Surconsommation de vêtements: pourquoi la garde-robe des Français déborde
information fournie par Boursorama 19/09/2025 à 08:30

Nous portons moins de la moitié des vêtements que nous stockons. (crédit: Adobe Stock)

En juin 2025, le Sénat a adopté une loi anti «fast fashion» qui doit contrer la montée en puissance de la mode ultra éphémère. Au-delà de ses impacts environnementaux et sociaux ravageurs, cette dernière menace directement l'industrie et le commerce textile français. Dans ce contexte, l'Agence de la transition écologique a publié, en juin 2025, une étude sur les pratiques d'achats et d'usage des Français en matière de vêtements. L'enjeu? Mieux comprendre les moteurs de notre surconsommation grandissante.

Depuis plusieurs années, le commerce de l'habillement traverse en France une crise, marquée par les redressements, les liquidations judiciaires, les restructurations, les plans de sauvegarde de l'emploi et les plans de cession. Rien qu'en 2023, le secteur a perdu dans le pays 4.000 emplois, selon l'Alliance du commerce.

Malgré ce contexte peu reluisant, le nombre de vêtements neufs vendus continue d'augmenter: 3,5 milliards en 2024 contre 3,1 milliards en 2019, selon le baromètre 2024 de Refashion. Cela représente 10 millions de pièces achetées chaque jour en France.

On dispose de données sur le marché des vêtements et sur la durabilité intrinsèque des textiles, mais les comportements liés aux achats et à l'usage des textiles demeurent, quant à eux, méconnus. Cela rend leur durabilité extrinsèque difficile à appréhender. Il s'agit de mieux connaître les facteurs qui, en dehors de l'usure, amènent les Français à ne plus porter un vêtement.

Bien sûr, des tendances se dessinent. Nous savons que de nouvelles pratiques de consommation ont émergé et que d'autres se sont renforcées. Succès grandissant de la mode ultra éphémère, d'un côté, montée en puissance de la seconde main, de l'autre, en particulier via les plateformes en ligne.

Or, l'impact environnemental du secteur textile représente 4 à 8% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Mais pour impulser des changements, il est essentiel de comprendre ce qui se joue.

C'est pourquoi l'Agence de la transition écologique (Ademe) a mené, avec l'Observatoire de la société et de la consommation (Obsoco), une enquête auprès de 4.000 personnes sur leurs pratiques d'achat et d'usage de vêtements.

Cette étude a été affinée par une approche comportementale auprès de 159 personnes, dont 40 ont également fait l'objet d'une approche ethnographique à domicile.

La moitié de nos vêtements stockés et presque jamais utilisés

Malgré le volume conséquent d'habits vendus (42 pièces en moyenne par personne et par an, selon les chiffres de Refashion), les Français n'ont pas conscience de la quantité totale de vêtements qu'ils achètent et dont ils disposent dans leurs armoires, révèle l'enquête.

Ils déclarent ainsi jusqu'à deux fois moins que ce qu'ils possèdent réellement. Ainsi, alors que la moyenne des déclarations est de 79 pièces par personne, le constat atteint plutôt les 175.

Plus de la moitié de ces vêtements est stockée et non utilisée. Dans les armoires françaises, 120 millions de vêtements achetés il y a plus de trois mois n'ont jamais été portés, ou alors seulement une ou deux fois.

Non seulement ils sous-estiment le volume de ce stock, mais seuls 35% des Français considèrent que la quantité de vêtements qu'ils possèdent excède leurs besoins. Seuls 19% pensent que leurs achats de vêtements sont excessifs. Il existe une réelle dichotomie entre l'excès de vêtements à domicile et la remise en question de l'acte d'achat.

Une minorité de gros consommateurs

Cette perception paradoxale est problématique, puisqu'elle freine l'atteinte du premier objectif, à savoir réduire le flux d'achat de vêtements.

Là-dessus, l'étude a permis de dresser un profil des acheteurs et mis en évidence qu'une minorité de gros consommateurs (20 à 25%) portait le marché. Plutôt jeunes, urbaines et sensibles à la dimension identitaire et esthétique de l'habillement, ces personnes expriment une volonté de renouveler régulièrement leur garde-robe.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les boutiques demeurent le principal lieu d'achat, malgré une forte poussée de la vente en ligne, d'abord chez les plus âgées mais aussi chez les jeunes.

La grande évolution du marché ces dernières années est qu'il a été inondé par les géants de la mode ultra éphémère, comme Shein et Temu.

Cette mode ultra éphémère de seconde génération se distingue de la mode éphémère de première génération (H&M, Zara, Primark étant quelques-unes des enseignes les plus emblématiques de ce segment), qu'elle concurrence, par sa gamme de prix plus faible, son taux de renouvellement des gammes plus fréquent, son agressivité marketing et l'étendue plus large de son offre.

Acheter plus, moins cher… et parfois inutilement

Aujourd'hui, malgré son omniprésence sur Internet et son ascension fulgurante, elle n'est, à ce stade, plébiscitée que par 25% des Français (contre 45 % pour la mode éphémère de première génération). Elle est surtout populaire chez un public jeune, féminin, aux revenus plutôt modestes, chez qui est identifiée une légère dominante rurale.

Dans le discours des enquêtés, le choix de se tourner vers ces enseignes est clairement justifié par le fait de pouvoir acheter beaucoup et de renouveler régulièrement grâce à des prix attractifs et à un large choix.

Ceux qui les fréquentent sont deux fois plus nombreux à déclarer que le volume de leurs achats a augmenté. Le taux des achats jugés inutiles a posteriori est également plus important chez ces consommateurs. L'effet rebond de la consommation, lié à des prix toujours plus bas, est ici clairement identifié.

La seconde main en plein essor

En parallèle de cette mode ultra éphémère, une autre pratique de consommation autrement plus vertueuse a connu un regain ces dernières années: l'achat de seconde main.

Fondé sur le réemploi, ce mode d'achat permet d'allonger la durée d'usage de nos vêtements et donc évite ou repousse l'achat d'un habit neuf. Ce qui a du sens, puisque la majeure partie de l'impact environnemental d'un produit tient à sa fabrication.

La pratique s'est surtout popularisée sous l'effet du développement de plateformes en ligne, là où elle se cantonnait auparavant aux friperies et brocantes. Un leader incontesté de la seconde main en ligne, Vinted, s'est imposé. Il capte aujourd'hui 90% des consommateurs qui passent par Internet pour leurs achats de vêtements d'occasion.

Une pratique à double tranchant

En achetant de seconde main, la majorité des consommateurs ne recherchent toutefois pas une source alternative d'approvisionnement pour des préoccupations environnementales. Pour beaucoup d'entre eux, Vinted et les plateformes concurrentes ne sont qu'un fournisseur supplémentaire, complémentaire du marché neuf. Et, en particulier, de la mode ultra éphémère: on retrouve bien souvent les clients de Shein ou Temu sur les plateformes de seconde main, dans une logique consumériste très claire.

Les produits qui trouvent acquéreurs sur ces sites ont d'ailleurs souvent été très peu portés: ils n'ont en moyenne vécu qu'entre 20 et 30% de la durée de vie «normale» d'un vêtement. Cela signifie que la rotation des biens augmente, sans garantie que l'habit, malgré ses multiples propriétaires, soit porté jusqu'à l'usure.

En outre, le fruit de la revente de vêtements de seconde main sert dans 50% des cas à racheter d'autres vêtements, ou est alloué à d'autres postes de dépense. Le risque serait que la démarche alimente une boucle consumériste. Pour éviter que la seconde main ait ces effets rebonds, l'enjeu, pour les consommateurs, est donc de concilier réemploi et sobriété, en limitant les flux entrants et en augmentant l'intensité d'usage des habits, c'est-à-dire en les utilisant plus souvent et plus longtemps.

Mais cela implique d'interroger la notion de besoin. Aujourd'hui, en matière vestimentaire, celle-ci est appréhendée de façon très extensive et dépasse largement le besoin strictement fonctionnel: elle recoupe des besoins de sociabilité, d'intégration sociale, d'identification et de distinction. Cela doit être interrogé, en particulier compte tenu des méthodes marketing et publicitaires toujours plus puissantes.

Par Pierre Galio (Chef du service « Consommation et prévention », Ademe Agence de la transition écologique)

A lire aussi:

Boostés par les réseaux sociaux et les influenceurs, ces nouveaux produits ont cartonné cette année

Petit bateau: la célèbre marque pour enfants devrait être rachetée par un groupe américain

Produits d'hygiène et de beauté à prix cassés: Action séduit de plus en plus de Français


Cet article est issu du site The Conversation