'a pas obtenu la reconnaissance qu'il mérite pour avoir renversé Donald Trump en 2020, qu'il a déjà été sous-estimé par le passé et a alors fait mentir ses détracteurs.
Un mémo relayé jeudi par la directrice de campagne de Joe Biden souligne qu'il n'y a pas de meilleure alternative que lui.
"Les sondages ne prennent pas en compte l'environnement médiatique négatif auquel tout candidat démocrate fera face. Le seul candidat du parti pour qui cela s'est déjà produit est le président Biden", est-il écrit dans le mémo.
CERTAINS DÉMOCRATES DOUTENT DES CHANCES DE HARRIS
Il n'est pas impossible que la faculté de Joe Biden à surmonter les appels au retrait de sa candidature réside davantage dans l'absence d'alternative crédible déplorée par certains démocrates.
Une dizaine de démocrates, dont des élus et des activistes, pour la plupart issus de Pennsylvanie, un Etat dit "bascule" pour le scrutin de novembre, ont exprimé lors d'entretiens leurs profondes préoccupations à propos des capacités mentales de Joe Biden et de ses chances de battre Donald Trump.
Mais ils ont également dit avoir très peu confiance en les solutions de "rechange" dans les rangs démocrates, au premier rang desquelles Kamala Harris.
Si Joe Biden venait à se mettre en retrait, ces démocrates pensent que le parti ne pourra pas faire autrement que de choisir Kamala Harris, à nouveau présente sur le "ticket" présidentiel, comme candidate face à Donald Trump, citant le risque, le cas contraire, de se mettre à dos l'électorat féminin et afro-américain nécessaire au parti pour remporter le scrutin.
"Il faudra que ce soit Harris, et je ne pense pas que cela nous placerait dans une meilleure position de gagner" qu'avec Joe Biden malgré ses difficultés, a déclaré un démocrate de haut rang de Pennsylvanie.
A l'inverse, certaines voix démocrates disent penser que Kamala Harris pourrait amener au parti un souffle nouveau.
"J'aimerais que davantage de gens aient moins peur", a déclaré Seth Moulton, l'un des élus démocrates de la Chambre des représentants ayant publiquement appelé Joe Biden à mettre fin à sa campagne électorale.
(Jeff Mason, Jarrett Renshaw et Nandita Bose, avec la contribution de Richard Cowan, Makini Brice, Andrea Shalal et Moira Warburton; version française Jean Terzian)
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