Législatives en Allemagne : vainqueur des élections, Friedrich Merz s'apprête à tourner le dos à 80 ans de tradition atlantiste
information fournie par Boursorama avec Media Services 24/02/2025 à 14:47

Le conservateur a émis ces derniers jours des doutes sur la fiabilité de l'allié américain, alors que Donald Trump a opéré un rapprochement spectaculaire avec Vladimir Poutine.

Friedrich Merz à Berlin, en Allemagne, le 24 février 2025. ( AFP / INA FASSBENDER )

C'est un tournant majeur dans le paysage politique allemand : vainqueur des élections législatives dimanche 23 février, le prochain chancelier désigné de l'Allemagne, Friedrich Merz, affiche sa volonté de rendre l'Europe indépendante des États-Unis en matière de défense, s'apprêtant ainsi à rompre avec 80 ans de tradition atlantiste.

"Je n'aurais pas cru devoir dire quelque chose comme ça", a reconnu ce conservateur de 69 ans, atlantiste convaincu jusqu'ici, après avoir appelé de ses vœux dimanche soir la création d'"une capacité de défense européenne autonome" comme alternative à "l'Otan dans sa forme actuelle".

Cette prise de position étonnamment tranchée, difficile à imaginer il y a encore quelques mois dans un pays qui a forgé son identité après la guerre et les horreurs du nazisme sur le partenariat avec les États-Unis, fait suite aux prises de position fracassantes du nouveau locataire de la Maison Blanche et de son entourage. Rapprochement russo-américain sur l'Ukraine, "négociations de paix" amorcées sans Kiev et le Vieux continent, et menace de remise en cause par Washington de son soutien militaire à Europe, ont abasourdi Berlin et ses alliés.

"Il ne s'agit pas d'une rupture active, mais plutôt d' une réaction aux développements politiques aux États-Unis ", indique lundi à l' AFP Jacob Ross, politologue au centre de réflexion DGAP à Berlin, à propos des annonces de Friedrich Merz.

Friedrich Merz avait déjà émis des doutes sur la fiabilité de l'allié américain ces derniers jours, au cas où les appétits guerriers de la Russie de Vladimir Poutine venaient à s'étendre au delà de l'Ukraine. "Nous devons nous préparer à ce que Donald Trump ne laisse plus s'appliquer sans restriction la promesse d'assistance du traité de l'OTAN", a-t-il confié vendredi à la télévision publique ZDF , en référence à l'article 5 de solidarité entre ses membres.

Et d'évoquer la nécessité de discuter d'une dissuasion européenne s'appuyant sur les deux puissances nucléaires, la France et le Royaume-Uni. "Il y a bien sûr toujours la question majeure du droit à la décision finale" sur l'emploi de l'arme nucléaire, a-t-il reconnu.

La question de la dissuasion nucléaire française

Depuis le Brexit et la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, la France est le seul de ses États membres à disposer de la dissuasion nucléaire. Mais Paris a entamé un dialogue sur les questions de sécurité avec Londres. Et le président français Emmanuel Macron avait en avril dernier proposé d'ouvrir le parapluie atomique français à d'autres pays européens, qui ont sur leur sol des armes nucléaires américaines.

Dans le passé, l'Allemagne s'est montrée très peu réceptive à cette idée comme à celle, également poussée par la France, d' une autonomie stratégique de l'Europe vis-à-vis des États-Unis .

"Peu avant la fin de son second mandat" le président français Emmanuel "Macron se voit offrir une chance inespérée de concrétiser sa vision d'une Europe souveraine", pointe l'expert Jacob Ross. "Le fait que le Royaume-Uni puisse faire partie de cette évolution serait remarquable, tant dans le contexte du Brexit que de la 'relation spéciale'" entre Washington et Londres, ajoute-t-il.

Dans ce contexte, Berlin suivra avec une attention toute particulière le résultat des discussions de Donald Trump lundi avec Emmanuel Macron, puis jeudi avec Keir Starmer, le Premier ministre britannique.

Car un éventuel remplacement de l'allié américain ne sera pas chose aisée.

L'Allemagne, qui compte le plus gros contingent de forces américaines déployées de façon permanente sur son sol, soit 35.000 en 2024, devra encore investir en masse dans son armée, la Bundeswehr, et augmenter sa part du PIB affectée à la défense, qui se situe actuellement à tout juste 2%. Ce qui laisse supposer un assouplissement du frein à l'endettement en vigueur dans le pays et inscrit dans sa constitution.

Or cela pourrait s'avérer compliqué, car les partis des extrêmes, à droite comme à gauche, tous deux hostiles aux livraisons d'armes à l'Ukraine, devraient disposer d'une minorité de blocage dans le prochain Bundestag.

En outre, la mise en place d'une défense européenne prendra du temps. "Même en augmentant massivement les dépenses de défense (...) les Européens auront besoin de plusieurs années, voire de décennies, pour constituer une force militaire capable de remplacer les capacités de défense actuelles des États-Unis", souligne Liviu Horovitz, du groupe de réflexion Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP).