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Approvisionner la Martinique et la Guadeloupe : quels outils pour lutter contre la vie chère ?
information fournie par The Conversation 04/12/2024 à 08:30
Temps de lecture: 6 min

La Guadeloupe et la Martinique importent respectivement 62 et 65% de leurs biens de consommation. (crédit : Adobe Stock / photo générée par IA)

La Guadeloupe et la Martinique importent respectivement 62 et 65% de leurs biens de consommation. (crédit : Adobe Stock / photo générée par IA)

Les Antilles françaises connaissent une nouvelle crise face au coût de la vie. Quelles réponses structurelles apporter ? Pour des territoires qui dépendent massivement de l'importation depuis la France continentale, optimiser la chaîne d'approvisionnement, notamment grâce à des outils technologiques, peut aider à contenir les prix.

Les espaces ultramarins constituent une spécificité stratégique de la France et les difficultés qu'ils rencontrent sont un enjeu majeur pour le pays. L'un de ces enjeux, particulièrement prégnant aux Antilles, est le coût de la vie. Les coûts élevés des biens de consommation sont notamment le fruit des coûts logistiques qui sont répercutés sur le prix final.

L'Institut de recherche sur les économies insulaires démontre, en effet, que l'amélioration de la chaîne logistique est un enjeu majeur pour les territoires éloignés ou insulaires comme les Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique).

Cet été, avec Lou Malidor, étudiante à la Kedge Business School, nous avons mené une étude sur la logistique des Antilles françaises. Or, pour les entreprises locales, la disponibilité des produits et la possibilité d'offrir des prix abordables furent les deux critères les plus importants à émerger de l'étude. Ces critères sont devenus entre temps des thèmes d'actualité.

L'impact de l'insularité sur les approvisionnements

La chaîne d'approvisionnement des entreprises en Guadeloupe et en Martinique est intrinsèquement complexe. Pour bien comprendre cette complexité, il est essentiel de revenir sur les principales difficultés, d'abord d'ordre géographique, rencontrées par ces entreprises. Selon l'Insee, la Guadeloupe et la Martinique importent respectivement 62 et 65% de leurs biens de consommation, souvent de France hexagonale. Il est donc crucial que l'approvisionnement des marchandises soit suffisamment anticipé pour garantir l'équilibre entre l'offre et la demande. L'éloignement est vu comme une source de vulnérabilité pour les entreprises locales.

En outre, les infrastructures locales impactent la performance des entreprises. Pour optimiser leurs approvisionnements et réduire les coûts de transport, les entreprises attendent souvent d'atteindre des conteneurs complets avant d'expédier des marchandises à travers l'Atlantique.

En effet, l'importateur paie au conteneur transporté. Le remplir permet donc des économies d'échelles. En revanche, cela l'oblige à commander des volumes importants, ce qui est paradoxal pour de « petits » territoires et souvent, cela sature les espaces de stockage lorsque le conteneur arrive et, à l'inverse, menace de mener parfois à la rupture de stock en attendant le prochain conteneur plein. La gestion des stocks est donc un travail d'équilibriste.

Lors des entretiens menés auprès d'experts et d'entreprises implantées dans ces territoires, il a été souligné que la gestion des stocks est un pilier fondamental pour une chaîne d'approvisionnement performante. L'importance accordée à la disponibilité des produits et au prix abordable confirme que la satisfaction du client reste au cœur des préoccupations stratégiques des entreprises, mais elles sont très difficiles à tenir.

Pour maximiser la performance, les entreprises doivent donc investir dans des technologies de gestion des flux (traçabilité, Internet des objets, gestion d'entrepôts, logiciels de prévisions…) et développer de bonnes pratiques de gestion des stocks (points de commande, stocks de sécurité, prévisions…) tout en équilibrant leurs finances. Saisir ces opportunités et relever les défis associés permettra de créer des chaînes d'approvisionnement plus efficaces, résilientes et compétitives.

Une chaîne logistique plus risquée

La gestion des risques est une autre difficulté majeure qui explique la complexité de la chaîne d'approvisionnement en Guadeloupe et en Martinique. Cette problématique est particulièrement bien illustrée par le cas du Centre Hospitalier Universitaire de la Guadeloupe (CHUG). Les défis auxquels il fait face sont spécifiques au territoire guadeloupéen, et différents de ceux rencontrés en France continentale, notamment au niveau de l'approvisionnement en médicaments. Quand un CHU métropolitain commande des médicaments, le temps et le mode d'acheminement sont différents de ceux des DOM-TOM. Ces spécificités ont conduit, par exemple, à la création d'une communauté de pharmaciens approvisionneurs en outre-mer qui a permis l'élaboration d'une cartographie des risques (rupture de stock, temps d'approvisionnement longs, faible nombre de fournisseurs, aléas climatiques, etc.).

En outre, un maillon crucial dans le processus d'approvisionnement s'est révélé être le transitaire, c'est-à-dire l'opérateur qui gère le transport porte-à-porte des produits, donc le transport maritime, voire aérien, les procédures douanières, etc. Cependant, dans le logiciel utilisé par le CHUG, qui vient du continent, cet acteur n'est pas pris en compte, car il n'en est pas besoin entre deux sites hexagonaux. Les commandes sont ainsi faussées. L'approvisionneur doit systématiquement revoir chaque commande pour modifier et ajuster les quantités en tenant compte de cette étape spécifique. La nécessité de passer par un transitaire, qui gère les flux entre le continent et les Antilles, ajoute un maillon et complexifie la chaîne.

Enfin, les aléas climatiques aggravent davantage l'exposition aux risques. Un navire en retard à cause des intempéries peut tendre jusqu'à la rupture de stock une chaîne d'approvisionnement de médicaments.

Digitialiser pour améliorer l'efficacité des chaînes d'approvisionnement

Il ressort également des analyses de terrain que pour améliorer la chaîne d'approvisionnement en Guadeloupe et en Martinique, la digitalisation joue un rôle clé. Les technologies de pointe, comme les logiciels de gestion de la chaîne d'approvisionnement intégrant les spécificités des transitaires et des conditions locales, peuvent aider à automatiser les ajustements nécessaires et à prévoir les perturbations climatiques. De plus, l'utilisation de l'intelligence artificielle et des algorithmes prédictifs peut optimiser les délais d'approvisionnement en anticipant les retards et en ajustant les plans de stock en conséquence. Trop souvent pourtant, les entreprises antillaises ne s'appuient pas sur un même niveau de digitalisation qu'en France hexagonale, alors même que la distance se prêterait à cette digitalisation du pilotage de flux.

De nombreuses études, qu'ont confirmées nos entretiens, montrent que la digitalisation des chaînes logistiques facilite la création de valeur tout en rendant les chaînes plus fiables, résilientes et durables. Mais le processus de digitalisation de ces chaînes comporte de nombreux défis. Ce sont à la fois des défis techniques liés à l'infrastructure des réseaux comme à leur compatibilité, des défis financiers liés aux investissements parfois majeurs, ou encore des défis managériaux liés à l'adoption et la diffusion de l'innovation au sein de l'entreprise et auprès des partenaires commerciaux.

Les entreprises locales sont conscientes de ces difficultés et du manque de temps pour gérer ces problématiques. Elles réalisent également à quel point l'automatisation pourrait leur être bénéfique. Le temps ainsi dégagé pourrait être utilisé pour développer la collaboration avec les fournisseurs, gérer d'autres problèmes ou encore améliorer les habitudes de travail. Le rôle de la digitalisation au sein de la chaîne d'approvisionnement est indéniablement stratégique pour les entreprises de ces territoires.

En somme, la digitalisation des chaînes d'approvisionnement présente un défi significatif pour les entreprises, mais elle revêt également de nombreuses opportunités de développement et permet une baisse des coûts. De plus, elle offre la perspective pour les entreprises locales d'être réactives à court terme et proactives à long terme.

Il y a donc besoin d'investissement et certainement d'aide à l'investissement dans la formation et les infrastructures. Ces investissements seraient propices à l'élaboration de stratégies efficaces, et aideraient à déterminer une vision à long terme du développement d'une chaîne d'approvisionnement digitalisée. Cela contribuerait de manière positive à la performance des entreprises situées en Guadeloupe et en Martinique et par conséquent à la baisse des coûts, dont on voit qu'ils impactent fortement le quotidien des compatriotes antillais.

Par Alexandre Lavissière
Professeur de Logistique, CESIT - Centre d'Excellence Supply Chain, Kedge Business School

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Cet article est issu du site The Conversation