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Le roller derby, un sport féminin spectaculaire et impertinent
information fournie par The Conversation 08/10/2024 à 08:30
Temps de lecture: 7 min

Le roller derby, un sport féminin spectaculaire et impertinent

Le roller derby, un sport féminin spectaculaire et impertinent

Apparu il y a une quinzaine d'années en France, le roller derby est une discipline à part, qui tient autant des sports de glisse que de la culture punk. Sur une piste oblongue, en patins à roulettes, les joueuses (ce sont essentiellement des femmes) doivent réussir à dépasser les joueuses adverses sans se faire projeter au sol ni sortir de la piste, dans un laps de temps donné.

Les Jeux olympiques ont permis de mettre en lumière des sports bien souvent méconnus du grand public comme le pentathlon moderne, le tennis de table ou le tir. Une médaille d'or ou un champion charismatique assurent aux fédérations et à des clubs en manque de licenciés une reconnaissance et, bien souvent, des retombées économiques.

Pour une discipline sportive, rejoindre le programme olympique et bénéficier de sa couverture médiatique peut apparaître comme un véritable accomplissement. Pourtant, aux marges des mega-événements que sont les JO, d'autres sports essayent de survivre à l'absence de reconnaissance et médiatisation et cherchent même parfois à s'organiser contre les valeurs portées par le sport de compétition. C'est le cas du roller derby, un sport de glisse un peu particulier, apparu en France il y a près d'une quinzaine d'années.

Avant lui, d'autres pratiques telles que le quadball (anciennement quidditch), le sport d'Harry Potter ou encore la culture punk, ces pratiques se sont, à un moment donné de leur histoire, opposées aux instances culturelles et sportives dominantes. Par là, elles donnent à voir d'autres manières d'envisager le sport ou le monde des arts. Décentrer le regard et étudier les rapports sociaux depuis ses marges offre dès lors une autre manière d'appréhender notre société du spectacle.

Inscrite dans le cadre du projet de recherche Aiôn, socioanthropologie des sports alternatifs, cette recherche sur le roller derby s'est intéressée aux « alternatives » que cette activité de glisse avait à nous proposer. En effet, le derby nous invite-t-il à envisager une autre manière de faire du sport, loin d'une quête de records et de performance ? Pour tâcher de répondre à cette question, j'ai mené des entretiens avec une centaine de membres d'équipes européennes et suis devenue moi-même joueuse de roller derby. Suivez-moi désormais pour une rencontre sportive des plus « badass »…

Le revival roller derby : une révolution sportive

À l'origine, le roller derby est une pratique mixte nord-américaine, populaire entre les années 1930 et 1970. Dans les années 2000, il réapparaît sous la forme d'un spectacle désormais exclusivement féminin et résolument impertinent. Logos provocants, « derby name » (pseudos de jeu) suggestifs, musique punk rock et mises en scène délurées constituent les ingrédients d'une pratique qui s'implante progressivement aux quatre coins des États-Unis.

Très vite, une partie des derby girls cherche à structurer l'activité. Elles mettent de côté les mises en scène pour réglementer la pratique et en faire un sport. Entraînements, tournois et recrutements intensifs vont dès lors rythmer leur quotidien. En 2004, elles créent l'instance de gestion du roller derby : la Women's Flat Track Derby Association (WFTDA). L'ambition de ces nouvelles équipes est double. D'abord, elles veulent hisser l'activité au rang des sports rois aux États-Unis, comme le basket-ball ou le football américain. Ensuite, elles revendiquent un renversement des rapports de domination dans un monde historiquement dominé par les hommes, le sport de compétition. Géré par et pour les patineuses, indépendamment des structures sportives historiques, le milieu du roller derby entend bien révolutionner le monde sportif.

En France, de la débrouille et de la provocation

En 2009, l'Europe découvre, sur grand écran, l'existence de ce sport, grâce au film Bliss. Ce teen-movie relate l'histoire d'une jeune femme jouée par Eliott Page qui préfère se rendre à des matchs de roller derby plutôt que de participer à des concours de beauté. En France, l'effet Bliss est immédiat. Entre 2010 et 2014, 90 collectifs se créent pour faire vivre l'activité. Cette pratique offre alors l'occasion à des sportives ou à des non sportives d'être à l'initiative de leur propre collectif : le do it yourself est plus que jamais à l'honneur. Véritable élan créatif, le DIY se présente ici comme une posture visant à « faire par soi-même » plutôt qu'à consommer une offre sportive déjà existante. Obtenir des lieux d'entraînement, recruter des joueuses, construire une équipe en mesure de jouer un match, ou encore, traduire les règles marquent ainsi les débuts du roller derby sur le territoire métropolitain.

Associant débrouille et système D, cette période de structuration de l'activité se caractérise également par une réappropriation du « folklore » délaissé des gymnases américains. Durant les matchs, déguisements et mises en scène burlesques permettent aux joueuses de se moquer des conventions sportives. Puisant leurs références dans la pop culture ou les séries B, les logos et les affiches de matchs renouvellent les imaginaires sportifs. Lors des matchs, déguisements et maillots déchirés, floqués à la main, remplacent les habituels t-shirts en jersey.

