Projet Scaf, parapluie nucléaire, armement : les chantiers délicats de la coopération de défense France-Allemagne information fournie par Boursorama avec Media Services 28/08/2025 à 14:25
Paris et Berlin multiplient les projets de coopération dans la défense, qui ont pris une nouvelle ampleur depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie et l'élection du président américain Donald Trump, mais butent souvent sur des intérêts divergents.
La dissuasion nucléaire
Face à la crainte d'un désengagement américain d'Europe, le chancelier allemand Friedrich Merz a appelé après son élection à une discussion avec Londres et Paris sur la dissuasion nucléaire afin que l'Allemagne puisse "bénéficier du partage nucléaire, au moins de la sécurité nucléaire".
Si la dissuasion française reste indépendante, le président français Emmanuel Macron a réaffirmé en juillet être prêt à "engager un dialogue stratégique" sur le sujet.
"Pour l'instant, ça reste des discussions très abstraites et préliminaires", tempère Jacob Ross, du Conseil allemand sur les relations internationales (DGAP).
Selon lui, les responsables militaires allemands sont "poussés" par le pouvoir politique à "discuter avec les Français, parfois contre leur gré".
"Ils ont extrêmement peur que ce soit mal interprété, comme une sorte de trahison, par les Américains", explique-t-il.
Achats d'armements
Le réarmement dans lequel se sont engagés les pays européens depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie début 2022 a mis en lumière des tensions entre France et Allemagne, entre volonté de développer l'industrie européenne de défense au nom de la souveraineté et nécessité de s'équiper rapidement.
"Les délais courts et la disponibilité sur le marché sont devenus les justifications centrales des pratiques d'approvisionnement allemandes. Cela a motivé l'acquisition de systèmes disponibles sur le marché, principalement aux États-Unis", pointe le chercheur Noah Heinemann, dans une note pour le Groupe européen de recherche dans l'industrie de l'armement (Ares).
Ces tensions ont été illustrées par le projet de "bouclier du ciel européen" (ESSI) lancé par l'Allemagne et auquel se sont joints une vingtaine de pays. Celui-ci entend notamment s'appuyer sur des systèmes antiaériens américains, au grand dam de Paris, qui promeut le système franco-italien SAMP-T face au Patriot américain.
Elles se retrouvent aussi dans les discussions au sein de l'UE sur le programme EDIP de soutien à l'industrie de défense européenne. Paris insiste notamment pour que l'autorité de conception d'un produit soit européenne, afin que les lignes de production en Europe de matériels américains ne puissent bénéficier de financements européens.
Les programmes en coopération
En 2017, lors du premier mandat de Donald Trump, Emmanuel Macron et l'ex-chancelière allemande Angela Merkel (2005-2021) avaient lancé plusieurs programmes de coopération. Quelques années plus tard, certains ont été abandonnés (avion de patrouille maritime commun, modernisation de l'hélicoptère d'attaque, projet d'artillerie du futur).
Les autres peinent à avancer, qu'il s'agisse du projet de drone Eurodrone, du système de combat aérien futur (Scaf) ou du char de combat (MGCS).
S'agissant du MGCS, programme dirigé par l'Allemagne, les deux capitales sont parvenues l'an dernier à trouver au forceps un accord sur la répartition des tâches entre industriels français et allemand pour le développer. Mais l'objectif officiel d'avoir "le premier contrat d’ici à la fin janvier 2025" n'est toujours pas rempli, selon une source proche du dossier.
Le Scaf est quant à lui encalminé dans les tensions entre le français Dassault et Airbus, qui représente les intérêts de Berlin et de Madrid. Les négociations sur la construction du démonstrateur, sorte de pré-prototype du futur avion, sont bloquées.
Dassault veut revoir les accords conclus en réclamant d'avoir la liberté de choisir lui-même ses sous-traitants.
Cette exigence "ne rend pas les choses plus simples", a jugé Friedrich Merz, selon qui le sujet "ne sera pas discuté" lors du conseil des ministres franco-allemand de vendredi.
Avec Emmanuel Macron, "nous prendrons ensemble une décision sur l'avenir du projet Scaf" au "dernier trimestre", a-t-il ajouté.
"Étant donné leur aspect politique et symbolique, il y a de fortes chances qu'un compromis au plus haut niveau puisse être trouvé" sur les deux projets, estime Johanna Möhring, chercheuse associée à l'Université de Bonn (Allemagne).
Un difficile alignement stratégique
Malgré la densité des contacts entre les deux pays, "l'écart entre les ambitions en matière de coopération de défense et les résultats concrets reste important", pointe Johanna Möhring.
En cause, selon elle: "les orientations stratégiques de longue durée de l'Allemagne et de la France constituent des obstacles formidables à une coopération renforcée", entre transatlantisme allemand et volonté française de miser sur l'autonomie européenne.
Pour Jacob Ross également, "on touche à des questions tellement proches du cœur de l'identité française et de l'identité allemande que c'est très, très dur d'avancer".