
Un bébé varan malais, quelques jours après sa naissance, le 28 janvier 2022 au parc zoologique de Padirac, dans le Lot ( AFP / Lionel BONAVENTURE )
Il n'a laissé que les traces de ses petites pattes griffues sur une dalle de grès limoneux, mais un reptile se déplaçant il y a environ 350 millions d'années devient le plus ancien conquérant connu de la terre ferme à abandonner définitivement les océans.
Un jour, aux premiers âges de la période du Carbonifère, il a plu brièvement dans un endroit du continent disparu du Gondwana. Une dalle de grès trouvée par des archéologues amateurs dans la province de Victoria, à l'extrême sud-est de l'Australie, a conservé l'empreinte de ses gouttes.
Celles-ci ont "endommagé une première empreinte" d'un animal inconnu, raconte à l'AFP le professeur d'anthropologie Per Ahlberg, de l'Université suédoise d'Uppsala. Avant de dérouler un véritable "petit film fossile d'un animal vivant", à partir de la dalle mesurant moins de 30 cm de large.
Car le sol encore humide a conservé une première série d'empreintes de pattes bien dessinées. "Elle a sans doute été faite en premier car le sol paraît plus meuble". Ensuite "l'après-midi se déroule et le sol durcit un peu", en accueillant une deuxième série d'empreintes, laissée par "un animal un peu plus pressé", et muni de "griffes faisant de longues traces dans le sol".

Un varan malais (Varanus salvator), dont la morphologie des membres est similaire à celle de l'animal dont des chercheurs ont relevé des traces vieilles d'environ 350 millions d'années, présenté par son propriétaire Karn Singh, en Indonésie, le 17 octobre 2010 ( AFP / BAY ISMOYO )
Impossible de dire si les deux séries d'empreintes appartenaient au même animal, même si ce superviseur de l'étude parue dans Nature n'y croit pas. Elles trahissent la présence d'une créature "qui à une certaine distance pourrait ressembler à un lézard", de peut-être 60 à 80 centimètres de long, en le comparant aux traces similaires que laisse aujourd'hui le varan malais.
- "Pas un lézard" -
Le Pr Ahlberg imagine que si l'on pouvait l'observer de près "on ne verrait pas un lézard". Qu'importe, car "la clé est que les griffes sont une innovation des amniotes", un groupe comprenant aujourd'hui mammifères, oiseaux et reptiles.
Issu, avec les amphibiens, du groupe des tétrapodes -remarquable avec leurs deux paires de membres -, c'est le premier à s'être affranchi complètement de la vie marine.
Là où les amphibiens, - comme la grenouille -, pondent leurs œufs exclusivement dans l'eau, le groupe des amniotes a innové avec un œuf doté d'une coquille suffisamment solide pour protéger son contenu du milieu extérieur. Et plus tard, comme chez de nombreux mammifères, d'une enveloppe interne protégeant l'embryon dans le liquide amniotique.
La découverte de Victoria repousse le calendrier d'apparition du "groupe couronne" des amniotes, leur dernier ancêtre commun, de 35 à 40 millions d'années, à la charnière du Dévonien et du Carbonifère. Et resserre d'autant l'intervalle de temps communément admis jusqu'alors qui séparait le groupe des tétrapodes de celui des amniotes.
"Le continuum de la transition d'habitat de l'eau vers la terre est ainsi substantiellement comprimé à +juste+ quelque 50 millions d'années", a remarqué le paléontologue Stuart Sumida, de l'Université d'Etat de Californie à San Bernardino, dans un article accompagnant la parution de l'étude dans Nature.
"Cela ferait du Dévonien (-419/-359 millions d'années) une période extrêmement prolifique, avec une évolution rapide des tétrapodes", ajoute-t-il.
- "Ces minuscules trous de serrure" -
L'étude, dont le premier auteur est le professeur John A. Long, de l'Université australienne Flinders, remet aussi en cause des schémas d'évolution liés initialement à des épisodes d'extinction des espèces. Comme celui de la "lacune de Romer" (Romer's gap), marqué par très peu de découvertes de fossiles de tétrapodes à la fin de la période du Dévonien.

Un bébé varan malais, quelques jours après sa naissance, le 28 janvier 2022 au parc zoologique de Padirac, dans le Lot ( AFP / Lionel BONAVENTURE )
Dans cette "obscurité", "des choses magiques seraient arrivées", avec des tétrapodes ressemblant à des poissons qui "auraient connu un nouveau départ et évolué en groupes beaucoup plus modernes", commente avec ironie le Pr. Ahlberg, en confessant toutefois qu'il aurait "pu y croire à une époque".
Seulement, les découvertes s'enchaînent et la lacune de Romer n'est plus aussi lacunaire qu'auparavant, selon le paléontologue qui promet une "grosse histoire" à venir avec des fouilles aux antipodes de l'Australie, au Groenland. Et une "faune de tétrapodes complètement nouvelle, très diverse et inattendue".
Une nouvelle touche au tableau de l'évolution, et à la prolifération d'espèces dans les époques reculées. La seule façon de l'appréhender restant dans de nouvelles fouilles, ces "minuscules trous de serrure que nous trouvons vers ce monde étrange, sombre et perdu".
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