Quant aux speakers, ils jouent parfois le rôle de « fou du roi » ou de Monsieur Loyal, n'hésitant pas à associer commentaires de matchs et blagues hilarantes. Associés au sport, la créativité et l'humour permettent de créer un espace-temps de pratique provocant et résolument permissif à travers lequel tout était permis : « À l'époque, c'était punk dans le sens où on s'en foutait d'offenser » (Dédé, joueuse depuis 2011).

Une structuration sportive alternative ?

Derrière cette image d'un sport provocant et anticonformiste, deux visions du monde entrent rapidement en conflit. Dès 2011, des équipes vont chercher à obtenir le soutien des institutions sportives. D'autres en revanche défendent l'indépendance de la pratique. Portées par des idéaux d'inspiration libertaire, ces collectifs refusent de rejoindre les instances de pouvoir du sport de compétition, « gérée par de vieux mecs blancs qui ne comprendraient pas les enjeux de notre sport » (Monsterious, joueuse depuis 2011). Entre 2012 et 2014, ces idéaux alternatifs guident le fonctionnement du derby français. Comme aux États-Unis, l'activité fonctionne alors en dehors des instances du pouvoir sportif.

Face à l'appel de la compétition et aux difficultés à dynamiser une communauté de plus en plus élargie, l'autogestion paraît insuffisante et surtout éprouvante. Parvenir à faire vivre une association au niveau local, ainsi qu'un sport au niveau national est chronophage. Les membres sont nombreux à parler de burn-out derby pour qualifier cette période. En 2014, le roller derby rejoint la Fédération française de roller et skateboard (FFRS). Considérée comme facilitatrice, cette décision est contestée par des pionnières qui, pour certaines, choisissent de quitter les rangs de la communauté : « L'évolution ne me convenait pas du tout. Ça rentrait trop dans les clous. C'était un sport qui, à la base, était hors catégorie, hors case et là, rentrer dans la fédé officielle, faire des championnats, créer des compétitions, ça n'allait pas avec l'idée de base » (Disaster Uppercut, créatrice d'équipe en 2010).

La fin de l'autogestion et l'organisation du championnat national vont participer à déplacer l'intérêt des joueuses (et des joueurs, de plus en plus nombreux) pour le roller derby, du folklore vers le sport. Progressivement, l'impertinence se résorbe et la permissivité de ce sport s'essouffle. L'élan révolutionnaire du roller derby n'est-il plus qu'un lointain souvenir ?

Un sport oui, mais inclusif !

Quinze ans après le tout premier match de roller derby qui a vu s'affronter les Petites Morts de Bordeaux et la Nothing Toulouse (personne ne se souvient d'ailleurs du score), le roller derby français est au sommet.

Juillet 2023, l'équipe de France Junior remporte le titre de vice-championne du monde, derrière les États-Unis. Juin 2024, le Roller Derby Toulouse et le Nantes Roller Derby occupent respectivement les deuxième et troisième places du championnat européen WFTDA. Les équipes Élite, ainsi que les équipes nationales bleu/blanc/rouge sont les vitrines d'une activité en quête de légitimité. Au plus haut niveau, le burlesque a disparu et les logos se sont assagis. Peu reconnues par les municipalités et le grand public, les équipes de derby défendent désormais leur place sur les terrains du sport mainstream : « Moi j'admire beaucoup le travail de l'élite sur l'image globale du sport, ça fait du bien de montrer qu'il y a le folklore pour les gens qui veulent déconner, mais c'est du sport, du vrai sport, violent, dur » (Trump'axe, joueuse depuis 2015). Si cette recherche de reconnaissance passe par un lissage de l'activité, les joueuses n'entendent pas se plier à toutes les règles du milieu sportif.

Qu'il s'agisse de lutter contre les discriminations, de penser l'intégration des minorités de genre ou de s'opposer au racisme, le milieu du roller derby s'attaque aux dysfonctionnements du milieu sportif traditionnel. S'il est, à ses débuts, un modèle de pratique permissif, détournant les codes sportifs, c'est désormais un sport qui se veut inclusif. L'inclusion se réfère ici à l'attention portée aux rapports de domination, que les équipes vont chercher à éradiquer. Par là, elles continuent à marquer leur distance vis-à-vis du modèle sportif traditionnel, jugé sexiste et inégalitaire. Certains collectifs n'hésitent, en outre, pas à profiter de la médiatisation de leur sport pour faire passer des messages politiques extra sportifs. Qu'il s'agisse de tourner en dérision les élites politiques lors de la très contestée réforme des retraites en 2023 ou de contrer le Rassemblement national, le roller derby continue à proposer un modèle sportif surprenant, faisant désormais dialoguer compétition, art et militantisme.

Par Orlane Messey
Docteure en STAPS, Université de Franche-Comté – UBFC

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Cet article est issu du site The Conversation